Temps - 2019-08-14

(C. Jardin) #1
MERCREDI 14 AOÛT 2019 LE TEMPS

Actualité 3

BORIS BUSSLINGER
t @BorisBusslinger

«La criminalité porte un nom:
l’immigration démesurée.» C’est
sous ce nouveau slogan que l’UDC
avait convié la presse ce mardi à
Berne. Au menu: «L’état d’anarchie
vers lequel s’achemine le pays» en
raison «de l’immigration incon-
trôlée, des frontières ouvertes, de
l’espace Schengen, de l’Union
européenne et de la justice
laxiste». La Suisse est devenue «la
Mecque des criminels étrangers»,
avertit le parti, qui tape du poing
sur la table.
«Cette conférence de presse n’a
rien à voir avec les élections fédé-
rales d’octobre», a en outre assuré
Albert Rösti, le président de l’UDC.
En baisse dans les sondages, les
conservateurs ont toutefois invo-
qué des thématiques – classiques
du parti et sorties de toute actua-
lité – qui semblent indiquer qu’ils
peinent à se réinventer.
En 2018, affirme l’UDC, les per-
sonnes accusées de viol étaient à

60% d’origine étrangère, les cas
de violence domestique étaient de
manière prépondérante le fait de
migrants et, de manière générale,
le nombre de ressortissants
étrangers inculpés pour une vio-
lation du Code pénal était en aug-
mentation de 4%. Compte tenu de
leur part dans la population totale


  • environ 25% –, le parti tire la
    conclusion que «les migrants sont
    surreprésentés chez les crimi-
    nels». Et appelle à agir.


Ne plus traiter les criminels
«avec ménagement»
Pour endiguer le phénomène, la
formation politique propose de
«renoncer aux peines pécuniaires,
de cesser de traiter les criminels
avec ménagement, de protéger
davantage les agents de police, et,
enfin, de finalement appliquer
l’initiative pour le renvoi des étran-
gers». Quant à de possibles
mesures d’intégration, Albert
Rösti objecte que «ce n’est pas l’af-
faire de l’Etat». Les étrangers bien
intégrés sont évidemment les bien-

venus, souligne-t-il, «car la Suisse
a besoin de force de travail». Tou-
tefois, «ceux qui ne se conforment
pas aux règles, avertit le Bernois,
eh bien ceux-là doivent partir».

De l’autre côté du spectre poli-
tique, la nouvelle prise de posi-
tion des conservateurs est jugée
d’un œil las: «Le parti doit brûler
des cierges pour que des vagues
de migrants reviennent ou qu’un
étranger commette un crime,
raille Roger Nordmann, chef de
groupe socialiste sous la Coupole.
Ils n’ont rien à proposer pour le
pays et ils ne se positionnent pas

sur les thématiques phares de la
campagne: ni le climat, ni les
assurances sociales, ni la condi-
tion féminine. Ils en reviennent
donc à leurs thèmes habituels,

comme la sécurité. Sans réussir
à les faire décoller.»
Quid toutefois des problèmes de
surreprésentation des citoyens
étrangers dans les statistiques cri-
minelles suisses? «Il faut travailler
à une meilleure intégration et faire
fonctionner la justice», répond
succinctement Roger Nordmann.
Quant à la dénonciation des sévices
subis par les femmes, le conseiller

national s’esclaffe: «Au parlement,
l’UDC s’oppose systématiquement
à toute mesure en faveur de l’éman-
cipation féminine. Ils n’ont aucune
légitimité sur la question.» La
conférence de presse du jour,
conclut-il, ne traduit qu’une
«obsession du parti névrotique et
désespérée vis-à-vis des étran-
gers».
Le camp bourgeois n’est pas
beaucoup plus tendre. Lassée, la
sénatrice zurichoise Doris Fiala
(PLR) regrette que les conserva-
teurs «ne traitent pas des sujets
qui font avancer le pays»: «L’UDC
veut gagner des votes auprès des
gens qui se sentent défavorisés et
ont peur du futur. Thématiser à
nouveau sur les dangers liés aux
étrangers, c’est leur marketing
habituel. C’est leur droit de travail-
ler comme ça mais c’est malheu-
reux. Beaucoup de dossiers
demandent de l’engagement poli-
tique positif. Mais pour cela, il faut
des politiciens constructifs et une
prédisposition au compromis.»
«Nous pouvons livrer des mar-
chandises dans un marché de
500 millions de consommateurs
au sein de l’Union européenne,
rappelle-t-elle. Notre économie
d’exportation en profite, et les
Suisses en profitent. Cette ouver-
ture fait partie du bien-être du
pays. Toutefois, tout a un prix.
Schengen recèle des avantages et
des inconvénients, ce que l’UDC
sait. Mais il faut désormais avan-
cer. Je considère les Suisses
comme intelligents, et je pense
qu’ils sont fatigués d’écouter ces
mêmes rengaines sans vraies pro-
positions de solution.»

Une actualité défavorable
aux thèses défendues
«Le succès du parti dépend de
l’étranger, expliquait en juin der-
nier le politologue Georg Lutz. Or
les migrations sont en baisse, l’asile
aussi, et la question d’un accord-
cadre avec Bruxelles est trop com-
plexe pour s’en servir de manière
émotionnelle. Affirmer que la
Suisse est en crise à l’heure actuelle
est difficile, même pour l’UDC.»
Têtus, les conservateurs pensent
vraisemblablement le contraire.
L’actualité ne leur facilite toutefois
pas la tâche: la semaine dernière,
Berne annonçait la suspension du
centre fédéral des Verrières (NE),
dont l’objectif premier était d’hé-
berger des requérants adultes «au
comportement de nature à trou-
bler l’ordre public». Ouvert moins
d’une année auparavant, en
décembre 2018, le lieu était «lar-
gement sous-occupé». ■

L’UDC enfonce le clou sécuritaire

SÉCURITÉ La formation conservatrice dénonce une fois de plus la criminalité étrangère. Une obsession

qui ressemble à un aveu d’impuissance, selon de nombreux observateurs

ATS


Les CFF doivent répondre du
dommage subi par un octogénaire
poussé sur la voie par un toxico-
mane incapable de discernement.
Le Tribunal fédéral rejette le
recours du transporteur à la suite
d’un incident survenu à Affoltern
am Albis (ZH) en 2016.
Le 21 mars 2016, l’homme âgé de
85 ans avait été précipité sur les
voies alors qu’un convoi entrait en
gare. Traîné sur plusieurs mètres,
le malheureux avait été griève-
ment blessé. Arrêté deux jours
plus tard, l’auteur avait été déclaré
totalement irresponsable en rai-
son de sa toxicomanie et d’un
trouble psychique.
Devant le Tribunal de commerce
du canton de Zurich, la victime
avait obtenu des CFF une indem-
nité de 35 000 francs. Les juges
estimaient que le risque inhérent
à l’exploitation d’un chemin de fer
était réalisé, que la compagnie
répondait du dommage en vertu
de la loi sur le chemin de fer et
qu’une suppression ou une réduc-
tion du montant en raison de l’ac-
tion d’un tiers étaient exclues.


La cause des conséquences
Les CFF ont fait appel de cette
décision devant le Tribunal fédé-
ral. Selon eux, les juges zurichois
auraient dû conclure, dans leur
évaluation des causes, que le risque
lié à l’exploitation d’un chemin de
fer passait largement derrière le
danger créé par l’action intention-
nelle de l’auteur. La régie invoquait
les motifs d’exclusion de respon-
sabilité mentionnés dans la loi, soit
la force majeure et la faute grave
du lésé ou d’un tiers.
Dans un arrêt publié mardi, le
Tribunal fédéral relève que les tra-
vaux préparatoires relatifs à la
révision récente de la loi montrent
que le législateur visait les per-
sonnes suicidaires. Dans ce
contexte, il n’est guère possible
d’étendre son application à
d’autres cas. Cela reviendrait à
restreindre la responsabilité à rai-
son du risque des compagnies de
chemins de fer dans une mesure
incompatible avec le principe de
la responsabilité causale stricte.
En l’espèce, les juges de Mon-Re-
pos soulignent que la gravité des
blessures de la victime est due au
fait qu’elle a été traînée par le
convoi. Dans des conditions ordi-
naires, l’action de l’auteur n’au-
rait pas eu du tout les mêmes
conséquences. Pour ces raisons,
le Tribunal fédéral a conclu au
rejet du recours. ■


JUSTICE Le Tribunal fédéral
considère que les blessures ont
été causées par le convoi


Vieillard poussé


sous un train:


les CFF


responsables


«Le parti doit brûler des cierges

pour que des vagues de migrants

reviennent ou qu’un étranger

commee un crime»
ROGER NORDMANN, CHEF DE GROUPE SOCIALISTE DES CHAMBRES FÉDÉRALES

MICHEL GUILLAUME, BERNE
t @mfguillaume


Le Conseil des Etats a senti le vent tour-
ner. Ce mardi 13 août, sa Commission de
la sécurité sociale et de la santé publique
(CSSS) a durci la loi sur le tabac proposée
par le Conseil fédéral, de manière à ce que
la Suisse puisse ratifier la conven-
tion-cadre de l’OMS. Même si elle ne sera
déposée que le 12 septembre prochain,
l’initiative populaire pour mieux protéger
les enfants et les mineurs a déjà eu un


premier effet. «Nous allons dans la bonne
direction, mais nous ne sommes pas
encore au but», a commenté le conseiller
aux Etats Hans Stöckli, président de l’Al-
liance pour la santé en Suisse.
En 2016 encore, le Conseil des Etats avait
capitulé devant le lobby de l’industrie du
tabac. Il avait renvoyé une loi du Conseil
fédéral, dont le ministre de la Santé Alain
Berset était ensuite revenu avec une loi
minimaliste, abandonnant de nom-
breuses mesures restrictives.

Un Conseil fédéral trop frileux
Surprise! La CSSS de ce même Conseil
des Etats a changé d’avis, et c’est elle qui
trouve aujourd’hui le gouvernement trop
frileux. Elle veut interdire la vente de pro-
duits du tabac aux personnes de moins de
18 ans. C’est dire que les 12 cantons qui
connaissent un régime plus laxiste, soit

une limite fixée à 16  ans seulement,
devront adapter leur législation.
La CSSS veut aussi créer les condi-
tions-cadres pour que la Suisse – un des
rares pays à ne pas avoir ratifié la conven-
tion de l’OMS pour la lutte antitabac –
puisse le faire. Cela implique plusieurs
mesures sur lesquelles elle refusait d’en-
trer en matière voici trois ans encore. Elle
interdit ainsi à l’industrie du tabac le par-
rainage d’événements présentant un
caractère international, une mesure qui
touchera le Montreux Jazz Festival et Art
Basel. Dans la foulée, elle s’oppose aussi
au soutien d’activités organisées par la
Confédération. Inutile de dire que la CSSS
du Conseil des Etats n’a pas goûté le par-
tenariat conclu par Présence Suisse avec
Philip Morris en tant que sponsor princi-
pal du stand suisse à l’exposition univer-
selle de Dubaï en 2020. A la suite d’une

intense polémique très médiatisée, le chef
des Affaires étrangères Ignazio Cassis a
fini par annuler ce partenariat qui portait
sur 1,8 million de francs.

Un lobby plus puissant
A chaque fois, la commission a pris ses
décisions à une très forte majorité de ses
13 membres. C’est dire que l’absence de
Josef Dittli (PLR/UR), remplacé au pied levé
par un collègue, n’a joué aucun rôle. Avant
la séance, certains y avaient vu une
manœuvre du lobby du tabac. Depuis qu’il
est devenu président de l’association faî-
tière des caisses Curafutura, l’Uranais doit
se préoccuper davantage de prévention
dans le domaine de la santé.
Selon le sénateur Didier Berberat (PS/
NE), deux éléments ont contribué au revi-
rement de la commission: d’une part, la
montée en puissance des milieux de la

santé, qui ont regroupé toutes leurs forces
pour lancer leur initiative populaire – des
médecins de la FMH aux droguistes, tous
ont affirmé «qu’il serait possible d’écono-
miser 1 milliard de francs sur les coûts
directs de la santé en cas d’interdiction de
la publicité». D’autre part, les caisses mala-
die se sont invitées dans le débat: informel-
lement, elles auraient fait pression sur la
commission pour que celle-ci présente un
projet de loi permettant de signer la
convention de l’OMS, dont le siège est tout
de même en Suisse.
Cela dit, le comité d’initiative pour la pro-
tection des jeunes ne se satisfait toujours
pas de la nouvelle version de la loi esquissée
par cette commission, qui a renoncé à
inclure l’affichage public et les cinémas
dans ses mesures. «58% des Suisses
prônent une interdiction générale de la
publicité pour le tabac», rappelle-t-il. ■

Vers un durcissement de la loi antitabac

PRÉVENTION Une commission parle-
mentaire renforce le projet du Conseil
fédéral sur les produits du tabac. Elle
protège mieux tous les mineurs et inter-
dit entre autres le parrainage par l’in-
dustrie du tabac d’événements organisés
par la Confédération

Le président de l’UDC, Albert Rösti, souhaite encore et toujours cultiver l’entre-soi. (URS FLUEELER/KEYSTONE)
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