10 |france MARDI 20 AOÛT 2019
0123
L
a mise en œuvre à la fin de
2020 du parquet euro
péen risque de provoquer
des remous dans la magis
trature. Et de souligner par con
traste les ambiguïtés du système
judiciaire français. Vingtdeux
pays de l’Union européenne ont si
gné le 12 octobre 2017 le règlement
fondateur de ce parquet suprana
tional chargé de la lutte contre les
atteintes aux intérêts financiers
de l’Union, essentiellement la
fraude à la TVA intracommunau
taire et aux subventions. L’objectif
est de mieux rechercher les
auteurs et complices de ces infrac
tions insuffisamment poursui
vies par les juridictions nationales
alors qu’elles s’élèveraient à plu
sieurs milliards d’euros aux dé
pens du budget de l’UE.
La création de ce parquet impose
d’adapter les procédures et l’orga
nisation judiciaires. Le ministère
de la justice concocte actuelle
ment un très délicat projet de loi
organique qui devra être soumis
au Parlement d’ici à l’été 2020. Il
s’agit de trouver la solution aux
injonctions contradictoires que
porte ce projet européen.
Alors que le système français
prévoit d’ouvrir des informations
judiciaires confiées à des juges
d’instruction indépendants pour
les affaires criminelles et les in
fractions économiques et finan
cières les plus complexes, le choix
fait ici est à l’opposé. Les enquêtes
que le parquet européen lancera,
resteront à la main de « procu
reurs européens délégués » nom
més au sein des parquets de cha
que pays. « C’est un peu dur à ava
ler », confie le président du tribu
nal de grande instance d’une
grande métropole française.
Mais l’ambition du parquet
européen est de ne pas être en
travé dans sa mission par des con
sidérations politiques locales ni
par des intérêts nationaux. Aussi
l’article 17 du règlement européen
proclametil que les procureurs
européens délégués « doivent of
frir toutes garanties d’indépen
dance ». Comme le procureur
européen, ses délégués « ne solli
citent ni n’acceptent d’instructions
d’aucune personne extérieure au
parquet européen, d’aucun Etat
membre de l’Union européenne ».
Ce qui ne correspond pas au sta
tut actuel du parquet français
dont les membres sont choisis
par le ministère de la justice et
soumis au pouvoir disciplinaire
du garde des sceaux.
C’est donc une sorte de monstre
juridique que devrait créer la loi
organique en cours d’élabora
tion : un procureur bénéficiant de
garanties d’indépendance supé
rieures à celles de ses homolo
gues et doté de pouvoirs d’en
quête auxquels les parquets n’ont
pas droit. « C’est un peu comme si
on faisait entrer un juge d’instruc
tion dans les habits d’un procu
reur, mais sans le dire », résume
un connaisseur du projet. Chaque
pays sera doté d’au moins deux
procureurs européens délégués.
Outils d’enquête
Tout en étant membre du par
quet de Paris, et donc soumis à la
hiérarchie du procureur général
de la cour d’appel de Paris, le pro
cureur européen délégué, qui
aura son bureau dans le tribunal
de la porte de Clichy, sera nommé
pour cinq ans par le parquet euro
péen sur proposition de la France.
Il ne sera censé rendre compte
qu’aux chambres de ce parquet
installé à Luxembourg, là où se si
tue également la Cour de justice
de l’Union européenne.
Pour piloter ces affaires en res
tant dans le cadre de l’enquête
préliminaire, ce procureur pas
comme les autres sera doté par la
loi organique de pouvoirs hors
norme. Côté outils d’enquête, il
pourra ordonner des écoutes télé
phoniques, une géolocalisation,
des captations d’images ou de
données de communications, et
des perquisitions après autorisa
tion du juge des libertés et de la
détention (JLD).
De la même façon que le fait un
juge d’instruction, il pourra de
mander auprès du JLD de placer
une personne sous contrôle judi
ciaire ou même en détention pro
visoire. La contrepartie de ces
pouvoirs exorbitants pour un
membre du parquet devra résider
dans l’accès accordé à la défense à
la procédure. Il est habituelle
ment limité au cours de l’enquête
préliminaire tandis que le dossier
lui est ouvert dans la phase d’in
formation judiciaire. Dès l’en
quête préliminaire, les avocats de
la défense pourront ainsi faire des
demandes d’acte.
Le procureur européen délégué
vatil rester un corps étranger
dans le système judiciaire fran
çais, une expérience isolée, ou au
contraire, seratil le jalon d’une
évolution que certains appellent
de leurs vœux? Déjà, la stratégie
du Parquet national financier pri
vilégiant l’enquête préliminaire
sur l’information judiciaire sem
ble avoir convaincu de son effica
cité dans la lutte contre la grande
délinquance financière et la cor
ruption. Le recours à la détention
provisoire comme moyen de pré
server les éléments de preuve et
d’éviter la soustraction d’un sus
pect à la justice, ce qui justifie de
basculer de l’enquête prélimi
naire vers l’information judi
ciaire, est plus banal dans les affai
res criminelles que dans les affai
res économiques et financières.
Survie du juge d’instruction
Les réformes successives de la pro
cédure pénale depuis vingt ans, y
compris les nouvelles dispositions
de la loi de programmation et de
réforme de la justice du
23 mars 2019, n’ont cessé d’étendre
les prérogatives du parquet. Sous
la réserve, parfois, d’un droit de re
gard du JLD. Une évolution qui
donne toute son acuité à la ques
tion du statut du parquet.
En toile de fond, la survie du juge
d’instruction peut être en jeu.
Dans ce cas, les dispositifs ad hoc
élaborés pour le procureur euro
péen délégué seraient un modèle.
Mais cela nécessitera une réforme
constitutionnelle alignant vérita
blement les conditions de nomi
nation des procureurs sur celles
des juges du siège par le Conseil su
périeur de la magistrature. On en
est encore très loin.
Auparavant, le nouveau procu
reur européen et les mécanismes
qui l’accompagnent vont devoir
faire la preuve de leur pertinence.
Le chef du parquet européen sera
flanqué d’un collège composé de
vingtdeux procureurs européens
choisis par leurs pays respectifs.
Certains y voient une lourdeur, si
ce n’est une perte d’autonomie
pour ce parquet « indépendant ».
Tout va reposer sur les épaules
de la procureure roumaine Laura
Kövesi. Depuis que Paris a re
noncé mijuillet à maintenir son
soutien à la candidature du Fran
çais JeanFrançois Bohnert, en rai
son des nouveaux équilibres di
plomatiques entre le Parlement,
la Commission et le Conseil euro
péens, la voie est dégagée pour
nommer cette icône de la lutte an
ticorruption en Roumanie. Le
choix des enquêtes qu’elle déci
dera de lancer et sa capacité à mé
nager les susceptibilités nationa
les sans trahir l’ambition de cette
nouvelle institution seront déter
minants pour crédibiliser, ou non,
une telle architecture judiciaire.
jeanbaptiste jacquin
Les syndicats étudiants s’alarment du coût de la rentrée universitaire
La FAGE et l’UNEF demandent une importante refonte des aides sociales pour faire face à la précarisation des jeunes
L
e coût de la rentrée universi
taire va de nouveau aug
menter, déplorent les deux
principales organisations syndica
les étudiantes, la Fédération des
associations générales étudiantes
(FAGE) et l’Union nationale des
étudiants de France (UNEF), dans
leurs baromètres annuels publiés
respectivement dimanche 18 août
et vendredi 16 août. En 2018, la
FAGE, premier syndicat étudiant
de France, avait pour la première
fois conclu à une « diminution si
gnificative » de l’enveloppe que
doivent consacrer les étudiants à
leur rentrée, grâce notamment à la
suppression de la cotisation à la
Sécurité sociale.
Mais ce scénario ne se renou
velle pas en 2019 : le profil type
évalué par la FAGE – un étudiant
non boursier de 20 ans en licence à
l’université, ne vivant plus au do
micile familial – devra débourser
en moyenne 2 285 euros pour la
rentrée (frais d’inscription, fourni
tures, loyer...). Ce montant pro
gresse de 1,96 % par rapport à 2018,
en raison notamment de la hausse
des frais de vie courante de 2,73 %.
Son concurrent, l’Union natio
nale des étudiants de France, fait
un constat similaire dans son
étude annuelle. Basée sur une mé
thodologie différente, celleci éva
lue le coût de la vie étudiante, es
timé en croissance de 2,83 %. Une
évolution « bien supérieure à celle
de l’inflation qui est de 1,20 % sur un
an », appuie le syndicat proche de
la gauche, qui s’inquiète de la
« forte progression » de la précarité
étudiante.
L’augmentation du loyer moyen,
premier poste de dépenses des
étudiants, est l’un des principaux
facteurs de cette tendance relevée
par les organisations syndicales.
Dans le parc privé, elle atteint
3,86 %, selon l’UNEF. Elle est plus
marquée dans des villes comme
Bordeaux, Rennes ou Mulhouse
(HautRhin), où les prix de l’immo
bilier se sont envolés depuis plu
sieurs années. Quant aux frais liés
aux transports, ils « stagnent », se
lon la FAGE. L’UNEF relève, quant à
elle, une progression des tarifs des
transports en commun dans plu
sieurs villes.
La hausse des frais courants des
étudiants provient en outre
d’ « une augmentation forte des loi
sirs et des consommations comme
les vêtements, la nourriture, les pro
duits d’entretien et d’hygiène »,
note la FAGE. La fédération critique
le « désengagement de l’Etat sur la
restauration étudiante ». Le prix
d’un repas au restaurant universi
taire passera de 3,25 à 3,30 euros à
partir de septembre. Une évolu
tion qui vient s’ajouter à l’accrois
sement des tarifs des cafétérias du
centre régional des œuvres uni
versitaires et scolaires, estimée à
8,17 % par l’UNEF.
Revalorisation des bourses
Les étudiants et leurs familles de
vront aussi assumer l’augmenta
tion des frais spécifiques à la ren
trée universitaire (+ 1,4 % cette an
née), même si ceuxci progressent
moins vite que les dépenses cou
rantes. Les complémentaires
santé – dont les tarifs grimpent de
2,56 % ,selon la FAGE, et la contri
bution de vie étudiante et de cam
pus (CVEC), en hausse de 1 euro
pour l’année 20192020, sont no
tamment concernées. Les frais liés
le président de l’Association française
des juges instructeurs, Pascal Gastineau,
viceprésident chargé de l’instruction au
pôle financier du tribunal de Paris, s’in
quiète de la double casquette qu’aura le
procureur européen délégué qui dépen
dra des parquets européen et parisien.
Que vous inspire le statut sur mesure
créé pour le magistrat qui dirigera
en France les enquêtes au nom du
parquet européen?
Le statut de ce procureur européen dé
légué est du jamaisvu. Il va falloir sur
veiller l’articulation entre ce magistrat
et la justice nationale. Il aura à sa disposi
tion un catalogue de mesures extrême
ment large. On voudrait donner un tel
pouvoir aux procureurs de la Républi
que que ce ne serait pas possible. Le Con
seil constitutionnel a censuré sur ce
point la réforme de la justice en mars,
considérant que les garanties que pou
vait apporter le juge des libertés et de la
détention n’étaient pas suffisantes pour
autoriser les procureurs à user de techni
ques d’enquêtes trop intrusives.
J’ignore le texte que prépare la chancel
lerie. Mais ce projet européen donne en
quelques lignes accès à tout ce que peut
désirer un enquêteur, en expliquant que
ce n’est pas un problème puisque ce pro
cureur européen délégué sera indépen
dant. Mais il pourra être dans le même
temps procureur national, et donc avoir
deux casquettes. C’est risqué. Un procu
reur est dans une relation hiérarchique et
fait des rapports à ses supérieurs sur ses
dossiers. Moi, je ne fais de rapport à per
sonne, sauf dans le cas où la chambre de
l’instruction s’inquiéterait d’un de mes
dossiers qui n’avancerait pas.
Quels problèmes cette double
casquette peutelle poser?
Sur le plan pratique, une enquête en
matière économique ne démarre jamais
ex nihilo du point zéro d’un acte crimi
nel. Il y a souvent des opérations ou des
acteurs qui font déjà l’objet de procédures
dans d’autres services. Le procureur délé
gué va se trouver face à des enquêteurs
qui travaillent pour des procureurs natio
naux. Cela va être compliqué à gérer. Le
périmètre d’un dossier n’est pas toujours
précis et des points de jonction, et donc
de friction, existent avec d’autres.
C’est dommage qu’on n’ait pas pensé à
créer un juge d’instruction européen.
Mais on nous répondra que le procu
reur européen délégué est un faux pro
cureur. De fait, il ressemble plus à un
juge d’instruction. C’est à lui aussi que
reviendra la décision finale de renvoyer
ou non une personne devant une juri
diction de jugement.
Ce projet européen préfiguretil
la fin du juge d’instruction?
Le paradoxe est que le juge d’instruc
tion survit aujourd’hui grâce à l’Europe.
Ce sont les juridictions européennes qui
considèrent que seul le juge d’instruction
a les garanties de magistrat indépendant.
Mais, alors que le procureur est l’autorité
d’enquête la plus répandue en Europe, ce
statut original du procureur européen
délégué annonce ce qui pourrait se faire
un jour. Toutefois, tant que le parquet ne
sera pas indépendant, la légitimité du
juge d’instruction est préservée. Et au vu
de la difficulté des responsables politi
ques à couper le cordon ombilical avec le
parquet, cela devrait durer.
propos recueillis par j.b. j.
« Le procureur européen délégué est un faux procureur »
Les pouvoirs hors normes
du parquet européen
Le ministère de la justice prépare un projet de loi
pour adapter son organisation à la future institution
Selon la FAGE, les
étudiants devront
débourser
en moyenne
2 285 euros
pour la rentrée
à l’achat de matériel pédagogique
augmentent, eux, de 4,8 %.
Les nouveaux étudiants non
européens feront face à une aug
mentation des coûts de rentrée
encore plus conséquente, puisque
leurs frais d’inscription universi
taires passent de 170 à 2 770 euros
en licence et de 243 à 3 770 euros en
master. Même si plusieurs établis
sements ont annoncé leur inten
tion de ne pas appliquer la mesure,
« des dizaines de milliers » de per
sonnes sont concernées, s’alarme
l’UNEF. Une situation « injuste »,
estime la FAGE : « Ce n’est pas aux
étudiants de contribuer au sousfi
nancement de l’enseignement su
périeur par l’Etat. »
Les organisations syndicales
rappellent les conséquences de
l’évolution du coût de la rentrée et
de la vie universitaire. « Trop nom
breux sont les étudiants dans l’obli
gation de se salarier pendant leurs
études, de renoncer aux soins, à
des loisirs ou à une alimentation
correcte » , écrit la FAGE. Pour la fé
dération, « le coût de rentrée est
bien trop élevé pour permettre une
réelle démocratisation de l’ensei
gnement supérieur ».
Elle réclame une « réforme d’am
pleur du système d’aides sociales et
la création d’une aide globale d’in
dépendance » , calculée selon « la si
tuation de l’étudiant et des revenus
déclarés du foyer fiscal auquel il est
rattaché ». De son côté, l’UNEF de
mande « un plan d’urgence de re
fonte des aides sociales » avec l’aug
mentation du nombre d’étudiants
bénéficiaires de bourses et la « re
valorisation de 20 % » de cellesci.
Le montant actuel des bourses
sur critères sociaux augmentera
« d’en moyenne 1,10 % » pour l’an
née 20192020. Mais cette hausse,
inférieure à l’inflation, est large
ment insuffisante aux yeux du
syndicat étudiant.
léa sanchez