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MARDI 20 AOÛT 2019 disparitions| 13
O
n peut être Nobel,
avoir révolutionné la
science et soutenir
des thèses scientifi
quement infondées. Les exem
ples ne sont pas légion, mais celui
de l’Américain Kary Mullis, Prix
Nobel de chimie 1993 pour l’in
vention de la réaction en chaîne
par polymérase (PCR) qui a boule
versé la génétique, est particuliè
rement éclatant. Ce « génie in
dompté » , comme l’a qualifié un
de ses pairs, est mort d’une pneu
monie, le 7 août à Newport Beach,
en Californie. Il avait 74 ans.
Kary Mullis est né le 28 décem
bre 1944 en Caroline du Nord. Dès
l’enfance, il se passionne pour les
sciences, propulsant vers le ciel
des grenouilles à bord de fusées
bricolées, perturbant à l’occasion
l’atterrissage d’un avion de ligne.
Il étudie la chimie à Georgia Tech
à Atlanta, avant de faire une thèse
à Berkeley (1973), période pendant
laquelle il découvre le surf et syn
thétise toute une gamme de pro
duits psychédéliques, louant
l’ouverture d’esprit induite par le
LSD, dont il fait un large usage.
Pendant sa période postdocto
rale, il s’essaie à l’écriture, gère pen
dant deux ans une boulangerie,
avant qu’un ami ne l’encourage à
rejoindre Cetus Corporation à Ber
keley fin 1979. C’est là qu’il fera sa
découverte majeure, la PCR, qui
permet d’amplifier l’ADN à partir
d’infimes fragments, et qui est dé
sormais utilisée dans les laboratoi
res de biologie moléculaire par
tout dans le monde. La police l’em
ploie aussi pour exploiter les em
preintes ADN, de même que les
paléontologues, pour récupérer
l’ADN ancien – la PCR est aussi la
technique qui permet de ressusci
ter les dinosaures de sciencefic
tion de Jurassic Park ...
Amplification de l’ADN
L’idée lui est venue en 1983 alors
qu’il roulait vers une cabane du
nord de la Californie où il allait
passer le weekend, comme il le
raconte dans son discours de ré
ception du Nobel. Peu de ses collè
gues seront immédiatement con
vaincus ou intéressés, mais en
quelques mois il met au point la
technique, adoptée à une vitesse
exponentielle par les biologistes.
Comme souvent, des querelles
sur l’antériorité de la découverte
se feront jour, mais personne ne
déniera à Mullis le mérite d’avoir
été le premier à avoir concrétisé le
concept d’amplification de l’ADN.
Mullis obtiendra un bonus de
10 000 dollars de la part de Cetus,
qui revendra en 1991 les droits de
brevets à HoffmanLa Roche
pour... 300 millions de dollars.
Le biochimiste ne semblait pas
chagriné de ne pas avoir bénéficié
pleinement de ce jackpot, notant
avec satisfaction que le Prix Nobel
et d’autres récompenses lui
avaient apporté une indépen
dance suffisante. Il ne faisait pas
de doute pour lui qu’il serait dis
tingué par les sages de Stockholm,
mais le jour dit, il sortait d’une
cuite, raconteratil plus tard, et
fila vers l’océan avec son surf sous
le bras pour fuir la presse.
Devenu consultant, il conseillera
de nombreuses firmes de biotech
nologies et créera luimême plu
sieurs sociétés. L’une d’elles, bapti
sée StarGene, proposait d’ampli
fier l’ADN de célébrités défuntes,
comme Elvis Presley et Marylin
Monroe, pour l’inclure dans des
bijoux proposés à leurs fans.
Le Prix Nobel, comme souvent,
conduira son récipiendaire à
s’exprimer sur des sujets qui sor
tent de sa spécialité. C’est ce que
fera abondamment Kary Mullis
dans une autobiographie, Dan
cing Naked in the Mind Field
(« Danser nu dans le champ de
l’esprit », non traduit), publiée
en 1998 et qui parachèvera sa ré
putation de scientifique sulfu
reux. Il y évoque son goût pour
l’astrologie, y narre sa rencontre
avec un raton laveur extraterres
tre, y fait valoir ses doutes sur
l’existence d’un trou dans la cou
che d’ozone et sur le réchauffe
ment du climat.
Plus grave, il soutient que le VIH
n’est pas responsable du sida.
Cette affirmation était aussi por
tée par un de ses collègues de Ber
keley, Peter Duesberg. Cette thèse
fantasque a conduit l’Afrique du
Sud à retarder l’adoption des tri
thérapies et, selon certaines esti
mations, aurait empêché de pré
venir plusieurs centaines de mil
liers de morts dans ce pays.
hervé morin
28 DÉCEMBRE 1944
Naissance à Lenoir, en Caro-
line du Nord
1993 Prix Nobel de chimie
1998 Parution de son auto-
biographie, « Dancing Naked
in the Mind Field » (Pantheon
Books)
7 AOÛT 2019 Mort à Newport
Beach (Californie)
23 FÉVRIER 1940 Naissance
à New York
1966 « Les Anges sauvages »,
de Roger Corman
1969 Interprète Wyatt dans
« Easy Rider », de et avec
Dennis Hopper
1971 Réalise « L’Homme
sans frontière »
1997 Nomination à l’Oscar
du meilleur acteur pour son
rôle dans « L’Or de la vie », de
Victor Nuñez
16 AOÛT 2019 Mort à Los An-
geles
Peter Fonda
Acteur et réalisateur
américain
S
eul le cinéma, sans doute,
a cette capacité de mar
quer les imaginaires au
point de propulser un ac
teur, en un seul film, au rang
d’emblème de la contreculture
américaine. Né le 23 février 1940 à
New York, Peter Fonda, fils
d’Henry Fonda (19051982), frère
de Jane Fonda et père de Bridget
Fonda, n’aura cessé d’être l’icône
hippie, depuis son rôle dans Easy
Rider (1969), film culte de Dennis
Hopper que Peter Fonda avait
coproduit et dont il avait coécrit
le scénario. L’éternel motard, ou
biker , légendaire est mort, à l’âge
de 79 ans, vendredi 16 août, à Los
Angeles, des suites d’un cancer.
Peter Fonda restera à jamais ce
jeune homme aux traits fins, in
terprète du personnage de
Wyatt, coiffé du casque de moto
imprimé du drapeau américain,
les jambes confortablement al
longées sur sa Captain America,
faisant la route d’ouest en est, à
rebours des pionniers, aux côtés
de Bill, incarné par Dennis Hop
per luimême – Jack Nicholson
interprétait quant à lui un avocat
alcoolique qui se liera aux deux
personnages.
Si l’image du motard bad boy et
sexy a plus que résisté au temps,
c’est aussi parce que le roadmo
vie de Dennis Hopper fut vision
naire : Easy Rider dénonçait l’illu
sion américaine de la liberté, con
frontée aux forces conservatrices
et réactionnaires.
Près de cinquante ans plus tard,
en 2017, le critique et historien du
cinéma JeanBaptiste Thoret si
gnait un documentaire mélanco
lique sur l’Amérique depuis Easy
Rider jusqu’à l’arrivée de Donald
Trump, dont le titre, We Blew It –
« On a tout gâché » – est justement
une réplique de Peter Fonda à
Dennis Hopper dans le film. Quel
ques heures après la mort de Peter
Fonda, qui survient près de
neuf ans après celle de Dennis
Hopper (en décembre 2010), Jean
Baptiste Thoret postait ce mes
sage sur sa page Facebook : « Voilà
Bill et Wyatt réunis sur la même
route. »
A l’image de « leur » film, Peter
Fonda et Dennis Hopper vou
laient casser tous les codes. Sélec
tionné au Festival de Cannes
en mai 1969, dans une atmos
phère contestataire, un an après
l’interruption brutale du festival,
en 1968, Easy Rider remporta le
Prix de la première œuvre.
Le soir de la projection, Denis
Hopper et Peter Fonda étaient ar
rivés sans smoking, le premier ar
borant un collier tahitien et le se
cond un costume d’officier s’ins
pirant de la guerre de Sécession.
Une façon, pour le fils d’Henry
Fonda, star des Raisins de la colère
(1940), réalisé par John Ford, de
poursuivre la contestation sous
d’autres formes – seul Jack Nichol
son, d’après les photos de l’épo
que, portait le nœud pap.
Une famille mythique du cinéma
Le film avait le goût sauvage des
productions fauchées et Dennis
Hopper brandissait en étendard
la liberté du réalisateur. Easy Ri
der est depuis considéré comme
l’un des films fondateurs du Nou
vel Hollywood, courant cinéma
tographique visant à redonner de
l’air aux films d’auteurs, dans les
pas de la Nouvelle Vague fran
çaise. Projeté à Cannes cette an
née, en 2019, après restauration,
Easy Rider « se préparait » à célé
brer son 50e anniversaire aux
EtatsUnis.
Peter Fonda avait en effet prévu
d’organiser une projection, le
20 septembre, à New York, en pré
sence de musiciens pour interpré
ter la bandeson du film – qui
comprenait notamment la célè
bre chanson Born to Be Wild du
groupe Steppenwolf. Un hom
mage signé de la famille de Peter
Fonda se termine ainsi : « En l’hon
neur de Peter, portez un toast à la
liberté s’il vous plaît ». De son côté,
Jane Fonda a transmis un texte à
l’Agence FrancePresse (AFP), pré
cisant que son « gentil petit frère
adoré » est parti « en riant ».
Avant même d’entrer dans la lé
gende, Peter Fonda faisait déjà
partie d’une famille mythique du
cinéma. Après avoir étudié le
théâtre, le jeune Peter a décroché
ses premiers rôles dans les an
nées 1960, jouant notamment
dans des films de Roger Corman
( Les Anges sauvages en 1966, à
propos de gangs de motards, The
Trip en 1967). Ce cinéaste était
aussi producteur et a su dénicher
des talents comme Martin Scor
sese et Jack Nicholson...).
Luimême réalisateur de quel
ques longsmétrages, dont le wes
tern L’Homme sans frontière
(1971), Peter Fonda a joué dans
une soixantaine de films. Il avait
été nommé pour l’Oscar du
meilleur acteur, en 1997, pour son
interprétation d’un père de fa
mille, apiculteur, dans L’Or de la
vie , de Victor Nuñez. Plus récem
ment, Peter Fonda avait inter
prété Méphistophélès dans Ghost
Rider (2007). Le dernier film dans
lequel il a joué, The Last Full
Measure , de Todd Robinson, avec
Samuel L. Jackson, William Hurt
et Ed Harris, devrait sortir à la fin
octobre aux EtatsUnis.
Militant écologiste, l’acteur était
capable de s’emporter, visible
ment pas soucieux de mesurer
ses propos. Ainsi étaitil venu pré
senter à Cannes, en 2011, le docu
mentaire The Big Fix , de Josh Tic
Dans « Easy Rider »,
en 1969. THE KOBAL
COLLECTION/AURIMAGES
Kary Mullis
Prix Nobel de chimie 1993
En 1995 à
Los Angeles.
RHONDA BIRNDORF/AP
kell et Rebecca Harrell Tickell,
qu’il avait produit – et qui était
présenté en sélection officielle, en
séance spéciale. Les réalisateurs
avaient mené une enquête sur la
gigantesque marée noire provo
quée après que la plateforme pé
trolière Deepwater Horizon, ex
ploitée par BP, eut sombré dans le
golfe du Mexique.
Peter Fonda n’avait pas hésité à
qualifier le président américain
de l’époque, Barack Obama, de
« traître » en lui reprochant sa ges
tion de cette marée noire. Le biker
n’aura jamais quitté sa route, du
Flower Power au « Water Power ».
Ces dernières années, très actif
sur le réseau social Twitter, il se
montrait particulièrement criti
que visàvis de Donald Trump, et
notamment de sa politique à
l’égard des migrants.
clarisse fabre