Provence - 2019-08-14

(Jacob Rumans) #1

Longchamp tel que les Marseillais l’ont découvert en 1869. Le palais constitue aussi un écrin fantastique pour la culture avec deux musées ou le festival de jazz en juillet. /SERVICE DOCUMENTATION, N.V.&A.TOMASELLI


C


ommencée sous le règne de
Louis-Philippe en 1839, la
constructiondu palais Long-
champ s’est achevée sous Napoléon III
en 1869. Il aura donc fallu 30 ans pour
réaliser ce trésor de l’architecture du
Second Empire, qui abrite un château
d’eau mais aussi deux musées dans ses
ailes.

L’eau, un problème des villes
méditerranéennes
"L’histoire du palaisest complexe.
Cette année, on fête les 150 ans de son
inauguration, mais son histoire est plus
ancienne,rappelle Luc Georget, conser-
vate ur du musée des Beaux-Arts.On dé-
cide de mettre finàundes problèmes
qui touchetoutes les villes méditerra-
néennes:lemanque d’eau." Plusieurs
épisodesdesécheresse et une vague de
choléra en 1834 poussent les autorités
àtrouver une solution. Jusque-là, l’eau
n’est fournie que par les puits et l’Hu-
veaune. "Des rixes éclataient pour obte-
nir la ration quotidienne, soit un litre et
un tiers d’eau par jour", précise Emma-
nuel Laugier, historien de l’art dans la
Revue Marseille,consacrée au palais
Longchamp(numérodejuillet 2019,
actuellement en kiosque, 8¤). En 1834,
le conseil municipal vote le creuse-
ment d’un canal pour capter l’eau de la
Durance et la conduire jusqu’aux Mar-
seillais. "Un ouvrage de 80km. C’est un
formidabletravaild’ingénierie",sou-
ligne le conservateur des Beaux-Arts.
L’arrivée de l’eau doit se faire sur un
point haut de la ville, le choix se porte
sur le plateauLongchamp. De là, elle
pourra être redistribuée aux habitants.
Pour célébrer son arrivée et son
abondance, il faut un édificeàlataille
de l’événement:unpalais!Lamunici-
palité va demander au jeune architecte
Henry Espérandieu de s’occuper de ce
projet après avoir retoqué celui soumis
par Auguste Bartholdi (à qui l’on doit,
excusez du peu, la Statue de la Liberté
àNew York). Au XIX

e
,"on avait l’impres-
sion de ne pas avoir de monuments, on
n’avait pas de cathédrale gothique et
c’est pour ça que la Villeaeucette poli-

tique de construction très impression-
nante. Le palais est un des plus beaux
exemples d’architectureduXIX

e
siècle
en Europe. Ilafaitl’objet d’uneprése n-
tation dans la plus célèbre revue d’archi-
tecture de l’époque", indique Luc Geor-
get.

Classé 130 ans plus tard!
Chaque détail de la fontaine est pen-
sé pour symboliser l’importancede
l’eau. "Longchamp est une immense al-
légorie de pierre destinéeàmagnifier le
travail des hommes qui ont réussi le
tour de force d’amener l’eau de la Du-
rance au cœur de la ville", écritEmma-
nuel Laugier dans laRevue Marseille.
Dans son livre "Une histoire de Mar-
seille en 90 lieux"(éd. Gaussens), l’his-
torienne Judith Aziza décrit le bâti-
ment. "Le palais se compose de deux
ailesreliée sentre elles par une colon-
nade circulaire, au centre de laquelle
trône un monumental châteaud’eau.
Ce dernierest orné d’un vastegroupe
sculptéde 10 mètresdehaut,intitulé
LeTriomphe de la Durance, réalisé par
Jules Cavelier et représentant un char,
tiré par quatre taureaux de Camargue
et sur lequel sont installés trois person-
nages féminins allégories de la Durance
(au centre), du blé et de la vigne(sym-
boles des richesses apportéesàlaville
par le canal de Marseille). Deux bassins
et un jardin, construitsàmi-pente pour
que les cascades et les jets d’eau soient
visibles de loin, complètent l’ensemble."
Mais le palais ne résout pas seule-
ment le problème de l’eau, remarque
LucGeorget. "Lesdeuxétablissements
culturelsnés de la Révolution ontun
manque crucial de place:lemusée des
Beaux-Arts(lire ci-dessous)et le Mu-
séum d’histoire naturelle. On va les im-
planterdanscegrandmonument. En
plus, ilyaura un parc et un zoo. Jusqu’à

cettedate,ilyavaitassezpeud’espaces
vertsdansMarseillecommedansles
villesméditerranéennesparcequel’eau
est très précieuse pour les gens du Sud,
vous n’allez pas la dépenserpour arro-
ser des pelouses!" Étrangement, il fau-
dra attendre 1999 pour que le palais
soit classé monument historique dans
son ensemble. "Mieux vaut tard que ja-
mais", pouvait-on lire dansLe Méridio-
nalàcette date.En2013, lors de la tor-
nadeculturelleque fut l’année Capi-
tale européenne, le palaisafait l’objet
d’une profonde rénovation, les décors
peints noircis sont remis au jour, la
pierre retrouve sa blancheur... En jan-
vier 2018, au terme d’un chantier quali-
fié de "titanesque"par la Ville,les
grandes eaux rejaillissaient dansla fon-
tain eaprès 10 mois de travaux pour un
coûtde1,25 million d’euros.Ilnes’agis-
sait pas d’une simple restauration. Les
canalisations de 1860ont étérempla-
cées et des travaux de mise en circuit
fermé réalisés. Ce qui permet la préser-
vation de3millionsdemètres cubes
par an d’eaudouce qui se déversait
alors directement dans la mer.

Des festivités en décembre
Cette année,lamunicipalitéabien
l’intention de célébrer les 150 ans de ce
haut lieu patrimonial et touristique. Si
aucun programme n’est pour l’heure
arrêté, la fête devrait avoir lieu du 12 au
14 décembre, lorsque le musée des
Beaux-Arts rouvriraaprès 3mois de fer-
meture (soit après les Journées euro-
péennes du patrimoine), temps néces-
saire pour préparer l’exposition de 50
œuvres supplémentaires, entièrement
restaurées et quasiment inédites pour
les Marseillais.
Il ya50 ans, pour le centenaire de
l’édifice, le maire Gaston Defferre avait
déjà inauguré "la nouvelle salle de pein-
ture du musée des Beaux-Arts. Entière-
mentrénovéeetaménagée,cettesalle
contientdesœuvresquin’avaientpas
encore été montrées", retrouve-t-on
dans les archives de notre journal.
L’histoireatendanceàserépéter.

Lætitia GENTILI

Après des épisodes de sécheresse et une importante épidémie de choléra,
l’arrivée de l’eauamarqué un tournant dans la vie des Marseillais. Il fallait bien
un palais et une fontaine de 10mdehaut pour la célébrer!/PHOTO NICOLAS VALLAURI

C’est un espace souterrain aménagé sur l’un
des points culminants du palais Longchamp. Au
milieu du XIX

e
siècle et bien avant l’édification de
l’édifice, l’architecteHenri Espérandieuetl’ingé-
nieur Franz Mayor de Montricher ont imaginé
cet aménagement impressionnant.Savocation?
Filtrer et stockerl’eau de la Durance amenée par
le canal de Marseille, long de 90km. Une belle
idée certes. Mais rapidement abandonnée.Àces
deux réservoirsonapréféré d’autres bassins en
plein air moinsdifficilesàentretenir. Du coup,
depuis des dizaines d’années, ce doubleréser-
voir qui s’étendsur un hectare (l’équivalent de
deux terrainsde football!) demeure inexploité.
On yaccèd eseulementparunboyau étroit, avec
une échelle, depuis le plateau supérieurdupa-
lais Longchamp. Inutilede préparer votre casque
avec lampe frontale et de changer de chaussures
pouryparvenir:l’entrée est aussi bien protégée
que discrète, en un mot, inaccessible. En 2001,
un projet municipal un peu fou avaitprévu d’y

installer un aquarium géant dédiéàlafaune et à
la flore des eaux régionales,delaCamargue et de
la Méditerranée. Un dossiertombé auxou-
bliettes. Reste quecevasteterrain vagueaux
1200 colonnes est entièrement préservé.Unpa-
lais peut en cacher un autre.
Ph.F.

INSOLITE


Des réservoirs gigantesques enfouis


mais vides sous le parc Longchamp


Il ya150 ans, une révolution!

Le palais Longchamp, qui célèbre l’arrivée de l’eauàMarseille, était inauguré le 14 août 1869. La vie allait changer...


Le musée des Beaux-Arts occupe une aile du pa-
lais. Comment s’intègre-t-on, au quotidien, dans un
monument historique?
Le musée des Beaux-Artsétait installé dans l’église
des Bernardines depuis 1802. En 1869, le transfert a
été fait dans ce bâtiment. Henry Espérandieu était un
très grand architecte (on lui doit aussi la basilique de
la Bonne Mère). Sous cet aspect très décoratif, très ré-
fléchi, ilyaaussi une architecture d’une grande plasti-
cité puisqu’il conçoit des grands plateaux. Et donc on
peut faire ce qu’on veut. 150 ans après, ça reste tout
aussi fonctionnel même s’ilyaeu beaucoup de change-
ments. Comme l’électricité... Depuis 2013, les espaces
d’exposition sont climatisés aux Beaux-arts. Toutapu
être fait sans toucher de manière visible au monu-
ment, ce qui montre bien que l’architecte avait bien
pensé son projet.

Il yales deux musées, de nombreux événe-
mentsfesti fs sont organisésàLongchamp comme
Marseille Jazz des Cinq continents... La culture
est-elle un vecteurdemise en valeur de ce patri-
moinearchitectural?
La période du Second Empire est une période très glo-
rieuse pour Marseille,ycompris économiquement. On

assisteàungrand essor et la Ville finance un monu-
ment extraordinaire et l’offreàsapopulation. Grâce à
l’arrivée du canal, onacette impression de profusion.
Une profusion fictive puisque l’eau qu’on voyait jaillir
n’était pas perdue mais redistribuée. Toutaété bien
pensé. C’était un lieu festif, de plaisir de se cultiver,
desepromener dans les espaces verts.Etl’activité
culturelle qu’ilyaaujourd’hui dans le parc est dans la
continuité de ce qu’avait voulu le Second Empire.

Le palais reçoit un grand nombre de visiteurs.
Savent-ils qu’il s’agit du symbole de l’arrivée de
l’eauàMarseille?
Du symbole de l’arrivée de l’eau, je ne pense pas. En
revanche, je constate tous les matins en venant au mu-
sée que maintenant le palais Longchamp est inscrit
dans le circuit des tour-opérateurs, des croisiéristes
et des touristes. Je suis content de les voir sensibles à
ce monument, qui dans les années 60avait été un peu
oub liéalorsqu’aujourd’hui il est devenu un des ac-
teurs de la vie patrimoniale et culturelle de la ville.
C’est un lieu magique et théâtral. Même sans savoir
l’histoire de l’eau et de la Durance, sa monumentalité
parle toute seule.

L.GI.

RETROUVEZ SUR LAPROVENCE.COM
UNE SÉLECTION DE PHOTOS HISTORIQUES DU PALAIS LONGCHAMP

Marseille


3QUESTIONS À LUCGEORGET,CONSERVATEUR DUMUSÉEDESBEAUX-ARTS


"Un lieu festif, de plaisir, de culture


et de promenade qui attire les touristes"


Sous le palais Longchamp, dans sa partie haute,
des galeries abritent des réservoirs inutilisés.

"Un des plus beaux


exemples d’architecture du


XIX


e
siècle en Europe."

3
http://www.laprovence.com

75213

Free download pdf