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MARDI 20 AOÛT 2019 international| 3
Communistes et libéraux défilent dans le calme à Moscou
Depuis le début de la mobilisation contre Vladimir Poutine, à la mijuillet, environ 3 000 personnes ont été interpellées
hongkong envoyé spécial
L
e mouvement prodémo
cratique qui s’est emparé
de Hongkong il y a dix
semaines a de nouveau
gagné son pari, dimanche
18 août. Malgré les violences des
précédents rassemblements,
malgré les menaces de la police
et de Pékin, malgré une pluie tor
rentielle, les Hongkongais ont
été une fois de plus extrême
ment nombreux à répondre à
l’appel des organisateurs et à bra
ver l’interdiction de manifester :
1,7 million selon le pointage des
bénévoles, chiffre bien plus réa
liste que les 128 000 participants
annoncés par la police.
Comme le 16 juin où 2 millions
de Hongkongais (sur 7,4 mil
lions) étaient déjà descendus
dans la rue, le centre de l’île a été
bloqué sur plusieurs kilomètres
pendant environ huit heures par
des flots incessants de manifes
tants. Mais le 16 juin, l’ambiance
était grave, les Hongkongais si
lencieux. Ce n’est que lorsqu’ils
se sont aperçus de l’importance
historique de leur marche qu’ils
ont laissé éclater leur joie.
Rien de tel ce dimanche. Dès le
début du rassemblement, un cri
puissant s’est élevé audessus
d’une mer de parapluies : « Libérer
Hongkong, révolution de notre
temps. » Le slogan d’un mouve
ment qui se bat désormais pour le
retrait total du projet de loi sur les
extraditions vers la Chine, pour
une enquête sur les violences
policières, pour la libération des
700 manifestants arrêtés ces der
nières semaines et, plus globale
ment, pour l’élection au suffrage
universel des responsables politi
ques locaux, en grande partie
nommés par Pékin.
Depuis une dizaine de jours, la
propagande chinoise affirme que
Hongkong vit sous la menace d’un
petit groupe de « quasiterroristes »
qui veulent l’indépendance et ne
représentent qu’euxmêmes. Di
manche, les Hongkongais, de tous
âges et de toutes conditions socia
les, ont puissamment démontré le
contraire. Ils ont clos de manière
impressionnante un weekend qui
avait démarré le vendredi soir de
façon émouvante.
« La génération suivante »
Des milliers de manifestants
avaient notamment entendu par
vidéo le jeune Brian Leung,
aujourd’hui réfugié à l’étranger,
leur expliquer pourquoi il faisait
partie, le 1er juillet, de ceux qui
avaient envahi le Parlement local,
à visage découvert. « Une commu
nauté ne peut émerger que si nous
faisons nôtre la souffrance de cha
cun et si chaque sacrifice est fait
pour nous tous », a notamment
déclaré ce jeune homme charis
matique écouté dans un silence
religieux par une foule réunie
dans Chater Garden, au pied des
gratteciel de la finance.
C’est également là que, samedi,
bravant eux aussi la pluie, des
milliers d’enseignants, réunis
sous le slogan « Protégeons la gé
nération suivante, laissons notre
conscience parler », avaient ap
porté leur soutien aux étudiants.
Mais le territoire semiauto
nome est divisé. « Dans chaque
famille, il y a ceux qui soutiennent
les étudiants et ceux qui sont
contre », témoigne une jeune ma
nifestante. D’ailleurs, dans le
jardin qui jouxte le Parlement,
samedi aprèsmidi, des dizaines
de milliers de manifestants
(108 000 selon la police, plus de
476 000 selon le quotidien chi
nois Global Times ) ont dénoncé
la violence et apporté leur sou
tien aux forces de l’ordre.
« Fardeau »
Un rassemblement qu’il serait fa
cile de caricaturer – avec d’innom
brables policiers en civil qui pren
nent les journalistes en photo du
rant les interviews et une bonne
partie des participants dont l’ac
cent trahit qu’ils n’habitent pas
Hongkong. Mais les gros sabots
de Pékin ne doivent pas faire
oublier qu’il y a aussi des Hon
gkongais que les violences in
quiètent réellement.
« Je ne suis pas contre les jeunes,
mais ils sont en train de détruire le
Hongkong que ma génération a
construit. Ils doivent arrêter, ça de
vient ridicule », explique un
homme âgé. « Ils croient qu’ils se
battent pour leur avenir mais ils
sont au contraire en train de le rui
ner, déclare Annie Chan, une
jeune retraitée du Crédit agricole
de Hongkong, qui donne son
nom sans la moindre hésitation.
Hongkong devient un fardeau
pour Pékin. La Chine va nous aban
donner. Bien sûr que le régime
communiste a fait des erreurs dans
le passé. Mais les démocraties
aussi en font. Regardez le Brexit.
Hongkong est devenu un champ
de bataille entre les EtatsUnis et la
Chine. C’est comme la Syrie, la
guerre en moins. C’est malheureux
à dire mais parfois je souhaite une
intervention de l’armée chinoise
pour que l’ordre revienne. »
En évitant cette fois de provo
quer la police, les manifestants
prodémocratiques ont prouvé
dimanche qu’ils ont entendu le
message : la violence est contre
productive. Qu’en pense Pékin?
Ces dernières heures, plusieurs
voix laissent entendre que
« Hongkong ne sera pas Tianan
men » et donc que l’armée chi
noise n’interviendra pas.
La réponse de la Chine sera plus
subtile. Dimanche, durant la ma
nifestation, les médias chinois
annonçaient que le gouverne
ment avait un nouveau plan
pour développer Shenzhen, la
ville qui fait face à Hongkong.
Cette mégapole va se voir doter
de nouveaux privilèges juridi
ques – mais aussi politiques, pa
raîtil – pour attirer les investis
seurs étrangers. Hongkong la re
belle doit savoir que, d’une façon
ou d’une autre, elle sera punie.
frédéric lemaître
moscou correspondance
Q
uelques milliers de
communistes, jusqu’à
300 libéraux. Loin des
50 000 personnes du
rassemblement du 10 août, les
manifestations « pour les élec
tions honnêtes » ont peu mobilisé
en ce samedi 17 août pluvieux à
Moscou. Mais le message est
clair. « Nous avons un ennemi
commun : le Kremlin. Unissons
nous! », confie Olga Bitchova,
une retraitée qui a « participé de
puis des années à toutes ces mani
festations ». Après s’être rendue à
midi au rassemblement du Parti
communiste, autorisé par la mai
rie un peu à l’écart du centre, elle
est allée vers 15 heures à l’un des
trois endroits choisis au cœur de
la capitale par l’opposition libé
rale pour brandir une affiche de
protestation.
« Non au déni constitutionnel », a
telle écrit en lettres rouges et noi
res sur son teeshirt blanc. Alors
que les autorités ont interdit toute
marche de protestation, les ano
nymes se succèdent ainsi par di
zaines, debout pendant quelques
minutes, seuls avec une affiche
dans les mains. Ils se conforment à
la stricte loi russe sur les rassem
blements publics qui, sans autori
sation préalable, permet ce genre
de manifestation individuelle à
condition que les protestataires
soient séparés de 50 mètres.
Depuis la mijuillet, l’opposition
au Kremlin de Vladimir Poutine
organise diverses formes de pro
testation pour dénoncer le rejet
des candidats indépendants à
l’élection municipale du 8 sep
tembre. Un scrutin local dont l’en
jeu est du coup devenu national.
Au total, quelque 3 000 person
nes ont été interpellées depuis le
début du mouvement.
« Aujourd’hui, nous ne sommes
pas venus simplement pour défen
dre notre droit à avoir de vraies
élections. C’est désormais plus
large. Nous protestons contre la
vague de violences policières, d’ar
restations et de poursuites judiciai
res », explique Ilya Azar, journa
liste devenu l’un des organisateurs
du mouvement au sein de l’oppo
sition libérale. Sur sa pancarte, il a
écrit en lettres capitales « Il n’y a
pas eu de troubles massifs ». Allu
sion aux poursuites pénales lan
cées, en près d’un mois, contre au
moins quatorze personnes accu
sées d’avoir participé à des « trou
bles massifs » ou « des violences
contre les forces de l’ordre ».
« D’ici au 8 septembre, nous som
mes prêts à manifester avec les li
béraux. Toutes les forces doivent
s’unir », déclare pour sa part Pavel
Groudinine, l’un des leaders du
Parti communiste, candidat à la
présidentielle l’an passé.
« Fatigués du régime »
Les communistes, qui forment
une opposition généralement
loyale au Kremlin, ont rejoint sur
le tard la vague de contestation
pour le scrutin du 8 septembre.
Présent à la Douma nationale, le
parti a pu automatiquement pré
senter des candidats à la Douma
de Moscou sans devoir recueillir
de signatures de soutien. Tandis
que les candidats du mouvement
libéral, absents à la Douma natio
nale, ont dû collecter ces signatu
res et ont été exclus à cause de
prétendus vices de forme.
« Nous savons par avance qu’il y
aura des infractions le jour du
scrutin. Et, tous, nous sommes fa
tigués du régime de Poutine... Pro
testons ensemble pour des élec
tions honnêtes et contre les arres
tations! », propose Sergueï Kou
grenskii, l’un de ces candidats
communistes présents dans la
foule de la manifestation de son
parti. Ce meeting réunissant
quelque 4 000 personnes sous
les drapeaux rouges s’est conclu
par L’Internationale et les appels
« à changer le régime pour passer
au socialisme ».
Manifestation
pour la démocratie
au Victoria Park,
à Hongkong,
dimanche 18 août.
PHILIP FONG/AFP
Plusieurs voix
laissent entendre
que « Hongkong
ne sera pas
Tiananmen »
et donc que
l’armée chinoise
n’interviendra pas
quelques dizaines de personnes
s’étaient réunies, samedi 17 août, place
SaintMichel à Paris, en soutien au mouve
ment de protestation à Hongkong contre la
mainmise croissante du pouvoir central
chinois. « Nous sommes tous Hongkong! »,
ontils lancé. Rapidement, ce groupe s’est
retrouvé face à un autre, qui s’était mobilisé
via par l’application de messagerie WeChat
mais n’avait pas déposé de demande de
manifestation à la préfecture : des jeunes
Chinois brandissant le drapeau de la Répu
blique populaire et lançant « Vive la Chine,
vive Hongkong! » , avant d’entonner la Mar
che des volontaires , l’hymne national chi
nois. Les échanges ont été tendus.
Les mêmes scènes se sont produites si
multanément à travers le monde, en parti
culier dans les villes où la diaspora chinoise
est fortement présente. A Londres, les sou
tiens du mouvement en faveur de la démo
cratie dans l’ancienne colonie britannique
se sont retrouvés sur Trafalgar Square,
avant de rejoindre Parliament Square où ils
sont tombés sur des nationalistes chinois
criant « Une seule Chine! », ce à quoi les criti
ques de Pékin ont répondu « Deux systè
mes! », référence à la formule « Un pays,
deux systèmes », censée garantir, depuis la
rétrocession de 1997 et pour un demisiè
cle, un haut degré d’autonomie du « Port
des parfums » visàvis de Pékin.
« La pression est énorme »
Des faceàface similaires se sont déroulés à
New York, Vancouver ou encore dans le parc
Belmore à Sydney, où un partisan de la dé
mocratie a dû être éloigné par les policiers
après avoir été encerclé et insulté par des
jeunes de Chine continentale. A la fin de la
manifestation, un homme ayant sorti un
drapeau taïwanais a été attrapé par le cou et
mis au sol, selon le Sydney Morning Herald.
Quelques jours plus tôt, ce même journal
avait révélé comment la mère d’un étudiant
chinois à Brisbane, qui vit en Chine conti
nentale, avait été mise en garde après qu’il
avait participé à une manifestation à l’uni
versité du Queensland en soutien au mou
vement prodémocratique à Hongkong. Elle
avait reçu la visite d’un « invité », ce qui sug
gère que Pékin s’intéresse de près à ceux qui
participent aux mobilisations à l’étranger.
Elle avait assuré les autorités de la loyauté
indéfectible de son fils au Parti commu
niste chinois, et lui avait aussitôt intimé l’or
dre de se tenir à l’écart des rassemblements
et de la « rhétorique antichinoise » , pour sa
sécurité et celle de sa famille en Chine.
Dans la communauté chinoise en France,
le sujet est très sensible, alors que Pékin
dispose, via des associations patriotiques,
de puissants relais d’influence. « Les asso
ciations se sont mises à s’exprimer en faveur
de la police de Hongkong ces derniers jours,
à dire que les manifestants sont de dange
reux indépendantistes, qu’ils sont manipu
lés par la CIA, dit un jeune Français d’ori
gine chinoise impliqué dans la vie de la
communauté. Dès lors qu’une personne de
la communauté émet une opinion favora
ble à la mobilisation à Hongkong, la pres
sion est énorme, on l’accuse d’être un traître,
de briser l’union sacrée des Chinois. »
harold thibault
Manifestants prodémocratie et pro-Chine face à face à l’étranger
Autour, la présence policière
était visible mais pas massive. En
cadrant les actions individuelles
de l’opposition libérale, les poli
ciers ont suivi à distance le mou
vement sans intervenir.
A SaintPétersbourg, douze
personnes ont été interpellées
lors d’une manifestation de soli
darité avec le mouvement mos
covite. Mais sans les violences
policières, ni les vagues d’arres
tations, comme lors des précé
dentes mobilisations. Diman
che, un responsable de l’opposi
tion, Ilya Iachine, a été interpellé
dans la capitale russe quelques
instants après sa sortie de prison,
où il venait de purger une peine
liée à sa participation à la contes
tation du 27 juillet.
nicolas ruisseau
Hongkong : la rue défie Pékin par la nonviolence
Les manifestants ont évité des heurts avec la police, néfastes pour l’image du mouvement prodémocratie