MondeLe - 2019-08-08

(sharon) #1
4 |international JEUDI 8 AOÛT 2019

hongkong - envoyé spécial

F


ace au mouvement de
protestation sans précé-
dent qui secoue Hong-
kong depuis deux mois,
les autorités chinoises conti-
nuent de hausser le ton, n’ex-
cluant pas une intervention
des forces de l’ordre de Chine
continentale même si ce n’est
pas le scénario qu’elles semblent
privilégier.
Premier signe de ce raidisse-
ment : le soutien explicite de
Pékin à Carrie Lam, la chef de
l’exécutif de Hongkong, choisie
par les autorités chinoises
en 2017. Alors que celle-ci est cri-
tiquée dans son propre camp
pour sa gestion calamiteuse de
ce projet de loi sur les extradi-
tions qui a mis le feu aux pou-
dres, Zhang Xiaoming, le direc-
teur du bureau des affaires de
Hongkong et de Macao, l’agence
gouvernementale chinoise en
charge de ces territoires, orga-
nise ce mercredi 7 août à
Shenzhen, la ville chinoise qui
fait face à Hongkong, une réu-
nion avec pas moins de 500 res-
ponsables politiques et écono-
miques chinois et hongkongais,
dont 200 représentants de Hong-
kong au Parlement chinois.
Wang Zhimin, le directeur du bu-
reau de liaison de Pékin à Hong-
kong, est également présent.
Au cours des cinq premières
minutes de cette rencontre ex-
ceptionnelle, les seules ouvertes
à la presse – Zhang Xiaoming a
jugé que Hongkong connaissait
« sa situation la plus grave » de-
puis la rétrocession à la Chine
en 1997. Une situation « très ins-
table », a-t-il poursuivi, ajoutant
que « le gouvernement central est
très préoccupé par la situation à
Hongkong et établit des plans
stratégiques avec une vision d’en-
semble à l’esprit ».
Cette réunion devrait être no-
tamment l’occasion de définir
une nouvelle stratégie de com-
munication exploitant l’émo-
tion créée en Chine par la profa-
nation à Hongkong du drapeau
chinois. Sur les réseaux sociaux
chinois, le hashtag « le drapeau
chinois a 1,4 milliard de por-

teurs » fait florès et est soutenu
par certaines stars hongkongai-
ses comme l’acteur Jackie Chan.
Le gouvernement chinois en-
tend mettre en avant les habi-
tants de Hongkong qui défen-
dent Pékin et qui sont qualifiés
de « patriotes ». Au contraire, les
opposants sont vus comme
« pro-indépendantistes » et mani-
pulés par des « forces étrangères »
afin, selon la presse nationaliste,
d’entraîner Hongkong dans une
« révolution de couleurs ».

L’ambiguïté est de mise
Pékin avait d’abord fait mine de
minimiser l’ampleur du mécon-
tentement et les manifestations
de juin avaient été censurées par
les médias chinois. Depuis juillet
et l’invasion du LegCo, le Parle-
ment de Hongkong, par des ma-
nifestants, ce n’est plus le cas. La
« région administrative spé-
ciale » a même les honneurs du
grand journal télévisé de CCTV
avec deux thèmes mis en avant :
la violence des manifestants et
les rassemblements organisés au
contraire en soutien au régime
chinois et aux forces de police.
De même, muet depuis la rétro-
cession de Hongkong à la Chine
en 1997, le bureau des affaires de
Hongkong et de Macao à Pékin a
pris la parole à deux reprises : le
29 juillet et le 6 août. Signe que la
crise est gérée depuis Pékin, ce
sont les responsables de ce bu-
reau qui ont donné leur lecture de
la grève générale du 5 août – une
première dans l’île depuis 1997.
Mardi, Yang Guang, porte-pa-
role du bureau des affaires de
Hongkong et de Macao,
avait adopté un ton à la fois
martial et relativement mesuré,
restant volontairement ambigu
sur la stratégie répressive de
Pékin. Bien qu’une majorité de
Hongkongais dénoncent les vio-
lences de « leur » police, celle-ci
a reçu le soutien explicite de
Pékin et ne fait plus mystère de
vouloir réprimer tout rassemble-
ment non autorisé.
Lundi, la police a arrêté 148 per-
sonnes et a utilisé presque
autant de gaz lacrymogènes que
durant les deux mois précédents.
Mais rien de ce qu’a annoncé

mardi Pékin n’est en mesure de
mettre fin aux tensions. La loi
d’extradition n’est pas officielle-
ment retirée, mais simplement
« suspendue ». Carrie Lam est
toujours au pouvoir et surtout
Pékin n’envisage pas d’accorder
la démocratie à Hongkong, bien
au contraire.

Manœuvres en Chine
Si très peu de Hongkongais
souhaitent l’indépendance de
leur ville, une majorité souhaite
qu’elle garde son autonomie,
notamment juridique. Les
libertés publiques y sont incom-
parablement plus élevées qu’en
Chine continentale.
En pleine guerre commerciale
et monétaire avec les Etats-Unis,
le régime chinois n’a probable-
ment aucune envie d’envoyer
l’armée à Hongkong. Une telle

initiative le mettrait de nouveau
au ban des nations comme après
le massacre de Tiananmen
en 1989 et risquerait, par ricochet,
de faciliter la réélection, en jan-
vier 2020 à Taïwan, de la prési-
dente Tsai Ing-wen, issue du parti
indépendantiste. Mais nul n’ima-

gine que Pékin laisse le désordre
perdurer à Hongkong alors que la
Chine va célébrer avec une grande
parade militaire, le 1er octobre,
les 70 ans de l’arrivée des com-
munistes au pouvoir en 1949. Un
porte-parole du ministère de la
défense avait récemment précisé
que l’armée chinoise – qui dispo-
serait de 6 000 soldats sur le
territoire de l’ancienne colonie
britannique – est fondée à inter-
venir si le gouvernement de
Hongkong en fait la demande.
Rien n’est donc exclu.
Toutefois, l’idée semble plutôt
de renforcer les moyens des forces
de l’ordre hongkongaises. Selon
plusieurs sources, des éléments
de la police cantonaise – dont les
agents parlent la même langue
qu’à Hongkong – seraient déjà
présents au sein de celle de Hong-
kong. Et le 6 août, le quotidien

New Delhi impose un couvre-feu drastique au Cachemire

La région à majorité musulmane est coupée du monde, après la décision du gouvernement Modi de mettre fin à son autonomie

new delhi - correspondance

D

epuis dimanche 4 août
au soir, le Cachemire
indien est paralysé. Sous
un couvre-feu imposé, ses habi-
tants sont coupés du monde. Il n’y
a ni Internet, ni téléphone, ni sour-
ces d’information. Les principaux
dirigeants des partis politiques
locaux ont été placés en détention
dans la capitale d’été de l’Etat,
Srinagar. Les écoles sont fermées,
les rassemblements interdits. Les
rares voyageurs qui ont quitté Sri-
nagar au cours des dernières
72 heures évoquent un couvre-feu
extrêmement strict, des rues vi-
des et patrouillées par des forces
paramilitaires, et un sentiment de
peur. La province himalayenne à
majorité musulmane, qui est
l’une des zones les plus militari-
sées au monde, est entièrement
aux mains des forces de l’ordre, à
l’initiative du gouvernement na-
tionaliste hindou du premier
ministre, Narendra Modi. Un ma-
nifestant est mort dans la région
après avoir été pourchassé par la
police, a indiqué mercredi 7 août à
l’AFP une source policière locale.
Le Cachemire, bâillonné, n’a pas
eu son mot à dire lorsque son
avenir s’est joué lundi 5 août,

800 kilomètres plus au sud, à
New Delhi, dans l’hémicycle du
Parlement indien. Amit Shah,
ministre de l’intérieur, a annoncé
la révocation de l’article 370 de la
Constitution indienne, qui garan-
tissait une autonomie d’excep-
tion au Cachemire indien, l’Etat
du Jammu-et-Cachemire, 13 mil-
lions d’habitants. Dans la foulée,
la région a perdu son statut d’Etat
fédéré et sera scindée en deux
« territoires de l’Union », adminis-
trés directement par le gouverne-
ment central. Un coup brutal
porté aux aspirations historiques
du Cachemire indien.

« Il y aura des morts »
« Prendre des millions de gens en
otage n’était pas la meilleure
manière de faire passer cette déci-
sion », s’indigne Charlotte Na-
droo, une Française dont le mari
cachemiri est à Srinagar. Car les
autorités ont commencé à resser-
rer leur étau sur la vallée quelques
jours plus tôt. Les touristes et visi-
teurs non cachemiris ont été
sommés d’évacuer la région. Près
de 40 000 membres des forces de
l’ordre ont été positionnés en
renfort dans cette région, déjà
quadrillée par des milliers de
soldats qui s’efforcent d’y répri-

mer une insurrection séparatiste.
Le déploiement sécuritaire est
sans précédent. « Le couvre-feu est
une mesure de précaution, il a été
installé afin que la situation ne se
détériore pas », a justifié M. Shah.
Les rares témoignages d’habi-
tants de la vallée sont inquiétants.
Sur les réseaux sociaux, Muzamil

Jaleel, un journaliste de l’ Indian Ex-
press, a rendu compte de sa vision
du Cachemire à son retour à Delhi.
« Srinagar est une ville de soldats et
de barbelés. Je me suis déplacé avec
énormément de difficultés. Je n’ai
aucune information en dehors du
quartier où j’étais. Cependant, j’ai
entendu dire qu’il y avait des mani-

festations dans la vieille ville de
Baramulla. Tous les gens que j’ai
croisés étaient choqués. Il règne
comme une torpeur étrange. Nous
avons entendu parler de deux
manifestants morts mais il n’y a
aucun moyen de le confirmer. Le
Cachemire est devenu invisible,
même à l’intérieur du Cachemire. »
La communauté cachemirie
disséminée à travers l’Inde est
inquiète pour ses proches. « J’ai
parlé à ma mère et à ma sœur pour
la dernière fois dimanche soir, ra-
conte Danish Qazi, un étudiant
cachemiri de Delhi. Nous avons
l’habitude de vivre en état de siège
mais jamais une telle paralysie
n’avait eu lieu. » Sa voix calme
cache sa colère. « Nous n’avons
jamais voulu faire partie de l’Inde
et la stratégie de New Delhi est de
nous contraindre au silence. »
Les autorités ne semblent pas
prêtes à relâcher la pression dans
l’immédiat. Interrogé par la
presse, Nirmal Singh, un respon-
sable du Bharatiya Janata Party
( BJP), le parti de M. Modi, a déclaré
que les politiciens détenus
seraient libérés « dans quelques
jours, quand la situation se
normalisera ». Danish Qazi, l’étu-
diant, prédit quant à lui un
embrasement : « Dès que le

couvre-feu sera levé et que les gens
découvriront la situation, ils vont
descendre massivement dans les
rues. Cela va être énorme. Il y aura
des morts. » Lui prévoit de rentrer
dès que possible dans son village.
« Car, si des incidents ont lieu au
Cachemire, les Indiens d’ici vont se
retourner contre nous et nous
agresser. Je ne me sens pas en sécu-
rité. Je n’ai pas foi en l’Inde. »
Le premier ministre indien,
Narendra Modi, devait s’exprimer
devant la nation mercredi 7 août.
Mais son discours a été repoussé
en raison du décès de l’ancienne
ministre des affaires étrangères
indienne Sushma Swaraj, l’une
des figures du BJP. Atteinte d’une
maladie du rein, Sushma Swaraj
avait occupé son poste depuis
l’élection de M. Modi en 2014 jus-
qu’en mai, où elle a été remplacée
par Subrahmanyam Jaishankar.
Son dernier message sur Twitter,
trois heures avant sa mort d’un
arrêt cardiaque, a été pour félici-
ter le premier ministre, juste
après que son projet de loi sur la
réorganisation du Cachemire a
été adopté par la chambre basse
du Parlement indien : « Merci pre-
mier ministre. Merci beaucoup. J’ai
attendu toute ma vie pour voir ce
jour. » – (Intérim.) p

Un policier antiémeute disperse des manifestants dans le quartier de Sham Shui Po, le 7 août, à Hongkong. VINCENT THIAN/AP


En pleine guerre
commerciale et
monétaire avec
les Etats-Unis,
le régime chinois
n’a probablement
aucune envie
d’envoyer l’armée
à Hongkong

A Hongkong, Pékin rallie les forces prochinoises

L’agence gouvernementale chargée du territoire a organisé une grande réunion de crise à Shenzhen

nationaliste Global Times a dif-
fusé une vidéo mettant en scène
les manœuvres de 12 000 poli-
ciers de Shenzhen, s’entraînant
pour combattre des émeutes
urbaines. Officiellement, ces
exercices qui incluent toutes les
forces de police – de terre, de l’air
et de mer – sont effectués dans le
cadre de la préparation des céré-
monies du 1er octobre.
Mais l’avertissement aux
Hongkongais est d’autant plus
clair que les policiers représen-
tant les manifestants sont revê-
tus des mêmes tee-shirts noirs et
des mêmes casques de chantier
jaunes que les jeunes Hong-
kongais. On ne peut donc exclure
que l’intervention de Pékin,
jusqu’ici essentiellement verbale
et médiatique, finisse par se
concrétiser.p
frédéric lemaître

Indus

PAKISTAN INDE

CHINE

Partie pakistanaise
du Cachemire

Glacier de Siachen
contrôlé par l’Inde

Ligne de contrôle

La région de Jammu-et-Cachemire perd son statut d’Etat fédéré
pour se scinder en deux « territoires de l’Union »

Partie tenue
par la Chine

Jammu

Uri Srinagar
JAMMU-ET-
CACHEMIRE

GILGIT-
BALTISTAN

AKSAI
CHIN

VALLÉE DE
SHAKSGAM

AZAD-
CACHEMIRE

JAMMU

VALLÉ E DU
CACHEMIRE LADAKH

100 km





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