12 |économie & entreprise MARDI 20 AOÛT 2019
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L’Ouest anglophone du Cameroun en quasifaillite
Dans les régions nordouest et sudouest, en plein conflit armé, les rapts sont légion et l’économie sombre
REPORTAGE
tiko, buea, limbé (cameroun)
envoyée spéciale
D
es champs de pal
miers à huile et d’hé
véas, envahis de hau
tes herbes, s’étendent
à perte de vue. A quelques kilomè
tres, des plantations de bananiers
sont à l’abandon. Sur l’asphalte,
les voitures roulent à vive allure.
« Si on s’arrête, on risque d’être
kidnappé ou tué. Il y a des combat
tants cachés dans la brousse »,
avertit le chauffeur. Ces immen
ses exploitations agricoles qui
bordent la route entre Douala et
Buéa, au Cameroun, appartien
nent à la Cameroon Development
Corporation (CDC), le second em
ployeur du pays après l’Etat. La
crise qui secoue depuis trois ans
les régions anglophones du Nord
Ouest et du SudOuest a plongé la
plus grande société agroindus
trielle du pays au bord de la faillite.
Quatre millions de personnes
sont affectées par le conflit entre
combattants indépendantistes
anglophones et forces gouverne
mentales, qui dure depuis bientôt
deux ans ; près de 2 000 d’entre el
les ont été tuées et quelque
530 000 personnes ont pris la
fuite, selon les Nations unies,
abandonnant maisons, champs,
emplois, entreprises... L’écono
mie de ces deux régions, qui
vivent en grande majorité de
l’agriculture et de l’agroindus
trie, a été sérieusement affectée.
Dans un rapport paru en
juillet 2018, le Groupement inter
patronal du Cameroun (Gicam)
estimait déjà le manque à gagner à
près de 270 milliards de francs CFA
(environ 412 millions d’euros).
Actuellement, le principal mouve
ment patronal du pays met à jour
ses données, mais en interne, une
source relève d’ores et déjà qu’au
cours de la dernière année, « la
situation s’est encore sérieusement
dégradée ». Selon elle, « la zone est
devenue une zone de guerre, un
quasino man’s land où il est
impossible de faire des affaires ».
Pour le Gicam, les opérations
« ville morte » à répétition, les in
timidations, les rackets, les rapts
et les assassinats d’employés et de
responsables d’entreprise, ainsi
que les attaques ciblées sur des
structures parapubliques comme
la CDC, détruisent « délibéré
ment » l’économie de cette partie
du pays. « Nous sommes pratique
ment en faillite », confieton à la
CDC. L’entreprise estime déjà ses
pertes matérielles et opération
nelles à près de 50 milliards de
francs CFA, et ce n’est pas fini.
Des usines, des bureaux, des
plantations, des véhicules et des
camps d’employés de la société
ont été détruits par des groupes
séparatistes. En avril 2018, la CDC
comptait 20 280 employés, offi
ciellement. Ils ne sont plus que
6 270 en activité, travaillant pour
la plupart à la direction générale
et aux services techniques, com
merciaux et médicaux. Les autres
sont majoritairement en congé
forcé du fait des violences. Mena
cés par des groupes sécessionnis
tes, au moins seize d’entre eux
ont été tués. Près de 100 ont été at
taqués, certains ont perdu des
doigts, une main... D’autres ont
été kidnappés, avant d’être libérés
après paiement de rançons.
Ce mercredi 17 juillet, à la direc
tion générale de l’entreprise, à
Limbé, cité balnéaire du Sud
Ouest, la peur est palpable. Un
responsable de l’usine de transfor
mation d’huile de palme a été
enlevé à l’aube. « Quand estce que
tout ça va s’arrêter? », se désespère
une secrétaire. « On vient travailler
sans savoir si on rentrera vivant.
Des coups de feu éclatent partout.
Si tu es kidnappé, tu paies la
rançon de ta poche, car l’entreprise
nous dit qu’elle n’a plus d’argent »,
s’inquiète sa collègue. Les salariés,
hauts cadres comme travailleurs
des champs, cumulent entre sept
et douze mois d’arriérés de salaire.
Hangars vides
« C’est la pire crise que l’entreprise
ait jamais connue », soupire Za
chée Dissoh Hell, le directeur du
département palmiers à huile.
Quatre des sept unités de produc
tion sont à l’arrêt. Les autres fonc
tionnent pour la plupart à 20 % de
leurs capacités. Les pertes sont es
timées à 14 milliards de francs
CFA. « La situation empire sur le
terrain, car les groupes armés se
multiplient et rôdent toujours aux
environs », observe un responsa
ble. Ce qui pousse même les
employés les plus tenaces à déser
ter, « jour après jour ».
A Tiko, à 20 km de Limbé, la plus
grande des unités de production
de caoutchouc, discrètement pro
tégée par des forces de défense,
tourne au ralenti. Les hangars de
stockage sont vides. « La majorité
de nos collègues ont pris peur et
sont partis », murmure l’un des
derniers travailleurs, sous cou
vert d’anonymat.
De janvier à juin 2017, 7 260 ton
nes de caoutchouc sont sorties
des champs, contre 968 tonnes
sur la même période en 2019. Les
exportations pour le fabriquant
français de pneus Michelin, par
tenaire historique de la CDC, sont
devenues insignifiantes. « A
cause de la crise, nous sommes in
capables d’honorer nos engage
ments », se désole Kuve Donald
Ekema, directeur du département
caoutchouc.
A quelques minutes de là, au sein
de la branche bananes de la CDC, la
situation est encore pire. Depuis
septembre 2018, l’entreprise a
cessé ses activités. Le manque à ga
gner est de 30,5 milliards de francs
CFA. A Tiko, Jeannette, 47 ans dont
seize de service, attend de retour
ner dans les plantations. Battue
par des séparatistes qui lui repro
chaient d’avoir défié leur interdic
tion d’aller travailler, elle a été hos
pitalisée pendant deux semaines.
Les autres secteurs économi
ques souffrent aussi. Avant la
crise, le SudOuest était la pre
mière zone de production de
cacao, concentrant 45 % de la
production nationale. Lors du
lancement de la campagne
cacaoyère 20182019, la région est
passée au deuxième rang, avec
32 % du cacao commercialisé.
« Lorsqu’on considère les recettes
issues de l’exportation de cacao et
de café, on est à 56 milliards de
francs CFA de pertes, soit l’équiva
lent de 20 % des recettes d’exporta
tion du pays à juillet 2018. C’est
énorme pour le café arabica, pour
lequel le NordOuest représente
70 % de la production nationale »,
souligne Pierre Nka, ancien direc
teur de la rédaction du Quotidien
de l’économie.
Pour le journaliste, le Cameroun
commence à subir les effets du
conflit dans les régions anglopho
nes, avec le manque de devises
auquel il fait face depuis plusieurs
mois. Une situation aggravée,
d’après lui, par l’incendie, le
31 mai, de quatre des treize unités
de la Société nationale de raffi
nage (Sonara), à Limbé. La piste
d’un incendie criminel a été écar
tée, mais les pertes sont considé
rables : l’unique raffinerie du pays
est à l’arrêt pour douze mois et a
depuis recours aux importations.
« Cette concomitance d’événe
ments va continuer d’asphyxier le
Trésor public camerounais, qui se
voit privé de 25 milliards de francs
CFA de recettes après l’incendie de
la Sonara , poursuit Pierre Nka. A
long terme, avec une Sonara sinis
trée et une CDC à l’agonie, c’est
tout un pan de la souveraineté
économique du Cameroun qui est
en berne. »
Plantations à l’abandon
La situation est d’autant plus pré
occupante que dans les villages
encore habités, les populations
ont du mal à évacuer leurs récol
tes et à se ravitailler en produits
de première nécessité. « J’en ai eu
marre , peste, sous couvert d’ano
nymat, un important producteur
de cacao du SudOuest désormais
réfugié à Douala. Pour aller dans
les champs, il faut payer différents
groupes d’“ambas boys” [les mili
ces indépendantistes] , négocier
pour chaque ouvrier courageux
qui accepte de travailler avec nous
afin qu’il soit protégé. Et une fois
les récoltes assurées, il faut encore
négocier au niveau des postes des
forces de sécurité qui nous deman
dent de l’argent. Il y a trop de
racket. A la fin, tu n’as plus rien. »
Selon le Gicam, le NordOuest et
le SudOuest représentaient,
avant la crise, 20 % des produc
tions nationales de maïs, de
manioc, de pommes de terre, de
haricots et de bananes douces.
Aujourd’hui, des hectares de
plantations sont à l’abandon.
« L’économie du Cameroun est de
plus en plus victime de la crise
anglophone. Nous sommes cons
cients qu’il faut agir, et vite, car
avec la baisse des recettes d’expor
tation, les usines et les plantations
à l’abandon, les villages vidés, on
court vers un drame économique.
Hélas, sans un cessezlefeu et un
retour à la paix, qui dépend des po
litiques, aucun investissement,
aucune aide en milliards de francs
CFA ne pourra relever ces entrepri
ses », juge un cadre du ministère
du commerce.
A Buéa, la capitale du SudOuest,
des jeunes entrepreneurs de la
« Silicon Mountain », en référence
au nombre et à la qualité des
startup qui s’y créent, vivent au
quotidien cette réalité. Certains se
sont déplacés vers des zones fran
cophones, plus calmes, pour pour
suivre leur activité. D’autres, par
choix ou par manque de moyens
financiers, ont décidé de rester.
Dans les locaux de l’incubateur
ActivSpaces, Valery Colong, le
directeur, relate les difficultés du
moment et comment l’entreprise
s’y est adaptée. La plupart des
événements sont désormais
organisés dans le quartier admi
nistratif de Buéa, plus sécurisé. En
prévision des opérations « ville
morte » qui se tiennent tous les
lundis, les journées d’activité
courent du mardi au samedi, et le
weekend, du dimanche au lundi.
Après trois années à espérer un
retour à la paix, Emmanuel, cofon
dateur d’une agence immobilière,
envisage de quitter Buéa : « Avec la
peur des kidnappings, même les
propriétaires rechignent à mettre
leurs biens sur le marché. Il n’est
plus possible de s’attarder ici. »
josiane kouagheu
Récolte du thé près de Buéa, au Cameroun, en avril 2018. ALEXIS HUGUET/AFP
Dans les villages
encore habités,
les populations
ont du mal
à se ravitailler
en produits
de première
nécessité
« On vient
travailler sans
savoir si on
rentrera vivant »,
témoigne un
responsable de
l’usine d’huile de
palme de Limbé
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