Temps - 2019-08-14

(C. Jardin) #1
MERCREDI 14 AOÛT 2019 LE TEMPS

Sport 13

LIONEL PITTET
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Perchée à 1000 mètres d’altitude
dans le Jura vaudois, la vallée de
Joux ne manque pas d’attrait en été.
Mais ce n’est ni pour randonner
dans les verts pâturages, ni pour
visiter les chalets d’alpage, ni pour
déguster le poisson du lac en ter-
rasse que des visiteurs y monteront
par centaines de l’Arc lémanique ce
mercredi. Ils feront le déplacement
pour assister au premier gros
match de préparation du Lausanne
HC, prévu à 19h30 contre les Russes
du CSKA Moscou sur la glace de la
patinoire du Sentier.
En Suisse, la saison de hockey est
une orgie de sept mois, et cin-
quante rencontres par équipe
avant même le début des play-off.
Dans la foulée de l’épilogue du
championnat de Ligue nationale A
(le 20 avril cette année), les pas-
sionnés ont encore les Mondiaux
annuels à se mettre sous la dent.
Mais dès le début du mois de juin
la pénurie s’installe, et en août les
carences menacent. Pour mettre
fin à la privation, ils peuvent comp-
ter sur les Hockeyades.


La fin des derbys
La 24e édition de l’événement
propose cette semaine une ren-
contre par soir depuis lundi, jusqu’à
samedi. Le CSKA Moscou (cham-
pion de la KHL est-européenne) en
joue trois, le HK Nitra (vice-cham-
pion de Slovaquie) deux, les Brû-
leurs de Loups de Grenoble (cham-
pion de France) un. Et surtout, les
trois équipes romandes de Ligue
nationale A en disputent deux cha-
cune, alors que leurs supporters ne
les ont pas vues à l’œuvre depuis
longtemps. C’est ce qui explique le
succès populaire du rendez-vous,
organisé par la société anonyme qui
exploite le Centre sportif de la val-
lée de Joux.
Ce mercredi soir, les gradins de la
patinoire du Sentier pourraient
accueillir quelque 3000 personnes



  • vraisemblablement la plus belle
    affluence de la semaine. «Pour les
    fans du LHC, c’est devenu une véri-
    table tradition de venir chez nous»,
    acquiesce Laurent Ardiet, qui pilote
    l’événement depuis dix-sept ans,
    entre deux sollicitations de respon-
    sables des équipes engagées.


Au bout du fil, un habitué
confirme, presque en comptant les
heures: «Le Sentier, ce n’est pas
loin, et pour tous les impatients
c’est une bonne occasion de voir
les nouvelles têtes de l’équipe, d’en
savoir plus sur l’alignement que
prépare l’entraîneur, même si à ce
stade de la préparation l’effectif va
forcément encore évoluer. Il n’y a
pas que les ultras qui montent à la
vallée de Joux, mais tous les amou-
reux du club qui n’en peuvent plus
de ces mois sans hockey...»
La formule des Hockeyades a
beaucoup varié avec le temps. Cette
année, pour la première fois, il ne
s’agit pas d’un tournoi (avec classe-
ment, finales, vainqueur) mais
d’une simple succession de matchs
«amicaux». Un compromis qui s’ex-
plique par le fait que les équipes

n’ont pas toutes les mêmes attentes
au niveau du nombre de rencontres
à jouer sur la semaine, et du type
d’adversaires souhaités. Voilà par
exemple quelques années que les
derbys romands ont disparu du
programme. A l’exception de
Genève-Servette qui ne s’y oppose-
rait pas, les clubs – qui s’affronte-
ront déjà six fois lors de la saison
régulière – préfèrent jouer des for-
mations étrangères.
Accoudé à la bande pendant l’en-
traînement de ses joueurs, le
manager général du HK Nitra
Tomas Chrenko comprend parfai-
tement la problématique. «Nous
sommes ici pour la deuxième fois,
et ce que nous apprécions tout
particulièrement, c’est le fait de
ne pas nous préparer en affron-
tant des équipes que nous retrou-

verons en championnat. C’est
beaucoup plus sain.»
Pour remplir la patinoire du Sen-
tier, il n’y avait toutefois pas mieux
qu’un bon derby romand. Il faut
désormais faire sans. «Il y a plu-
sieurs manières d’analyser le suc-
cès des Hockeyades, relativise
Laurent Ardiet. Sur l’événement en
lui-même, il n’est pas simple d’équi-
librer le budget. Nous y parvenons,
mais nous ne gagnons pas beau-
coup d’argent. Ce qu’il faut prendre
en compte, c’est d’une part les
affaires qui sont faites au niveau
restauration et hôtellerie, et d’autre
part les bénéfices en matière de
communication pour la vallée de
Joux. La présence du CSKA Mos-
cou, peut-être la meilleure équipe
européenne, met en valeur nos
installations. Elle fait passer le mes-

sage à toutes les autres formations
qu’elles peuvent venir chez nous en
toute confiance.»

Bulle de tranquillité
Il y a dans l’effectif russe de véri-
tables stars. Ce mardi, l’équipe a
congé. Certains joueurs se baladent
au restaurant du Centre sportif en
toute décontraction. D’autres
regardent distraitement l’entraîne-
ment du HK Nitra. Quelques kilo-
mètres plus loin, quelques-uns plai-
santent sur la terrasse face au lac de
l’Hôtel Bellevue, au Rocheray, dans
l’indifférence des retraités qui
arpentent les rives. La vallée de Joux,
cette bulle de tranquillité... «Les
joueurs peuvent se promener, parler
avec les gens, faire du vélo, valide
Tomas Chrenko. C’est idéal pour
renforcer l’esprit d’équipe, car c’est

calme.» Trop calme? Nouveau
directeur du Centre sportif, Yann
Rohrbach, vit ses premières Hoc-
keyades et il n’a qu’une envie: en (re)
faire une véritable fête populaire,
qui attirerait bien au-delà du cercle
des passionnés de hockey sur glace,
par ailleurs nombreux dans la
région. «Nous devons travailler sur
les animations, la qualité du ser-
vice, et continuer d’appliquer une
politique de prix attractive, de
manière à ce que tous les Combiers
[les habitants de la vallée de Joux]
viennent pour la convivialité,
même s’ils ne s’intéressent pas trop
aux matchs. Et en parallèle, il faut
bien sûr continuer d’avoir une
superbe affiche chaque soir.»
Car c’est bien pour le hockey que
des mordus se déplacent de toute
la Suisse romande. ■

Le Lausanne HC a déjà affronté le CSKA Moscou l’an dernier au Sentier. (PLANÈTE HOCKEY)

Avec les Hockeyades, la fin du sevrage


HOCKEY Les meilleures équipes romandes disputent traditionnellement leurs premières «grosses» rencontres de préparation lors


de l’événement organisé à la mi-août à la vallée de Joux. L’occasion d’un pèlerinage pour des supporters impatients


LAURENT FAVRE


t @LaurentFavre


Partout ailleurs, le journal des transferts
est le feuilleton de l’été. Partout mais pas
en Suisse, où seule l’arrivée à Sion d’un
Valon Behrami quand même un peu au
bout du scotch a de quoi faire rêver les
supporters et perturber l’habituel chas-
sé-croisé des bons joueurs qui quittent la
Super League (Benito, Mbabu, Sow, Ajeti,
Suchy) et des inconnus qui les remplacent
dans l’espoir de se faire un nom.
Le phénomène est bien identifié. Ce qui
est nouveau cette saison, c’est que tous les
clubs de Super League se «renforcent»
dans les divisions inférieures. Même
Young Boys, le champion, potentiel parti-
cipant à la Ligue des champions, a recruté
dans les deuxièmes divisions suisse (Bürgy
à Aarau, Teixeira à Rapperswil), française
(Martins Pereira à Troyes) et anglaise
(Janko à Nottingham Forest). YB a certes


appliqué l’ancienne méthode du FC Bâle
(affaiblir ses rivaux en lui prenant son
meilleur joueur: Sierro à Saint-Gall, Spiel-
mann à Thoune, Zesiger à GC) mais il a
surtout copié son petit voisin de Thoune,
passé maître dans l’art de dénicher des
bons joueurs en Challenge League, voire
en Promotion League.
«Faire comme Thoune» semble d’ailleurs
être le mot d’ordre de l’été. Lucerne a
recruté à Kriens, Winterthour, Lausanne.
Xamax a prospecté à «Rappi» et «Winti»
et est même descendu jusqu’en Promotion
League pour en extraire Dugourd
(Carouge), Farine (Bellinzone) et Alic
(Bavois). Saint-Gall a aussi pris trois
joueurs en Challenge League, et encore
deux en troisième et quatrième Bun-
desliga, après avoir été chercher cet hiver
Victor Ruiz en Tercera, la quatrième divi-
sion espagnole. Et Thoune, bien sûr, a fait
du Thoune avec sept de ses huit recrues
estivales dénichées en Challenge League.

Du 12e au 17e rang européen
Le football suisse, déclassé cette saison du
12e au 17e rang UEFA, est-il tombé si bas qu’il
ne pourrait plus attirer que des joueurs de
troisième ordre? «C’est la réalité du marché,
répond l’agent de joueurs Lorenzo Falbo,

qui a notamment transféré l’attaquant du
LS Francesco Margiotta au FC Lucerne. En
Super League, à l’exception de YB, Bâle et
Sion, les clubs offrent des salaires moyens
de 15 000 à 20 000 francs par mois. Dans les
cinq grands championnats européens, et
même en deuxième division anglaise, c’est
cinq, six, sept fois plus.»
Au fil des années, le championnat de
Suisse s’est fait piquer le marché des
retraites dorées par la Chine, celui du camp
de base européen par les Pays-Bas et le Por-
tugal, et même celui de la ligue de dévelop-
pement par la France et le Championship.
Le FC Bâle, qui en 2012 pouvait encore
signer Salah, Elneny et Schär pour un peu
plus de 3 millions de francs, a réduit son

train de vie en 2016 et n’a investi que 1 million
cet été pour le jeune défenseur paraguayen
Omar Alderete. Les autres recrues viennent
des M21, de retour de prêt, d’Aarau ou de six
bons mois à Xamax (Ademi).
«Il ne faut pas juger ces joueurs sur le
prestige de leur précédent club, plaide
Lorenzo Falbo. Je suis souvent en Espagne,
je vois des matchs de Segunda et Segunda
B [deuxième et troisième divisions], il y a
beaucoup de très bons joueurs qui ont juste
raté le coche à un moment, parce que la
sélection se fait très vite et de plus en plus
tôt.» «Je suis persuadé qu’il y a quantité
de bons joueurs qui ne percent pas faute
d’avoir eu l’opportunité», nous expli-
quait Andres Gerber, directeur sportif du
FC Thoune, en octobre 2018.
La politique de transfert du Servette FC
illustre ces propos. En ce début de saison,
le néo-promu surprend, notamment son
milieu de terrain Timothé Cognat, 21 ans,
formé à Lyon sans avoir pu y percer. Prêté
cet hiver, il a depuis été transféré pour
70 000 euros, une somme modeste au vu
de son potentiel. Servette tente le même
coup avec le prêt de Rayan Souici, 21 ans,
11 minutes de Ligue 1 en août 2017 avec
Saint-Etienne. «L’engagement d’un joueur
doit permettre au coach de combler un

profil précis jugé manquant mais éviter
que le club se mette des charges sur le dos
pour des années», explique le président
servettien Didier Fischer. Recruter dans
les divisions inférieures, en Challenge
League suisse (Michael Gonçalves, Wil,
Varol Tasar, Aarau) ou en National français
(Koro Koné l’an dernier, Cognat cet hiver,
Souici cette semaine), répond à ce double
impératif, à moindre coût et avec la possi-
bilité de mettre un talent en vitrine.
Mais Servette a également su attirer deux
joueurs plus confirmés venus de champion-
nats plus cotés: Vincent Sasso (Belenenses,
Portugal) et Gaël Andoua (Anzhi Makhach-
kala, Russie). Cela reste possible à condition
d’entamer «une longue parade nuptiale
pour les séduire», image Didier Fischer, ou
de profiter d’une faille (pépin de santé, pro-
blème d’acclimatation, salaires impayés,
mauvais choix de carrière) qui rend le
joueur momentanément accessible. «Chris-
tian Constantin dit qu’en Suisse nous
n’avons que les soldes. Je n’irai pas jusque-là,
mais nous devons être très créatifs. Je suis
persuadé qu’à l’avenir, c’est la qualité du
«scouting» qui fera la différence en Super
League. C’est pour cela que notre premier
transfert a été de recruter Gérard Bonneau,
un recruteur confirmé.» ■

En Suisse, le «Thouning» de la Super League


TRANSFERT Comme le FC Thoune,
presque tous les clubs suisses se sont
«renforcés» en recrutant dans les divi-
sions inférieures. Certains sont descendus
jusqu’en troisième et quatrième divisions.
Ce qui n’exclut pas les bonnes surprises

Les matchs (tous
les jours à 19h30)
Lundi: Fribourg-
Gottéron – HK
Nitra 4-2.
Mardi: Genève-
Servette – HK
Nitra.
Mercredi:
Lausanne HC


  • CSKA Moscou.
    Jeudi: Genève-
    Servette – CSKA
    Moscou.
    Vendredi:
    Fribourg-Gottéron

  • CSKA Moscou.
    Samedi: Lausanne

  • Brûleurs de
    Loups Grenoble.


À VOIR

«Je suis persuadé qu’il

y a quantité de bons

joueurs qui ne percent

pas faute d’avoir eu

l’opportunité»

ANDRES GERBER, DIRECTEUR SPORTIF
DU FC THOUNE
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