MondeLe - 2019-08-08

(sharon) #1
JEUDI 8 AOÛT 2019

FRANCE

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A Signes, l’émotion après la mort du maire

Jean-Mathieu Michel a été écrasé, lundi 5 août, par une camionnette venue déposer illégalement des gravats

U


ne annonce a été pla-
cardée sur la porte de
la mairie de Signes, au
cœur de ce village pro-
vençal du Var : « Un hommage sera
rendu jeudi à 16 heures à Jean-Ma-
thieu Michel. » « On dira juste trois
petites phrases et on se re-
cueillera » , précise Alain Reichardt,
premier adjoint qui assure l’inté-
rim depuis le décès, lundi 5 août,
du maire qui intervenait auprès de
deux jeunes hommes déposant il-
légalement des gravats dans un
chemin boisé de la commune.
Si la retenue est de mise locale-
ment, les hommages, notamment
politiques, ont afflué de toutes
parts depuis l’annonce de sa mort.
Emmanuel Macron, le chef de
l’Etat, a salué « le dévouement in-
lassable » de cet élu local, dans une
lettre de condoléances adressée à
sa famille, mercredi 7 août.
L’enquête judiciaire ouverte par
le parquet de Toulon s’est orientée
vers la piste accidentelle. Le con-
ducteur du véhicule utilitaire
blanc qui a écrasé Jean-Mathieu
Michel, un maçon âgé de 23 ans
employé dans une entreprise des
Bouches-du-Rhône, devait être
présenté mercredi 7 août à un juge
d’instruction en vue d’une mise
en examen pour homicide invo-
lontaire, a précisé le parquet de
Toulon. Ses déclarations et celles
de son passager, un apprenti âgé
de 20 ans dont la garde à vue a été
levée après vingt-quatre heures,
évoqueraient un acte non inten-
tionnel, une manœuvre au cours
de laquelle M. Michel a été percuté.
Trois témoins – deux fonction-
naires et un entrepreneur qui
avaient accompagné le maire
dans une tournée afin de définir
l’emplacement de points d’ap-
ports volontaires pour le verre –
auraient conforté cette thèse de
l’accident. Arrivé sur place très ra-
pidement, le premier adjoint
Alain Reichardt dépeint les occu-
pants de la fourgonnette comme
« deux gamins ». « J’ai aperçu un
jeune, livide, complètement perdu,
semblant se demander ce qui lui ar-
rivait » , rapporte-t-il.
Elu au conseil municipal de Si-
gnes en 1977, puis maire en 1983,
Jean-Mathieu Michel, 76 ans, est
décrit comme totalement dévoué
à cette petite commune de
2 800 habitants. Au fil de ses six
mandats, il avait abandonné l’éti-

quette PS de ses premiers pas pour
clamer : « Ma seule politique, c’est
Signes. » « On ne prenait pas ren-
dez-vous avec le maire, on tapait à
la porte du bureau de Jeannot » , té-
moigne Alain Reichardt, ému de
se retrouver assis derrière le bu-
reau du maire qui croule sous les
documents. Une collection de bal-
lons ovales témoigne de la passion
de Jean-Mathieu Michel pour le
rugby et le RCT de Toulon. « S eul un
match qu’il ne voulait pas rater
était l’occasion qu’il me donnait de
le remplacer pour célébrer un ma-
riage » , confie son adjoint.
Adoubé par Paul Ricard, maire
de Signes de 1972 à 1980, Jean-Ma-
thieu Michel avait travaillé aux
chantiers navals de La Seyne-sur-
Mer comme dessinateur indus-
triel pour le compte d’un sous-

traitant puis avait occupé un
poste de commercial. Né à Toulon,
son berceau familial était à Signes,
« une commune dont il connaissait
le moindre caillou et, en tant que
chasseur, le plus petit chemin ».

« Un maire à la Pagnol »
Sa belle-fille en parle comme
d’ « un homme provençal par excel-
lence, très près de ses villageois et
investi à 3 000 % pour sa com-
mune ». Décrit comme un homme
discret « qui n’aimait pas que l’on
parle de lui », il apparaissait sou-
vent muni d’un chapeau, parfois
un brin d’herbe dans la bouche.
Croisé dans une rue, déserte en
raison de la chaleur, Martial, ma-
rin à Toulon, choisit, lui, l’image
« d’un maire à la Pagnol qui con-
naissait tout le monde ». Mais de

prévenir : « Quand on entend dire
que tout le monde l’appréciait, at-
tention, il y a ici des querelles de clo-
cher. » Plus exactement d’âpres
combats écologistes menés par
l’association Signes Environne-
ment. Ses 850 adhérents ont rem-
porté, le 15 juillet devant le tribu-
nal administratif, une victoire
contre l’usine de goudron devant
ouvrir à proximité de la carrière à
granulats de Croquefigue.
Les juges ont annulé l’autorisa-
tion préfectorale accordée à un in-
dustriel d’exploiter une unité de
fabrication d’enrobé. Et pas plus
tard que vendredi 2 août, alors que
Signes Environnement fêtait sa
victoire, on a entendu cette
adresse au maire, lui-même adhé-
rent : « Jeannot, c’est pas toi qui as
gagné, c’est nous. N’essaie pas de

nous faire une entourloupe. » Sur
Facebook, l’association a « exprimé
la tristesse de ce départ dramatique

- nos idées étaient quelquefois op-
posées, mais ça, c’était la vie –, la
mort efface nos “querelles” bon en-
fant – elles manqueront ».

La mort de l’élu met les Signois
en colère contre les dépôts sauva-
ges de déchets, notamment du bâ-
timent, « ces salopards qui, à lon-
gueur de semaines jettent leurs


Les décharges sauvages, un fléau pour les communes

Si le décès du maire de Signes a mis en lumière la multiplication de ces actes d’incivilité dans le Var, l’ensemble du territoire est concerné

L

e différend entre deux sala-
riés d’une entreprise déver-
sant illégalement au bord
d’un chemin les reliques d’un
chantier et Jean-Mathieu Michel,
maire de la commune de Signes,
qui a causé, lundi 5 août, la mort
de ce dernier, a crûment mis en
lumière le fléau que représentent
pour les petites communes les dé-
pôts sauvages de déchets.
Dans le département du Var, où
a eu lieu le drame, les maires con-
naissent par cœur la problémati-
que. Mais s’ils disposent d’un
pouvoir de police sur leur terri-
toire – dans le cadre d’activités
commerciales menées par des en-
treprises, comme cela semble
être le cas des deux contreve-
nants de Signes, l’abandon de dé-
chets est passible d’une peine
maximale de deux ans d’empri-
sonnement et de 75 000 euros
d’amende –, difficile pour autant
d’enrayer le phénomène.
Henri Bonhomme, président de
l’Union départementale du Var
pour la sauvegarde de la vie et de
la nature et de France Nature En-
vironnement 83, regrette qu’ils

« manquent de moyens humains »
pour faire appliquer la loi. « Les PV
sont, le plus souvent, dressés au ti-
tre de l’urbanisme plutôt qu’au ti-
tre de l’environnement faute de
personnes assermentées pour s’en
charger, dit-il, et sur les dépôts
ponctuels, on arrive presque tou-
jours trop tard. »

Points de collecte manquants
Son département cumule, selon
lui, deux handicaps. « Les installa-
tions de stockage agréées qui s’y
trouvent sont en nombre insuffi-
sant et souvent fort éloignées des
lieux où l’on en a le plus besoin, et le
territoire souffre d’une tendance
aux incivilités propre au Sud, note-
t-il. Il est difficile de trouver du fon-
cier et personne ne veut d’installa-
tion de stockage près de chez soi. »
Il reconnaît, cependant, que les
services de l’Etat et la justice sont
« de plus en plus mobilisés » sur la
question des déchets sauvages
dans le département. « Le procu-
reur de la République de Toulon
nous invite à dénoncer ce type
d’agissements quand des cas pré-
cis et significatifs se présentent »,

ajoute-t-il. La députée LRM de la 6e
circonscription du Var, Valérie
Gomez-Bassac, jure pourtant se
sentir « seule et démunie » depuis
deux ans qu’elle lutte pour l’éradi-
cation de la décharge sauvage dite
la Capucine sur la commune du
Castellet, voisine de Signes. Plus
d’un million de tonnes de déchets
y ont été déposées depuis... 1991.
« Les services de l’Etat qui se ren-
voient la balle ont permis d’ériger
ce lieu situé au cœur du vignoble
de Bandol au rang d’une quasi-ins-
titution », déplore-t-elle.
A la veille d’une récente inspec-
tion annoncée de la direction ré-
gionale environnement aménage-
ment logement (Dreal), le proprié-
taire du site a, selon la parlemen-
taire, recouvert d’une couche de
sable les gravats qui s’y trouvent.
« La Dreal, qui n’a pas le droit de
fouiller, a conclu qu’il s’agissait
d’une valorisation, gronde Mme Go-
mez-Bassac, et une noria de ca-
mions principalement immatricu-
lés dans les Bouches-du-Rhône ont
recommencé à venir s’y délester. »
Pour Nicolas Garnier, délégué gé-
néral de l’association de collectivi-

tés locales Amorce, les déchets de
chantier comme ceux en cause à
Signes ou au Castellet constituent
un « gisement diffus et éparpillé
qu’il faut capter au plus vite ». « Si
les grosses entreprises gèrent glo-
balement bien leurs déchets dans
des exutoires appropriés, le déficit
d’outils de collecte et de tri poussent
les TPE, les PME et les travailleurs au
noir vers des déchetteries publiques
en principe conçues pour les dé-
chets des ménages ou les incitent à
des dépôts sauvages qui souillent
les communes et les ruinent en frais
de déblaiement » , explique-t-il.

Amende forfaitaire
Selon lui, pour accueillir 10 mil-
lions de tonnes de déchets ména-
gers encombrants, la France a créé
« 4 500 déchetteries publiques au
cours des vingt dernières années »,
alors que pour gérer 10 millions de
tonnes de déchets des TPE et PME,
il existe aujourd’hui moins de
500 points de collecte, tous
payants. « Il est temps qu’un sys-
tème gratuit de plusieurs milliers de
points de collecte de proximité fi-
nancés par une écocontribution sur

les matériaux soit mis en place »,
estime M. Garnier.
Dans le cadre du projet de loi
« antigaspillage pour une écono-
mie circulaire » présenté au con-
seil des ministres le 10 juillet, les
services du ministère de la tran-
sition écologique et solidaire étu-
dient actuellement le sujet. Car si
la question des décharges sauva-
ges a pris une tournure dramati-
que dans le Var, le département
est loin d’être le seul à devoir gé-
rer ce problème. « Nous n’avons
pas de chiffres au niveau national
car, par définition, on ne peut re-
censer de manière exhaustive ce
type de pratiques, mais tout le ter-
ritoire est concerné », assure Jean-
Christophe Pouet, chef du service
mobilisation et valorisation des
déchets à l’Agence de l’environ-
nement et de la maîtrise de
l’énergie (Ademe).
Un rapport de l’Ademe en dé-
cembre 2018, intitulé « Caractéri-
sation de la problématique des
déchets sauvages » et fondé sur
un questionnaire adressé aux
36 000 communes hexagonales –
auquel moins de 3 000 ont ré-

pondu –, permet en effet d’esti-
mer que, du mégot jeté dans le ca-
niveau au dépôt illégal du brico-
leur ou de l’artisan, en passant par
la canette ou la bouteille en verre
abandonnées au pied de conte-
neurs déjà pleins, la France génère
« une vingtaine de kilos de déchets
sauvages par habitant par an ».
« Un quart des dépôts sont le fait
de petites entreprises et d’artisans,
un autre quart celui d’habitants du
territoire concerné, un troisième
quart celui d’habitants de collecti-
vités voisines, et pour le reste, on ne
sait pas trop » , indique M. Pouet.
L’étude précise également que,
lorsque des sanctions sont appli-
quées, c’est dans 63 % des cas sous
la forme d’amende forfaitaire de
68 euros, pouvant atteindre
1 500 euros en cas de dépôt depuis
un véhicule, ainsi que la confisca-
tion de celui-ci. Le document
ajoute que, dans les cas de dépôt
de plainte auprès du procureur, de
constatation des infractions par
procès-verbal et de signalement
au préfet, 40 % des actions sont
classées sans suite.p
patricia jolly

Jean-Mathieu
Michel, maire
de Signes (Var),
en janvier.
VALERIE LE PARC/NICE
MATIN/MAXPPP

Sa belle-fille parle
d’un homme
« très près de
ses villageois et
investi à 3 000 % »

gravats autour de la zone indus-
trielle de Signes » , peste Alain
Ruysschaert, membre de Signes
Environnement et de la société de
chasse de La Limate, dont le maire
était président d’honneur.
Selon Alain Reichardt, ces dé-
pôts sauvages connaîtraient un
essor depuis six mois, alors que,
note-t-il, « à la déchetterie de Si-
gnes, on peut jeter ce qu’on veut.
Même la laine de verre et
l’amiante, on sait gérer ces dé-
chets-là ». Il appelle le législateur à
renforcer les sanctions financiè-
res pour les rendre dissuasives.
« Actuellement, peste-t-il, on ris-
que quoi? Une petite amende! Et
nous, on a vu Jeannot, sous un
drap blanc, qui était mort. » p
minh dréan
et luc leroux (à signes)
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