Le Monde - 20.08.2019

(Sean Pound) #1
0123
MARDI 20 AOÛT 2019

ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


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Une réunion sur fond d’inquiétudes pour l’économie mondiale


Le risque d’une récession engendrée par les tensions commerciales sino­américaines devrait être dans toutes les têtes au sommet du G


Ces dossiers fiscaux qui s’invitent au G

La taxation des GAFA et l’évasion fiscale feront partie des sujets abordés au sommet à Biarritz, du 24 au 26 août


G

uerre commerciale,
Brexit, taxation des
géants du numérique,
tensions américano­
iraniennes, crise italienne... Offi­
ciellement, les grandes puissan­
ces du G7 se réunissent du 24 au
26 août à Biarritz pour avancer
dans « la lutte contre les inégali­
tés ». Mais ce sont surtout les
nombreux sujets de dissensions
économiques et géopolitiques
qui domineront leurs échanges.
Dès jeudi 22 août, plus de
5 000 personnes, issues de 24 délé­
gations étrangères, seront ac­
cueillies dans la cité des Pyrénées­
Atlantiques, placée sous haute sé­
curité. Parmi les chefs d’Etat ou de
gouvernement présents : le Fran­
çais Emmanuel Macron, l’Améri­
cain Donald Trump, la chancelière
allemande Angela Merkel, le pre­
mier ministre canadien, Justin
Trudeau, ses homologues japo­
nais et italien Shinzo Abe et Giu­
seppe Conte – sans oublier le Bri­
tannique Boris Johnson, attendu
de pied ferme par les Européens,
alors qu’il promet de mettre en
œuvre le Brexit dès le 31 octobre.
M. Trump s’est aussi dit « impa­
tient » de rencontrer le nouveau lo­
cataire du 10 Downing Street, qu’il
voit comme un allié potentiel.
Les échanges seront peut­être
moins cordiaux avec Emmanuel
Macron, à qui l’Américain repro­
che d’avoir instauré une taxe sur
les géants du numérique, pénali­
sant, selon lui, les GAFA améri­
cains (Google, Apple, Facebook,
Amazon). Adoptée le 11 juillet,
celle­ci portera sur 3 % du chiffre
d’affaires tricolore des entrepri­
ses réalisant des ventes de plus de
750 millions d’euros dans le
monde et de 25 millions d’euros
en France. Agacés, les Etats­Unis
ont aussitôt lancé une enquête
sur la taxe française, la jugeant
potentiellement discriminatoire.
Quelques jours plus tard, un
début d’accalmie semblait néan­
moins s’installer lors du G
finance de Chantilly (17 et
18 juillet), préparant celui de Biar­
ritz. Les grands argentiers des
sept pays, dont le secrétaire au
Trésor américain, Steven Mnu­
chin, s’y sont entendus sur la né­
cessité « d’imposer les activités nu­
mériques créant de la valeur sans
ou avec très peu de présence physi­
que dans les pays concernés ».
Mais le répit fut de courte durée.
Le 28 juillet, Donald Trump a
dénoncé sur Twitter – son canal
de communication privilégié – la
« stupidité » d’Emmanuel Macron
quant à son souhait de taxer les

GAFA, et menacé de prendre des
mesures de rétorsion contre le
vin français. « Si quelqu’un doit les
taxer, ce doit être leur pays d’ori­
gine », a déclaré le président amé­
ricain – qui ne cache pourtant pas,
par ailleurs, son désaccord avec
les géants du numérique.

« Un tout dernier pas »
Auditionnés lundi 19 août par les
services du représentant améri­
cain au commerce (USTR) dans le
cadre de l’enquête lancée par les
Etats­Unis, les GAFA n’ont pas
tardé à répliquer eux aussi. Tandis
que Facebook estime que cet
impôt « nuirait à la croissance et
l’innovation numérique » , Ama­
zon a annoncé qu’il répercuterait
la taxe sur les 10 000 PME françai­
ses vendant leurs produits par
l’intermédiaire de sa plate­forme.
De son côté, la France a rappelé à
plusieurs reprises que la taxe ne
s’appliquera pas seulement aux

entreprises américaines. Tempo­
raire, elle est en outre censée s’in­
terrompre lorsqu’un accord inter­
national sur le sujet sera conclu.
« Depuis vingt­quatre mois, des
pas de géants ont été faits, mainte­
nant il reste un tout dernier pas.
C’est le plus difficile, celui d’un ac­
cord des sept chefs d’Etat ou de
gouvernement au G7 de Biarritz,
déclarait le ministre de l’écono­
mie, Bruno Le Maire, le 27 juillet.
Si nous sommes capables de fran­
chir ce dernier pas, nous aurons
ouvert la voie à un accord global, à
l’échelle de l’Organisation de coo­
pération et de développement éco­
nomiques [OCDE] , d’ici fin 2020. »
Dans cet épineux affrontement,
la France pourra­t­elle compter
sur le soutien du Royaume­Uni?
Début juillet, le Trésor britanni­
que a en effet présenté, lui aussi,
un projet de loi visant à imposer à
hauteur de 2 % certains services
numériques, dès avril 2020. Mais

entre­temps, Boris Johnson est
arrivé au pouvoir : qui sait s’il ne
choisira pas le camp de Trump?
Parmi les autres sujets mis sur la
table à Chantilly : la lutte contre
l’évasion et l’optimisation fisca­
les. Selon l’OCDE, les pertes liées
aux montages fiscaux des gran­
des entreprises représentent de
4 % à 10 % des recettes mondiales
de l’impôt sur les bénéfices, soit
près de 240 milliards d’euros par
an. Les sept ministres des finan­

ces se sont entendus sur la néces­
sité de créer un impôt minimum
mondial sur les bénéfices, afin de
limiter de telles pertes.
Sur ce point, Paris, Washington
et Berlin semblent à l’unisson. En
revanche, les Etats ne se sont pas
encore entendus sur la fourchette
de taux à privilégier. Les négocia­
tions à venir sur le sujet s’annon­
cent délicates. En particulier au
sein de l’Union européenne, où
les débats sur l’harmonisation de
l’assiette de l’impôt sur les socié­
tés piétinent depuis des années,
certains Etats privilégiant la carte
de la concurrence fiscale pour
assurer leur compétitivité.
En dépit de ces tensions, le G7 de
Biarritz doit, en théorie, entériner
au niveau des chefs d’Etat ou de
gouvernement l’accord de prin­
cipe conclu à Chantilly sur la
nécessité de taxer les activités nu­
mériques et d’instaurer un impôt
minimum commun. « L’idée est

L’


économie mondiale
est­elle sur le point de
sombrer dans une
nouvelle récession? Alors que les
inquiétudes sur le sujet ont
encore monté d’un cran ces
derniers jours, nul doute que la
question s’invitera à la table des
dirigeants du G7 (Etats­Unis,
Canada, France, Allemagne,
Italie, Royaume­Uni, Japon),
réunis du 24 au 26 août à Biarritz.
Et pour cause : le ralentisse­
ment de l’activité mondiale ob­
servé depuis plusieurs mois est
en grande partie dû à l’escalade
des tensions commerciales entre
l’un des participants, Washing­
ton, et Pékin. « C’est la grande an­
goisse, le sujet sera omniprésent
en coulisses , confie une source
européenne. Face à l’imprévisibi­
lité de Donald Trump, il est peu
probable que les incertitudes se
dissipent rapidement. »

Or, celles­ci ont déjà coûté cher
à l’économie. Depuis la première
hausse des tarifs douaniers
imposée par les Etats­Unis sur
leurs importations d’acier et
d’aluminium en provenance de
Chine, en mars 2018 – suivie par
une escalade de ripostes entre Pé­
kin et Washington –, les grandes
organisations internationales ré­
visent leurs prévisions à la baisse,
tout en dénonçant les effets né­
fastes de la guerre commerciale.
En juin, la Banque mondiale a
ainsi réduit son estimation pour
la croissance mondiale cette an­
née de 2,9 % à 2,6 %, et celle de la
zone euro, de 1,6 % à 1,2 %. En
juillet, le Fonds monétaire inter­
national (FMI) a abaissé sa prévi­
sion pour la Chine à 6,2 % en 2019
et 6 % en 2020 (contre 6,3 % et
6,1 % auparavant), soit son
rythme de croissance le plus fai­
ble depuis deux décennies. « Au

total, nous estimons que la hausse
des droits de douane entre les
Etats­Unis et la Chine, y compris
celle appliquée en 2018, pourrait
réduire le PIB mondial de 0,5 point
en 2020, expliquait en juin Chris­
tine Lagarde, sur le point de quit­
ter la direction générale du FMI
pour prendre la tête de la Banque
centrale européenne (BCE).

Report des investissements
Au­delà de l’incidence des tarifs
douaniers eux­mêmes, la guerre
commerciale pèse également sur
l’activité par des canaux indi­
rects, aux effets parfois plus puis­
sants encore. Exemple : face aux
incertitudes, les entreprises
reportent leurs investissements,
tandis que nombre de ménages
privilégient l’épargne de précau­
tion sur la consommation.
Selon la société d’assurance­
crédit française Euler Hermes, la

hausse des tarifs américains a
ainsi amputé la croissance du
commerce mondial de 0,3 point
en 2018, et les effets collatéraux
qu’ils ont soulevés, de 0,5 point.
Ceux­ci sont particulièrement
notables en Allemagne, où le pro­
duit intérieur brut (PIB) s’est con­
tracté de 0,1 % au deuxième tri­
mestre, également affecté par
l’atterrissage économique de la
Chine. « Toutes les composantes
de la demande intérieure chinoise
ralentissent : l’investissement, la
consommation, la construction et
les ventes de voitures, ce qui con­
duit au freinage des importa­
tions », explique l’économiste Pa­
trick Artus, de la banque Natixis.
Selon ses calculs, le ralentisse­
ment des importations de pro­
duits chinois explique les deux
tiers de celui du commerce inter­
national observé depuis fin 2017.
Face à ces mauvaises nouvelles,

les marchés ont cédé à la panique
plusieurs fois depuis le début du
mois, notamment le 14 août,
journée noire à Wall Street.
Les Bourses n’ont pas été rassu­
rées par la décision de Donald
Trump, annoncée la veille, de re­
porter de septembre à décembre
les nouvelles taxes qu’il envisage
d’imposer sur les produits chi­
nois, au motif que celles­ci pour­
raient heurter le consommateur
américain avant les fêtes.
Guère apaisé non plus par ces
déclarations, l’empire du Milieu a
évoqué, dès le 15 août, de possi­
bles mesures de représailles.
« S’ils ne font pas machine arrière,
ils finiront par heurter le mur et se
briser la tête », a déclaré l’organe
officiel du comité central du Parti
communiste chinois, Le Quoti­
dien du peuple.
Si le G20, plus large, reste l’en­
ceinte de discussion privilégiée

des sujets commerciaux, les
participants du G7 de Biarritz es­
pèrent néanmoins, au cours
d’une session spéciale, « appro­
fondir les échanges dans un cadre
multilatéral, notamment sur la
question des subventions indus­
trielles, des pratiques commercia­
les déloyales et de l’amélioration
de l’organe de règlement des diffé­
rends au sein de l’Organisation
mondiale du commerce », expli­
que une source diplomatique.
De leur côté, Pékin et Washing­
ton doivent entamer courant
septembre de nouvelles discus­
sions commerciales. Mais il sem­
ble peu probable qu’elles aboutis­
sent rapidement. D’autant que le
bras de fer avec la Chine s’an­
nonce comme l’un des argu­
ments forts de la campagne de
Donald Trump pour l’élection
présidentielle de 2020.
m. c.

Donald Trump, Angela Merkel
et Emmanuel Macron (de dos),
lors du sommet du G20,
à Osaka (Japon), le 26 juillet.
BRENDAN SMIALOWSKI/AFP

Donald Trump
s’est dit
« impatient »
de rencontrer
Boris Johnson,
qu’il voit comme
un allié potentiel

aussi de confirmer le calendrier de
travail de l’OCDE, afin que le sujet
puisse être validé plus largement
par les pays du G20 fin 2020 »,
ajoute une source diplomatique.
Si aucun communiqué final
n’est attendu le 26 août, la France
espère convaincre « une coalition
d’Etats » d’avancer aussi sur l’éga­
lité hommes­femmes, le dévelop­
pement de l’Afrique et la lutte
contre la cybercriminalité. Au
même moment, près de 80 asso­
ciations tiendront un « contre­
sommet » à quelques kilomètres
de là, à Hendaye (France) et Irun
(Espagne). Des associations alter­
mondialistes et écologistes (At­
tac, Oxfam, Les Amis de la Terre...)
débattront, elles aussi, de la lutte
contre les inégalités et le réchauf­
fement climatique. Nombre d’en­
tre elles remettent en question la
capacité du G7 à progresser signi­
ficativement sur ces sujets.
marie charrel
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