Temps - 2019-08-14

(C. Jardin) #1
LE TEMPS MERCREDI 14 AOÛT 2019

2 Actualité


ANTONINO GALOFARO, GÊNES
t @ToniGalofaro


Une route traverse les collines
de débris. Depuis deux jours, la
rue Fillak est partiellement rou-
verte. Elle ne souffre plus de
l’ombre des restes du pont
Morandi, effondré il y a un an. Le
quartier, coupé en deux jusqu’en
début de semaine, peut respirer
à nouveau. La destruction est offi-
ciellement terminée. Un vent
positif souffle ainsi sur le fau-
bourg. La rue «me fait penser à
un pays bombardé ou à Alep, en
Syrie», tranche pourtant Franco
Ravera, représentant du Comité
des déplacés du quartier. La chute
du pont a en réalité brisé une
communauté. Contrairement aux
autres habitants, ce fonctionnaire
public fait partie des quelque 566
personnes contraintes de quitter
leur logement dans la zone rouge.
Il habitait sous la structure. Il vit
désormais dans le centre de Gênes.


L’homme a décidé de quitter le
quartier, alors qu’une large majo-
rité des déplacés a choisi de rester
près des ruines. Tous ont dû vendre
leurs habitations aux autorités. La
loi interdisant désormais de
construire sous les ponts, ces loge-
ments ont été rasés. Mais tous les
14 du mois, comme ce mercredi, ils
se réunissent pour retrouver une
communauté et se rappeler les dis-
parus. Ils n’ont pourtant pas été
invités aux commémorations offi-
cielles du premier anniversaire de
la catastrophe.
Sous le pont fantôme, où com-
mence déjà à s’élever la pile en


construction du nouveau pont
imaginé par le célèbre architecte
génois Renzo Piano, une tente
provisoire est montée. Mercredi,
elle doit abriter une messe com-
mémorative conduite par l’arche-
vêque de la ville peu avant 11h36,
à l’heure de l’écroulement qui a
emporté la vie de 43 personnes.
Aux côtés des familles de ces vic-
times, le premier ministre Giu-
seppe Conte, le président de la
République Sergio Mattarella et
le ministre de l’Intérieur et chef
de la Ligue Matteo Salvini

devraient mettre la crise poli-
tique actuelle entre parenthèses
le temps de se recueillir.

Récupération politique
Mais les Génois directement tou-
chés par la catastrophe s’inquiètent
d’une récupération politique du
drame. Ils la craignaient déjà avant
la crise ouverte par la Ligue, le parti
d’extrême droite au pouvoir cette
dernière année. «J’espère que leur
présence ne se transformera pas
en tribune, au détriment de la
mémoire des disparus», confiait

dans la presse transalpine Giu-
seppe Matti Altadonna, le père de
l’une des victimes.
Les déplacés sont donc au fond
soulagés de ne pas avoir été invi-
tés. Ces Génois du quartier lon-
geant la rivière Polcevera ne
veulent plus écouter la parole des
politiciens et leurs contradic-
tions. Le maire de la ville et com-
missaire à la reconstruction,
Marco Bucci, a tenté de les rassu-
rer lundi en «se portant garant»
des promesses déjà faites. «La
crise politique n’influera en

aucun cas sur les travaux», a-t-il
ainsi assuré. Contrairement aux
politiciens nationaux, l’homme a
conservé l’oreille de ses habitants.
Marco Bucci prend la parole à
l’occasion de la fin officielle de la
démolition du pont, à deux jours
du premier anniversaire de la
catastrophe. L’événement est
passé inaperçu. Comme symbole
de la démolition, les Italiens se
rappellent plutôt les impression-
nantes images de la tonne d’explo-
sifs abattant en juin les deux der-
nières piles, disparues dans un

vrombissement et sous d’impo-
santes colonnes de fumée. Le
chantier doit maintenant être
complètement libéré de milliers
de mètres cubes de débris d’ici à
la fin septembre, après «sept mois
difficiles», a lâché en début de
semaine dans un souffle de sou-
lagement Vittorio Omini, à la tête
du consortium de sociétés char-
gées de la destruction.

Responsabilités inconnues
«On ne parle plus de démolition,
mais de reconstruction», s’est
aussi réjoui le président de la
Ligurie, Giovanni Toti, un ancien
ponte de Forza Italia, le parti de
Silvio Berlusconi aujourd’hui
tenté par l’aventure salvinienne.
La nouvelle structure devrait être
inaugurée en avril prochain, après
huit mois de travaux. Mais, en
attendant, la démolition a été mal
vécue par les habitants du quar-
tier, angoissés par la découverte
d’amiante dans les parties abat-
tues du pont.
«Jour et nuit, on entendait le
marteau-piqueur détruire la pile,
se rappelle Salvatore Scialfo, un
retraité résidant à une centaine
de mètres du chantier. Sans parler
de la poussière que l’on devait
respirer.» Dans l’obscurité de son
petit garage, le vieil homme paraît
pourtant serein. Il est reconnais-
sant à la classe politique locale
d’avoir respecté ses promesses et
la perspective positive de la
reconstruction le réjouit.
Mais cette communauté brisée
et aujourd’hui recomposée
attend toujours de connaître le
responsable du drame. L’enquête
préliminaire est toujours en
cours. Une septantaine de per-
sonnes est sous enquête, notam-
ment pour «attentat à la sécurité
des transports», pour «homicide
involontaire et routier» ou encore
pour «faux». Un rapport d’exper-
tise indique des «défauts d’exé-
cution» par rapport au projet
initial et un «manque significatif
d’interventions de manuten-
tion». La dernière intervention
dite «efficace» remonte au milieu
des années 1990. ■

Débris issus de la destruction des piles orientales du pont, fin juin. (VINCENZO PINTO/AFP)

Gênes, à l’heure de la reconstruction


ITALIE Le pont Morandi avait emporté la vie de 43 personnes en s’effondrant il y a un an. Les habitants du quartier respirent à


nouveau, la structure ayant disparu. Une messe commémorative doit avoir lieu ce mercredi en présence de nombreux politiciens


DENIS BLIN
t @DenisBlin


Assiste-t-on à l’ultime offensive des
forces de Bachar el-Assad dans sa
reconquête de la Syrie, annoncée
depuis des mois? La pression sur les
forces d’opposition se fait en tout cas
grandissante ces derniers jours.
Dimanche, l’armée syrienne a conquis
la localité d’Al-Habit, dans le sud
d’Idleb, des mains «du groupe djiha-
diste Hayat Tahrir al-Cham et de
groupes rebelles», selon Rami Abdel
Rahmane, directeur de l’Observatoire
syrien des droits de l’homme (OSDH),
cité par l’AFP. Les combats «acharnés»
ont fait 61 victimes au total, selon
l’ONG, au lendemain d’affrontements
qui avaient déjà provoqué la mort de
70 combattants.
Idleb, dominée par les djihadistes,
est la dernière grande ville à échapper
aux forces de Bachar el-Assad. Depuis
avril et la reprise des offensives du
régime syrien et de son allié russe, plus
de 3000 personnes ont été tuées, dont
810 civils, dans la région, selon l’OSDH.


Plus de 400 000 personnes ont par
ailleurs été déplacées, d’après l’ONU.
«Le régime syrien et les Russes sont
en train de créer une bombe à retar-
dement humanitaire en poussant les
civils vers le nord, s’alarme Fabrice
Balanche, spécialiste de la géographie
politique de la Syrie. Les combats
vont durer. Et dormir sous les oliviers
l’été, ça va, mais en novembre ou
décembre, c’est beaucoup moins
bien... La Turquie, notamment,
appréhende l’hiver et l’arrivée de
réfugiés vers sa frontière.»

Une zone tampon
d’au moins 30 kilomètres
La Turquie est l’autre acteur majeur
dans cette partie de la Syrie. Soutien
prudent de la rébellion anti-Assad,
Ankara tente depuis des mois d’impo-
ser le long de sa frontière une zone
tampon d’au moins 30 km en territoire
syrien. L’objectif du président Erdogan
est de chasser de cette zone les Unités
de protection du peuple (YPG), des
milices kurdes considérées comme
terroristes par la Turquie. Une initia-
tive freinée par la pression des Etats-
Unis, qui soutiennent les YPG. Le
groupe armé kurde a été en première
ligne dans la victoire sur l’Etat isla-
mique et compte désormais sur le
soutien américain face aux Turcs.

Lundi, une délégation américaine est
arrivée en Turquie, selon l’AFP, après
que les Etats-Unis se sont dits prêts à
mettre en place, en coopération avec
Ankara, «une zone de sécurité» dans
le nord de la Syrie. «On est loin d’un
accord, tout ça est très fragile, tempère
Fabrice Balanche. Erdogan commence
à perdre patience, il s’apprêtait à lan-
cer l’offensive. Les Etats-Unis ont tout
fait pour désamorcer la crise en pro-
mettant une zone de désescalade. Mais
les Turcs ont prévenu qu’au moindre
retard ou faux pas, ils emploieraient
la manière forte.»
Fabrice Balanche estime que le
régime syrien, en revanche, pourrait
laisser Ankara aller au bout de son
plan. «Idleb et le nord-est kurde sont
liés. Les Russes, alliés du régime

syrien, et les Turcs ont déjà beaucoup
négocié: la Russie a pu reprendre des
territoires dans l’est en échange de la
possibilité pour la Turquie d’interve-
nir dans l’ouest et ainsi empêcher la
jonction des zones tenues par les
Kurdes. C’est le même type d’accord à
l’œuvre dans la région d’Idleb.» Fabrice
Balanche voit notamment l’avancée du
régime et de Moscou à Idleb comme
une réponse à la prise de la ville kurde
d’Afrine, près de la frontière turque,
par Ankara en 2018.
La Turquie connaît cependant ses
limites. Membre de l’OTAN, elle doit
composer avec ses partenaires occi-
dentaux, en premier lieu les Etats-
Unis. Ankara a récemment provoqué
la colère de Washington en achetant
des missiles à la Russie, un pied de
nez que Donald Trump a menacé de
sanctionner. Les Etats-Unis pos-
sèdent surtout des troupes dans le
nord-est de la Syrie et ne comptent
pas se désengager si facilement sous
la pression turque. Une présence qui
maintient un semblant d’ordre
autant qu’elle fait craindre un rai-
dissement des positions. «Le pro-
blème étant que plus les Américains
restent, plus ils soutiennent les
Kurdes et plus les populations arabes
se tournent vers l’Etat islamique»,
estime Fabrice Balanche. ■

En Syrie, la poche d’Idleb fond sous les assauts


PROCHE-ORIENT La pression des
troupes syriennes s’est accentuée ces
derniers jours dans le nord-ouest du
pays, non loin de territoires convoités
par l’armée turque


«Le régime syrien

et les Russes sont

en train de créer

une bombe

à retardement

humanitaire»
FABRICE BALANCHE, SPÉCIALISTE DE LA SYRIE

Les Américains

n’aiment pas la Chine

Les Américains n’ont jamais eu une
opinion aussi négative de la Chine depuis
au moins une quinzaine d’années, selon
une étude du Pew Research Center publiée
mardi: 60% des personnes interrogées ont
une opinion «défavorable» de la Chine,
contre seulement 47% en 2018; 24% d’entre
elles, soit le double qu’en 2007, placent ce
pays parmi ceux qui représentent «la plus
grande menace pour les Etats-Unis à
l’avenir», à égalité avec la Russie. AFP

Accès bloqués à l’aéroport

de Hongkong

L’aéroport de Hongkong a connu mardi
une deuxième journée de chaos avec la
suspension ou l’annulation de centaines de
vols du fait des manifestations pro-
démocratie. Contrairement aux sit-in
pacifiques de ces derniers jours, les
protestataires ont cette fois bloqué les
accès aux zones de contrôle de sécurité. Ils
ont érigé des barricades à l’aide de
chariots à bagages pour bloquer les accès
aux zones de sécurité, avant de former une
chaîne humaine afin d’empêcher les
passagers de passer. AFP

EN BREF

La nouvelle


structure devrait


être inaugurée


en avril prochain,


après huit mois


de travaux

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