Le Monde - 20.08.2019

(Sean Pound) #1

24 | 0123 MARDI 20 AOÛT 2019


0123


U


ne semaine plus tôt que les an­
nées précédentes – pour cause de
réunion du G7 à Biarritz –, l’exécu­
tif fait sa rentrée, lundi 19 août. Le conseil
des ministres mettra, mercredi, un point
final à trois semaines d’une trêve estivale
plutôt calme pour le pouvoir, et au cours
de laquelle Emmanuel Macron s’est fait
volontairement discret, retranché derrière
les murs du fort de Brégançon. Le chef de
l’Etat, qui vient de commémorer les 75 ans
du débarquement allié en Provence et
reçoit lundi Vladimir Poutine à Brégan­
çon, s’est tenu éloigné de l’actualité et a
raréfié ses sorties, soignant sa posture
présidentielle.
Sur le papier, cette rentrée politique se
présente sous de meilleurs auspices qu’en

2018, où l’affaire Benalla, sous­estimée et
mal gérée au sommet de l’Etat, avait fait des
dégâts. Emmanuel Macron et Edouard Phi­
lippe avaient en outre enchaîné les décon­
venues, essuyant les démissions de deux
piliers du gouvernement, Nicolas Hulot et
Gérard Collomb, avant d’affronter la pre­
mière crise sociale d’ampleur du quinquen­
nat avec les « gilets jaunes ».
Un an plus tard, cette crise est en grande
partie surmontée. Les deux têtes de l’exé­
cutif, dont la cote de popularité est légère­
ment remontée cet été, se voient égale­
ment confortées par leurs résultats sur le
front du chômage, qui a encore baissé au
deuxième trimestre, avec un taux de 8,5 %,
le plus faible depuis dix ans. Sur le plan po­
litique, Emmanuel Macron a réussi son pre­
mier test électoral en obtenant un score ho­
norable aux européennes, et consolidé sa
position centrale sur l’échiquier.
Pour autant, les fractures sociales et terri­
toriales révélées par l’épisode des « gilets
jaunes » sont loin d’être résorbées. La situa­
tion du pays, pétri de tensions et de frustra­
tions accumulées, reste hautement inflam­
mable. Enseignants (réforme du lycée), ur­
gentistes (crise des urgences) ou encore
agriculteurs (sécheresse, CETA...) ont fait
part de leur mécontentement au cours des
dernières semaines, parfois violemment.
M. Macron l’a d’ailleurs reconnu : « Je ne
crois pas du tout que ce qui, à un moment

donné, a créé la colère sincère d’une partie
de la population soit derrière nous. »
L’exécutif devra éviter la coagulation de
ces mécontentements au moment où il
s’apprête à lancer plusieurs chantiers très
sensibles, dont la réforme des retraites et
l’ouverture de la procréation médicale­
ment assistée (PMA) aux femmes seules et
aux couples de femmes. Le gouvernement
devra également convaincre de sa bonne
foi en matière d’écologie. Il devra en outre
boucler un budget périlleux en dégageant
d’indispensables économies pour compen­
ser les baisses d’impôts de l’automne.
La première année de M. Macron et
M. Philippe avait été marquée par des réfor­
mes menées à la hussarde. Prenant le con­
tre­pied de ses prédécesseurs, qui se mé­
fiaient de l’exercice de contrition politique,
le président a fait part ces derniers mois de
ses regrets aux Français, reconnaissant des
maladresses. Désireux d’en finir avec le
procès en arrogance, le chef de l’Etat a pro­
mis que le « temps II » du quinquennat se­
rait placé sous l’égide du dialogue, notam­
ment avec les corps intermédiaires, et de
l’écoute des Français, son leitmotiv depuis
le grand débat.
A sept mois d’élections municipales autre­
ment plus périlleuses que les européennes
pour un jeune parti sans ancrage local ni
élus, le président n’a guère d’autre choix
que de tenter de tenir ces promesses.

LE PÉRILLEUX 


« TEMPS II » 


DU QUINQUENNAT


Pierre Micheletti


Levons les obstacles


qui se dressent devant


l’aide humanitaire


internationale


A l’occasion de la Journée mondiale de l’aide


humanitaire, lundi 19 août, le président d’Action


contre la faim appelle une « répartition plus


équitable » des financements de l’aide solidaire


L


e 19 août 2019, les navires
de sauvetage qui parcou­
rent la Méditerranée sont
allés à la recherche des
âmes perdues de la Terre. Une
journée de plus à répondre aux
messages qui permettent de re­
pérer les embarcations en dan­
ger. Une journée de plus à négo­
cier la possibilité de faire débar­
quer les personnes après les
avoir secourues. Mais une jour­
née hautement symbolique. Il y a
seize ans, le 19 août 2003, un at­
tentat à l’explosif ravage le siège
des Nations unies, à Bagdad,
tuant 22 personnes, dont le repré­
sentant des Nations unies en
Irak, Sergio Vieira de Mello.
En 2008, l’Assemblée générale de
cette même organisation votera
la résolution A/RES/63 139 ins­
taurant « une Journée mondiale
de l’aide humanitaire »
qui sera
commémorée chaque jour anni­
versaire de l’attentat de Bagdad.
Ainsi, cette journée retentit non
comme une célébration des mil­
liers de vies sauvées, mais
comme un rappel des dangers et
obstacles qui se dressent désor­
mais devant les démarches de so­
lidarité. Paradoxe d’un secours
humanitaire de plus en plus ex­
posé au risque d’empêchement.
La violence physique qu’encou­
rent aujourd’hui les acteurs de
l’aide humanitaire résulte de mé­
canismes multiples d’essences
politique, religieuse, mafieuse.
Mais cette violence ne constitue
pas le seul paramètre pouvant
conduire à la paralysie. Ce sont les
agences spécialisées des Nations
unies et les ONG internationales
qui engagent la quasi­totalité des
financements, obtenus pour trois
quarts des gouvernements et
pour un quart des particuliers.


Des urgences qui durent
Le Sommet humanitaire mon­
dial, qui s’est tenu à Istanbul
en mai 2016, a, parmi ses recom­
mandations, rappelé l’impérieuse
nécessité d’augmenter fortement
les volumes financiers alloués
aux ONG, parfois les seules à pou­
voir se déployer sur des terrains
de crise quand la violence est à
son apogée (Syrie, Irak, Yémen) ou
quand les gouvernements locaux
sont rétifs à l’interventionnisme
étranger (Birmanie, Corée du
Nord, Inde). Le geste humanitaire
doit admettre le rôle primordial
de la solidarité de proximité. Le
19 août est donc d’abord l’occa­
sion de faire le vœu d’une réparti­
tion plus équitable des finance­
ments et à y être attentif.
L’attentat de Bagdad est sur­
venu après une période que l’on
pourrait qualifier de « décennie
de la confusion ». Les conflits en
Somalie, en ex­Yougoslavie, en


Afghanistan, la première guerre
d’Irak (1990­1991) ont parfois ins­
tallé des agences des Nations
unies et, par opportunisme fi­
nancier, des ONG, dans des ap­
proches, alliances et positionne­
ments opérationnels qui les ont
fait apparaître comme ne respec­
tant pas les principes cardinaux
revendiqués par les humanitai­
res : neutralité, impartialité et in­
dépendance.
Quand sont présentes de nom­
breuses organisations de se­
cours, les dérives de quelques­
unes peuvent ternir l’image de
toutes, laissant croire qu’elles
sont unanimement engagées
dans un camp ou devenues le
soft power de grandes puissances
étrangères pour « gagner les
cœurs et les esprits » là où les
conduisent leurs intérêts géopo­
litiques ou sécuritaires.
L’Afghanistan de l’après­2001
aura constitué une acmé de cette
tentative de manipulation. Le
deuxième vœu que l’on peut for­
muler est donc de souhaiter aux
acteurs humanitaires plus de dis­
cernement et de retenue face aux
risques de manipulation.
La période dans laquelle nous
sommes engagés depuis le début
de la guerre en Syrie (2011) se
caractérise par l’augmentation
du nombre de crises majeures
(Soudan du Sud, Yémen, Irak, Li­
bye), alors même que se prolon­
gent des crises plus anciennes,
véritables « urgences qui durent »
(RDC, Afghanistan), de telle sorte
que le volume des besoins finan­
ciers a subi une très forte hausse
ces dernières années. Il en résulte
un essoufflement dans la capa­
cité à collecter des fonds supplé­
mentaires, que connaissent tou­
tes les familles d’acteurs humani­
taires, mais qui frappe d’abord
par son intensité les appels inter­
nationaux lancés par l’ONU. Le
troisième vœu va donc vers l’es­
poir de plus de générosité de la
part de ceux qui le peuvent.
Enfin, que penser de nos ater­
moiements, à nous, Européens,
pour une prise en charge digne
et efficace des migrants qui tra­
versent la Méditerranée? Fai­
sons le vœu que les navires en
action puissent, en sauvant le
plus de personnes possible, ré­
veiller la conscience de nos gou­
vernements et ainsi contribuer –
pour de vrai – à stimuler l’utopie
fondatrice de l’acte humanitaire
que la journée du 19 août pré­
tend entretenir...

Pierre Micheletti, médecin
et coresponsable du master
politiques et pratiques des
organisations internationales
à l’Institut d’études politiques
de Grenoble, est aussi l’auteur
du livre « Une mémoire d’In-
diens » (éditions Parole, 2018)


LES ONG SONT


PARFOIS LES SEULES


À POUVOIR SE


DÉPLOYER SUR


DES TERRAINS


DE CRISE QUAND


LA VIOLENCE EST


À SON APOGÉE


L

es manifestations organi­
sées maintenant depuis
plus de deux mois à Hon­
gkong constituent le pre­
mier échec majeur de Xi Jinping de­
puis son arrivée au pouvoir en 2012.
Difficile en effet de faire porter au
président chinois la responsabilité
de la guerre commerciale déclen­
chée, pour de multiples motifs, par
Donald Trump. En revanche, Pékin
est clairement responsable des évé­
nements dans le territoire semi­
autonome.
Cependant, lors du dernier con­
grès du Parti communiste, en octo­
bre 2017, le numéro un chinois était
on ne peut plus clair. « Après le re­
tour de Hongkong et de Macao dans
le giron de la patrie, la mise en prati­
que du principe “un pays, deux systè­
mes” a été une grande réussite uni­
versellement reconnue, expliquait­il.
Les faits ont prouvé que ledit principe
était la meilleure solution pour régler
la question, léguée par l’histoire, de
Hongkong et de Macao, de même
que le meilleur régime pour y main­
tenir la prospérité et la stabilité à
long terme. Dans ce but, il faut appli­
quer dans leur intégralité et avec pré­
cision les principes dits “un pays,
deux systèmes” “administration de
Hongkong par les Hongkongais”,
“administration de Macao par les
Macanais”, et le principe d’un haut
degré d’autonomie. »
Pourtant, moins de deux ans plus
tard, c’est justement parce qu’ils ont
le sentiment que ce principe n’est
pas respecté que les Hongkongais se
révoltent contre Pékin. Comment
en est­on arrivé là?
Manifestement, ni Xi Jinping ni
ses représentants locaux n’ont été
capables de percevoir les signes
avant­coureurs de cette crise. En
mars, Han Zheng, premier vice­pre­
mier ministre, se montre confiant :

« L’atmosphère politique à Hon­
gkong change, et pour le meilleur. »
Décryptage : avec les années, le sou­
venir de la « révolution des para­
pluies » de 2014 s’estompe.
En fait, c’est exactement l’inverse
qui se produit. La frustration et la
rancœur des Hongkongais contre le
pouvoir ne font que croître. Non
seulement la Chine de Xi Jinping ne
leur accorde pas le suffrage univer­
sel auquel ils aspirent, mais elle ro­
gne leurs libertés dès qu’elle le peut,
n’hésitant pas à utiliser des subter­
fuges pour invalider l’élection de dé­
putés d’opposition, à enlever à
Hongkong des opposants que l’on
retrouve ensuite dans les prisons
chinoises, ou à expulser un journa­
liste britannique qui a eu le malheur
de présider une conférence de
presse avec un leader politique indé­
pendantiste. Face à un pouvoir chi­
nois liberticide et à un pouvoir exé­
cutif local qui défend moins les inté­
rêts de Hongkong qu’il n’exécute les
ordres de Pékin, il suffit d’une étin­
celle pour que la colère explose.

Une erreur dans l’erreur
Ce sera le projet de loi déposé en ur­
gence – une erreur dans l’erreur –
permettant les extraditions de Hon­
gkongais mais aussi d’étrangers
vers la Chine continentale. Pour les
Hongkongais, cette réforme remet
en cause le fondement même de
l’identité de leur ville, le respect de
l’Etat de droit, le fameux « rule of
law » britannique à laquelle ils sont
si attachés. A leurs yeux, cette ré­
forme est la preuve que Pékin, mal­
gré le discours de Xi Jinping, n’en­
tend pas attendre 2047, comme la
Chine s’y est engagée lors de la ré­
trocession de la mégalopole par
Londres en 1997, pour y imposer sa
loi et mettre fin au principe « un
pays, deux systèmes ».
A moins d’être cynique et d’imagi­
ner que Xi Jinping a provoqué la
crise actuelle ou entend l’exploiter
pour accélérer la reprise en main de
cette ville rebelle, la gestion de cette
crise est un modèle de décisions ab­
surdes. A force de ne rien obtenir
malgré son évident succès popu­
laire, le mouvement de protesta­
tion devient explicitement anti­Pé­
kin et la revendication du suffrage
universel, qui n’apparaissait pas
lors des premières manifestations
en juin, constitue désormais l’une
des cinq demandes officielles. Ré­
sultat : un projet de loi mineur, sans
doute élaboré par une poignée de
bureaucrates myopes, s’est trans­

formé en deux mois en une crise
majeure pour la deuxième puis­
sance mondiale.
Et ce n’est pas fini. Après un mois
de tergiversations, Pékin a présenté
sa riposte la semaine du 5 août. Sou­
tien à Carrie Lam, la présidente de
l’exécutif local, appel aux hommes
d’affaires, aux « patriotes » et aux
politiciens locaux à rentrer dans le
rang, feu vert à une répression poli­
cière accrue et à une justice expédi­
tive, et menaces explicites à l’égard
des entreprises et des Hongkongais
qui participent ou qui même se con­
tentent de soutenir les manifesta­
tions anti­Pékin.
Par ailleurs, la propagande qui jus­
que­là minorait la contestation l’am­
plifie désormais. Les médias audio­
visuels chinois se mettent même à
produire des « fake news » dignes de
Russia Today. Il ne faut surtout pas
que les Chinois puissent s’identifier
aux Hongkongais. L’accent est donc
mis sur les violences – en réalité mi­
neures –, sur la prétendue volonté
des Hongkongais de proclamer l’in­
dépendance, et sur un complot occi­
dental derrière tout cela.
Peu importe que le président amé­
ricain, Donald Trump, n’ait que mé­
pris pour ceux qu’il qualifie
d’ « émeutiers ». Si cette propagande
semble efficace auprès de la popula­
tion chinoise, elle ne fait que renfor­
cer le ressentiment des Hongkon­
gais à l’égard de la Chine. Non seule­
ment le fossé n’a sans doute jamais
paru aussi large entre Pékin et Hon­
gkong, mais il n’a cessé de se creu­
ser ces dernières semaines. Alors
que Xi Jinping affirme vouloir
« construire une communauté de
destin pour l’humanité » , la crise de
Hongkong révèle au contraire un
dirigeant incapable de construire
une communauté de destin pour
les Chinois.
frédéric lemaître
(pékin, correspondant)

Hongkong : l’échec de Xi Jinping


À FORCE DE NE RIEN 


OBTENIR MALGRÉ 


SON ÉVIDENT 


SUCCÈS POPULAIRE, 


LE MOUVEMENT 


DE PROTESTATION 


DEVIENT 


EXPLICITEMENT 


ANTI­PÉKIN


MANIFESTEMENT, 


NI XI JINPING NI SES 


REPRÉSENTANTS 


LOCAUX N’ONT ÉTÉ 


CAPABLES DE 


PERCEVOIR LES SIGNES


AVANT­COUREURS 


DE CETTE CRISE

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