14 |culture MARDI 20 AOÛT 2019
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A Paris, l’abri
secret des FFI
devient le Musée
de la Libération
Le 25 août sera inauguré le nouveau
site, à l’endroit où RolTanguy a
coordonné l’insurrection de la capitale
durant une semaine de l’été 1944
PATRIMOINE
C’
est tout à la fin du
parcours que l’émo
tion saisit vraiment
le visiteur. Après
avoir zigzagué dans le musée, il
faut pousser la lourde porte blin
dée, se courber pour entrer dans
le sas, puis descendre un escalier
mal éclairé. Un boyau gris de plus
de 100 marches. Des tuyaux sales
sont accrochés aux murs en bé
ton brut.
Tout en bas, à 26 mètres sous
terre, encore une vieille porte
rouillée à franchir, et l’on se re
trouve dans une sorte de bunker.
Un dédale de galeries où la tem
pérature ne dépasse jamais 16 de
grés. Aucun meuble, sinon un
central téléphonique en ruine et
un « cyclopédaleur », un de ces
vélos qui produisaient de l’électri
cité, par exemple pour faire fonc
tionner la ventilation. Dans le
couloir, une indication inscrite à
la vavite en 1944 a été conservée :
« PC Rol », audessus d’une flèche.
Bienvenue dans l’ancien poste
de commandement d’Henri Rol
Tanguy, place DenfertRoche
reau (14e arrondissement), l’abri
secret d’où a été coordonnée l’in
surrection de Paris en août 1944.
Ce lieu chargé d’histoire était jus
qu’à présent demeuré invisible.
Le grand public va enfin pou
voir y accéder. Soixantequinze
ans jour pour jour après la fin de
l’occupation de la capitale, c’est
ici que sera inauguré, le 25 août,
le nouveau Musée de la Libéra
tion de Paris. Avec ses salles d’ex
position au rezdechaussée, et
son trésor : ce PC militaire en
soussol, que les curieux pour
ront découvrir par groupes de
18 personnes au maximum, et
sur inscription.
Le Musée de la Libération de Pa
ris existait déjà à Montparnasse
depuis 1994. Il rassemblait d’inté
ressantes pièces sur le général
Philippe Leclerc de Hauteclocque
et sur Jean Moulin. Mais son em
placement, sur la dalle audessus
de la gare, le rendait difficile à
trouver. Le public n’était pas au
rendezvous. A peine 10 000 à
14 000 visiteurs par an, surtout
des groupes scolaires. « C’était in
suffisant par rapport aux ambi
tions de la Ville », reconnaît la di
rectrice, Sylvie Zaidman.
Décision a donc été prise,
en 2015, de transférer le musée
dans un site plus approprié et de
revoir toute la muséographie.
Vingt millions d’euros de travaux
plus tard, le résultat est spectacu
laire. Les salles de plainpied, pé
dagogiques, permettent toujours
de parcourir l’histoire de Paris du
rant la seconde guerre mondiale
en suivant les pas du « chef de
guerre » Leclerc et de Jean Moulin,
l’unificateur de la Résistance.
Deux hommes qui, sans s’être
croisés, ont joué l’un et l’autre un
rôleclé dans la lutte contre l’occu
pant allemand.
Deux bâtiments jumeaux
Sur place, on peut voir la vareuse
et le burnous de Leclerc, datant
de ses années au Maroc, des faux
papiers de Jean Moulin, ou en
core des tableaux provenant de la
galerie niçoise qui lui servait de
couverture. « Nous aimerions at
tirer ici plus de 50 000 personnes
par an, des Parisiens, des touristes,
des jeunes, indique Sylvie Zaid
man. Des gens se sont battus, ont
tout sacrifié pour défendre la li
berté : cela peut intéresser tout le
monde, non? » Mais c’est bien un
troisième homme, Henri Rol
Tanguy, qui donne à la nouvelle
version du musée son intérêt
particulier. Cent marches à des
cendre, et l’on se retrouve directe
ment au cœur du quartier géné
ral clandestin des Forces françai
ses de l’intérieur (FFI).
Deux bâtiments jumeaux se
font face place DenfertRoche
reau, deux pavillons construits
en 1787 par l’architecte ClaudeNi
colas Ledoux dans un style néo
classique. Il s’agit de vestiges du
mur des fermiers généraux qui
encerclait Paris. Ensemble, ils for
maient la barrière d’Enfer. Ceux
qui voulaient entrer dans la ville
par cette porte devaient payer
une taxe, l’octroi. En 1938, à l’ap
proche de la guerre, les autorités
décident de creuser sous l’un des
pavillons un abri de « défense
passive ». Il doit permettre aux
responsables des services techni
ques de la ville (eau, voirie, éclai
rage, etc.) de poursuivre leur mis
sion en cas de bombardement ou
d’attaque au gaz toxique. Il y a de
la place pour 130 personnes.
En pratique, cependant, l’abri
n’est pas utilisé. Du moins jus
qu’au 20 août 1944. Ce diman
chelà, Henri Tanguy, ouvrier
communiste de 36 ans, devenu
commandant des FFI de la région
parisienne sous le pseudonyme
de « Rol », investit les lieux.
La veille, les dirigeants de la Ré
sistance ont donné l’ordre à tous
les hommes âgés de 18 à 55 ans de
se mobiliser, et des policiers se
sont emparés de la Préfecture de
police. La victoire semble à por
tée de main. Les Alliés, débarqués
en Normandie en juin, progres
sent vers Paris, des milliers de
fonctionnaires se sont mis en
grève, les Allemands sont sur la
défensive. L’heure de l’insurrec
tion a sonné.
D’où organiser cette ultime ba
taille? « Nous sentions bien que
nous étions en train de sortir de la
clandestinité, racontera plus tard
RolTanguy. Mais l’ennemi était
dans Paris, il avait déjà tenté de ri
poster à l’occupation de la Préfec
ture de police, le danger était per
manent. » C’est pourquoi, après
s’être installés vingtquatre heu
res dans un immeuble de la rue
Schœlcher (14e), le colonel et son
équipe déménagent, le 20 août,
« pour un lieu plus sûr », à deux pas
de là : l’abri de DenfertRochereau.
Il est vaste, protégé, bien amé
nagé, accessible depuis l’ancien
octroi mais aussi de l’extérieur,
directement sur la place ou par le
terminus de la ligne de Sceaux du
métro (l’actuelle station de RER).
De quoi autoriser des allées et ve
nues discrètes.
Pourtant, les Allemands con
naissent son existence. Tous les
matins, la Kommandantur ap
pelle d’ailleurs pour vérifier que
l’endroit est tranquille. « RAS »,
pour « rien à signaler » , répond la
coniquement l’ingénieur Tavès,
un résistant qui joue les gardiens.
Il y aurait pourtant beaucoup à si
gnaler. Rol sort souvent avec ses
gardes du corps, notamment
pour se rendre à la Préfecture de
On peut voir
la vareuse
et le burnous de
Leclerc, datant
de ses années
au Maroc
police ou à l’Hôtel de Ville. Puis il
revient et retrouve notamment
sa femme, Cécile, qui est aussi sa
secrétaire. Tout le monde dort sur
place. Des officiers, des agents de
liaison, et même quelques jour
nalistes pénètrent dans ce PC con
fidentiel, en glissant un mot de
passe chaque jour différent.
Le bunker de Denfert-Rochereau
Le téléphone joue un rôle décisif.
L’abri dispose d’un central parti
culier, dont il reste aujourd’hui
l’armoire en métal. Une cinquan
taine de communications ont
lieu chaque jour. Une masse de
renseignements affluent ainsi
vers l’étatmajor : comptes ren
dus d’actions effectuées ou en
cours, construction de barrica
des, situation de l’ennemi...
« Nous avons suivi très précisé
ment les mouvements des blindés
allemands, ce qui nous permettait
d’alerter les unités FFI et d’envoyer
des corps francs les harceler, voire
les mettre hors de combat », rap
portera RolTanguy.
A partir du 22 août, il suit égale
ment heure par heure la progres
sion de la deuxième division
blindée, la fameuse 2e DB du gé
néral Leclerc, for te de
15 000 hommes et de 200 chars.
C’est elle qui, les 24 et 25 août, en
tre la première dans Paris, porte
d’Orléans, et passe justement à
DenfertRochereau.
Le 25, RolTanguy et Leclerc se
retrouvent pour la reddition du
général Dietrich von Choltitz, der
nier commandant militaire alle
mand de Paris, qui n’a pas détruit
la capitale malgré l’ordre donné
par Hitler. La capitulation est pa
raphée par Leclerc à la Préfecture
de police et cosignée par Rol à la
gare Montparnasse. Les deux
hommes se dirigent ensuite vers
l’Hôtel de Ville. Le général de
Gaulle y prononce un discours à
la population resté fameux : « Pa
ris outragé! Paris brisé! Paris mar
tyrisé! Mais Paris libéré! »
Trois jours plus tard, RolTan
guy et les FFI abandonnent défini
tivement leur bunker de Denfert
Rochereau. Fini les heures pas
sées sous terre, juste à côté des
squelettes et des crânes amassés
aux catacombes. La bataille de Pa
ris a laissé des milliers de morts et
de blessés. Mais soudain, le soleil
paraît radieux.
denis cosnard
Musée de la Libération de Paris,
Musée du GénéralLeclerc,
Musée JeanMoulin, 4, avenue
du ColonelHenriRolTanguy,
Paris 14e. Ouverture au public
à partir du 27 août, du mardi
au dimanche, de 10 heures
à 18 heures.
Au soussol du musée, le PC militaire que l’on pourra visiter par groupes de 18 personnes. PIERRE ANTOINE/MUSÉE DE LA LIBÉRATION DE PARIS
« Nous aimerions
attirer ici plus
de 50 000
personnes par
an, des Parisiens,
des touristes,
des jeunes »
SYLVIE ZAIDMAN
directrice du Musée
de la Libération
SEULEMENT
LEVOLUME 1
3 , 99
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présentée par
©Edouard Caupeil/Pasco ALEXANDRE ADLER
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