2019-08-17_Le_Temps

(Tina Sui) #1
SAMEDI 17 AOÛT 2019 LE TEMPS

Actualité 5


BORIS BUSSLINGER
t @BorisBusslinger

«Le réchauffement, vous y
croyez ou non?» «Oui, absolu-
ment. C’est un problème très
grave», dit Ueli Maurer. Enregis-
tré par la RTS, l’entretien date du
31 juillet. Ce mercredi, le ministre
des Finances a enfoncé le clou sur
une télévision alémanique: «Le
temps se réchauffe et nous devons
nous demander s’il sera possible
de vivre en Suisse comme
aujourd’hui dans cent ans. Nous
devons clairement prendre des
mesures.» Lesquelles? Le pré-
sident reste évasif.
Ses deux interventions sur le
sujet tranchent toutefois avec les
positions climatosceptiques de la
direction du parti, dont son pré-
sident, Albert Rösti: «Les partis
de gauche ne parlent que du cli-
mat», répétait encore le Bernois
en juin dernier, lors de l’assem-
blée des délégués de l’UDC: «C’est
ce que nous appelons l’arnaque
écolo-socialiste contre la classe
moyenne. Regardez-moi ce beau
temps! On entend partout qu’il
fait chaud mais c’est normal! Pro-
fitons!» Entre ces deux discours,
à quel saint l’électeur UDC doit-il
se vouer?
En mai, le parti rédigeait un
document interne intitulé «Argu-

mentaire sur l’hystérie clima-
tique». Il fournissait une appré-
ciation claire de sa conception du
dossier: «Les manifestations
actuelles concernant le climat
sont des actions de mineurs ins-
trumentalisées. Il n’existe aucune
raison valable de parler d’un état
d’urgence climatique.» Cette
vision est défendue en plus haut
lieu par le président du parti,
Albert Rösti, mais également
par  Roger Köppel, conseiller
national et rédacteur en chef de
la Weltwoche. L’ultra-conserva-
teur en a même fait sa marque de
fabrique.

«Une politique marxiste
d’expropriation»
Sur Twitter, Roger Köppel s’ex-
prime ainsi quotidiennement sur
le sujet. Ce mercredi encore: «Je
suis contre l’abus du changement
climatique pour mettre en place
une politique marxiste d’expro-
priation, d’économie planifiée et
d’interdiction du CO2 qui, mise
en place à l’échelle planétaire,
provoquerait la misère, les
guerres et la mort», affirme le
Zurichois. Le ton est donné, peu
propice à la discussion nuancée.
Cette manière de voir les choses
commence cependant à fatiguer
certains membres du parti,
notamment en Suisse romande.
«Quand on vit au centre de
Zurich, explique Yvan Perrin, il y
a des réalités auxquelles on n’est
pas confronté.» Candidat UDC au
Conseil national, l’ancien ministre
neuchâtelois concède avoir «du
mal à suivre les membres de son

parti qui considèrent le réchauf-
fement climatique comme une
blague». «Au sein de l’UDC, le
fossé est large, surtout entre villes
et campagnes, remarque-t-il.
Nous avons deux visions du sujet
différentes, voire opposées. Je ne
crois pas que la question clima-
tique ne soit qu’une mode. Si nous
ne voulons pas laisser de cadeau
empoisonné aux générations
futures, des mesures sont désor-
mais nécessaires.» Grand défen-
seur des paysans – parmi les pre-
miers touchés par les sécheresses
récurrentes –, le parti propose-t-il
quelque chose en la matière?
«Le monde agricole se sent atta-
qué par les revendications vertes,
répond Yvan Perrin. Les paysans
consomment pourtant leurs
propres produits et doivent tirer
un revenu de leur terre; ils n’ont
aucun intérêt à bousiller leur
domaine ou à abuser des pesti-
cides. Ce que fait l’UDC, c’est leur
faire confiance. Ces gens tra-
vaillent la terre tous les jours, ce
sont les meilleurs experts. Ils ont
beaucoup à apporter dans le com-
bat contre le réchauffement.» Et
c’est là que le parti des agricul-
teurs manque une occasion de
s’approprier le débat, considère
Pierre-André Page, conseiller
national fribourgeois.
«A travers sa politique de sou-
tien aux paysans, le parti combat
le changement climatique depuis
longtemps, martèle-t-il: «Nous
cherchons des variétés de plantes
qui répondent mieux à la séche-
resse, des solutions d’arrosage
plus économiques, des manières

de préserver les sols, d’isoler les
maisons. Il est faux de dire que
nous ne faisons rien. Nous faisons
beaucoup pour la nature, mais
nous communiquons mal. C’est
une erreur.» Le paysan salue les
marches des jeunes pour le cli-
mat, «une bonne chose», et
regrette la mauvaise image de
l’UDC dans les villes.

«En contact avec la nature
tous les jours»
Parmi les seuls membres du
parti à avoir défendu la Stratégie
énergétique 2050 – ce qui lui a
valu «des remontrances» –,
Pierre-André Page souligne la
difficulté d’être écouté sous la
coupole en tant que «petit Fri-
bourgeois face à 20 Zurichois».
Il revendique toutefois sa
connaissance du sujet, acquise
sur le terrain: «Je travaille avec
la nature tous les jours, insiste-
t-il. Mettre la faute sur les immi-
grants, qui consommeraient de
l’eau chez nous, ce n’est pas ça qui
va changer quoi que ce soit au
réchauffement climatique. Ce
phénomène s’accélère, on ne
peut pas le nier. Il faut agir.
L’UDC le fait justement! Mais
nous devons mieux informer sur
nos actions.»
Son conseil n’a vraisemblable-
ment pas encore atteint les
oreilles d’Albert Rösti. A deux
mois des élections fédérales, le
président avait convoqué la
presse ce mardi. Au programme:
«L’immigration démesurée». Le
climat n’a pas été mentionné une
seule fois. n

Le réchauffement climatique divise


les ténors de l’UDC


ÉLECTIONS FÉDÉRALES Le
premier parti de Suisse est en
retrait sur la question environne-
mentale. Parmi ses membres,
certains agrariens appellent à la
prendre davantage au sérieux

MICHEL GUILLAUME, BERNE
t @mfguillaume

L’image désastreuse qu’avait lais-
sée le Conseil national en étant
incapable de mettre au point une
loi sur le CO2 appartient au passé.
La Commission de l’environnement
(Ceate) du Conseil des Etats se
montre beaucoup plus construc-
tive. Ce vendredi, elle propose à la
fois une taxe sur les billets d’avion
et un renchérissement du prix des
carburants. Cette commission
étant composée de neuf membres
bourgeois sur 13, elle devrait nor-
malement être suivie par le plé-
num, puis par le Conseil national.
Les mesures prises ne sont pas
draconiennes, mais elles ont une
composante symbolique forte. La
Commission rappelle qu’elle sou-
tient l’objectif fixé par le Conseil
fédéral de réduire de moitié – par
rapport à 1990 – les émissions de
gaz à effet de serre d’ici à 2030 et

de fixer à 60% la part minimale de
réduction à réaliser en Suisse.
Concernant la taxe sur les billets
d’avion (dont seront exemptés les
passagers en transit), elle l’envisage
entre 30 et 120 francs. Elle a fixé le
seuil de manière à provoquer un
effet incitatif sur les vols intra-eu-
ropéens de la classe économique.
Elle estime qu’il faut taxer plus for-
tement les long-courriers, mais
veut laisser une marge de
manœuvre au Conseil fédéral, qui
devra veiller à éviter toute fuite des
passagers vers les aéroports étran-
gers. A long terme, la commission
précise qu’elle est favorable à une
solution à l’échelle internationale
concernant une telle taxe.

Le secteur financier aussi
En ce qui concerne les carburants
fossiles, les importateurs doivent
aujourd’hui déjà compenser une
partie des émissions de CO2. La
Ceate prévoit cependant d’augmen-
ter la part des compensations, ce
qui renchérira le prix de l’essence
d’au maximum 10 centimes par
litre dans un premier temps, puis
de 12 centimes dès 2025. Dans ce
contexte, des mesures pourraient
être prises pour favoriser l’électro-

mobilité, par exemple en multi-
pliant les bornes de recharge ali-
mentées aux énergies
renouvelables.
Autre nouveauté non négligeable:
la Ceate estime que le secteur finan-
cier doit lui aussi contribuer à la
réalisation des objectifs de réduc-
tion des émissions et qu’il a un rôle

à jouer dans la transition vers une
économie plus verte. Elle propose
ainsi de charger la BNS et le gen-
darme de la place financière qu’est
la Finma de mesurer périodique-
ment les risques financiers liés aux
changements climatiques.
Une fois n’est pas coutume. C’est
le PLR qui a réagi le plus vite aux
mesures prises par la commission

du Conseil des Etats. En juin der-
nier, le parti de la présidente Petra
Gössi avait totalement revu sa poli-
tique climatique en se dotant d’un
nouveau slogan, «Pour davantage
de vert, votez bleu», la couleur des
libéraux-radicaux. Ce vendredi, le
PLR salue un «compromis obtenu
grâce à ses membres au sein de la
commission», notamment Damian
Müller (LU) et Ruedi Noser (ZH).
Du côté des Verts, c’est aussi la
satisfaction. «Nous avons obtenu
deux victoires d’étapes impor-
tantes», se réjouit la conseillère
nationale Adèle Thorens (VD). «La
taxe sur les billets d’avion est un
progrès important, même s’il
manque encore un plan d’action
pour offrir des alternatives à l’avion,
par exemple en promouvant les
trains de nuit. Quant à la mission
confiée à la BNS, elle est une reven-
dication majeure de longue date des
milieux écologistes. Mais ces pro-
grès doivent désormais être confir-
més par les deux chambres»,
déclare-t-elle. Cela dit, le projet
esquissé par la Ceate du Conseil des
Etats est encore loin des demandes
des jeunes grévistes du climat, qui
revendiquent la neutralité clima-
tique en 2030. n

POLITIQUE CLIMATIQUE La
Commission ad hoc du Conseil des
Etats fixe les premiers jalons de
la nouvelle loi sur le CO2 en
taxant l’aviation et en renchéris-
sant le prix de l’essence

NATHALIE VERSIEUX, BERLIN


Le gouvernement allemand
craint-il les représailles de la Corée
du Nord? La question est ouverte-
ment posée par le quotidien de
centre gauche Süddeutsche Zei-
tung,
qui suit de près l’intermi-
nable feuilleton de l’auberge de
jeunesse City Hostel Berlin, située
entre la porte de Brandebourg et
Checkpoint Charly, au cœur du
quartier gouvernemental. L’éta-
blissement, inauguré en 2008,
occupe une partie des locaux de
l’ambassade de Corée du Nord en
Allemagne.
La location des lieux par l’entre-
prise familiale turque EGI GmbH



  • la maison mère de City Hostel –
    rapporterait quelque 40 000 euros
    de loyer par mois à Pyongyang, «en
    violation de la résolution 2321 du
    Conseil de sécurité de l’ONU»,
    assure l’élu local social-démocrate
    Tom Schreiber. La résolution 2321,
    adoptée en 2016, stipule notam-
    ment que «tous les Etats membres
    devraient interdire à la Corée du
    Nord d’utiliser les biens immobi-
    liers qu’elle peut posséder hors de
    son territoire national à d’autres
    fins que ses activités diploma-
    tiques ou consulaires». Le Conseil
    de sécurité considère que de telles
    activités pourraient en fait servir
    à financer le programme nucléaire
    nord-coréen.
    Gouvernement fédéral et autori-
    tés municipales multiplient les
    recours contre l’établissement. En
    vain. Fin mars 2019, une plainte des
    autorités douanières, engagée
    contre la société EGI devant un tri-
    bunal administratif, s’est même
    soldée par un non-lieu, le tribunal
    estimant que les autorités ne pou-
    vaient prouver que le montant du
    loyer arrivait bien dans les caisses
    de l’Etat nord-coréen.
    La Corée du Nord possède depuis
    la fin des années 1960 un terrain de
    6000 mètres carrés au cœur du
    quartier gouvernemental à Berlin.
    Deux blocs de béton de style sovié-


tique abritaient alors 30 diplomates
«dont 27 avec leur épouse» ainsi que
«15 employés» et 47 enfants, sou-
ligne la police politique est-alle-
mande, la redoutée Stasi. Les rap-
ports de cette dernière, étudiés par
l’historien Bernd Schäfer de la
George Washington University,
listent les trafics de montres à
quartz et de cassettes musicales
auxquels se livraient alors les sala-
riés nord-coréens derrière les
barbelés de leur ambassade.
En échange, le régime commu-
niste est-allemand recevait un vaste
terrain boisé avec piscine, au cœur
du quartier diplomatique à
Pyongyang. C’est ce terrain – dont
l’Allemagne loue aujourd’hui une
partie à la Suède, à la Grande-Bre-
tagne et à la France – que Berlin
craindrait de perdre, en faisant
monter la pression sur le régime
ami de l’ancien dictateur est-alle-
mand Erich Honecker, à qui le fon-
dateur de l’Etat nord-Coréen Kim
II-sung a personnellement proposé
l’asile politique en 1989.

A partir de 12 euros
Avec la chute du Mur, les rela-
tions entre les deux pays se sont
considérablement refroidies. Les
effectifs de l’ambassade ont fondu
à 10 personnes. Pyongyang a alors
décidé de louer une partie de ses
locaux à une salle de sport, puis à
un cabinet de psychothérapie et
enfin à l’auberge de jeunesse. L’éta-
blissement – 450  lits, dans
100 chambres, à partir de 12 euros
la nuit – ne désemplit pas en pleine
saison. Le site de l’auberge vise
une clientèle de jeunes, attirés par
les nombreux clubs de la ville. Une
vitrine proche de l’entrée aligne
les photos de propagande. On y
voit notamment Kim Jong-un en
compagnie de Vladimir Poutine à
Vladivostok.
Derrière les barbelés de l’ambas-
sade, un drapeau à étoile rouge
ondule au vent dans la cour, égayée
de bégonias rouges – des «Kimjon-
gilia», une espèce créée en 1988 par
un botaniste japonais en l’honneur
du «Chef bien-aimé». Selon les ser-
vices de renseignement allemands,
le loyer de l’auberge permettrait
aussi aux diplomates d’expédier en
Corée les produits de consomma-
tion occidentaux qui servent à fidé-
liser les élites nord-coréennes au
régime. n

ALLEMAGNE Berlin tente
depuis 2016 de faire fermer l’au-
berge de jeunesse City Hostel
installée sur un site appartenant
à Pyongyang. Toutes les
démarches ont à ce jour échoué
et l’établissement, prisé des tou-
ristes, ne désemplit pas l’été


Un lit à l’ambassade


de Corée du Nord


Envol réussi pour la taxe sur les billets d’avion


ALBERT RÖSTI
PRÉSIDENT DE L‘UDC

«C’est une


arnaque écolo-


socialiste contre


la classe moyenne»


UELI MAURER
PRÉSIDENT DE LA
CONFÉDÉRATION

«Le changement


climatique


est un problème


très grave»


YVAN PERRIN
CANDIDAT
NEUCHÂTELOIS AU
CONSEIL NATIONAL

«Au sein du parti,


le fossé est large


entre ville


et campagne»


PIERRE-ANDRÉ PAGE
CONSEILLER
NATIONAL
FRIBOURGEOIS

«Que des jeunes


défilent,


je trouve


cela très bien»


AFP


Les autorités groenlandaises ont
rappelé vendredi que leur île
n’était pas à vendre après des révé-
lations dans la presse américaine
selon lesquelles Donald Trump
aurait jeté son dévolu sur l’im-
mense territoire autonome danois.
La veille, le Wall Street Journal
a rapporté que l’ancien homme
d’affaires new-yorkais, qui fut
autrefois un magnat immobilier
de renom avant de se lancer dans
la politique et de devenir pré-
sident des Etats-Unis, se serait
enquis plusieurs fois auprès de
ses conseillers à la Mai-
son-Blanche de la possibilité pour
les Etats-Unis d’acheter ce terri-
toire de 56 000 habitants.
«Le Groenland est riche en res-
sources précieuses [...]. Nous


sommes ouverts aux affaires, pas
à la vente», a rétorqué sur Twitter
vendredi le Ministère groenlan-
dais des affaires étrangères. Le
cabinet de la première ministre
Mette Frederiksen n’a pas sou-
haité faire de commentaire dans
l’immédiat.

Pétrole, or, diamant...
Le Groenland est une gigan-
tesque île arctique, grande comme
quatre fois la France, riche en
ressources naturelles (pétrole,
gaz, or, diamant, uranium, zinc,
plomb) et où les effets du réchauf-
fement climatique sont mani-
festes. La fonte des glaces, qui
entraîne la hausse du niveau des
mers, y a été multipliée par quatre
entre 2003 et 2013.
Le Groenland était une colonie
danoise jusqu’en 1953, date à
laquelle il est entré dans la Com-
munauté du Royaume danois. En
1979, l’île a obtenu le statut de
«territoire autonome», mais son
économie dépend toujours forte-
ment des subsides versés par
Copenhague. n

ATLANTIQUE NORD Le pré-
sident américain se serait enquis
plusieurs fois auprès de ses
conseillers de la possibilité de se
procurer l’île, a rapporté le «Wall
Street Journal»


Donald Trump songe


à acheter le Groenland


Le Conseil fédéral


devra veiller


à éviter toute fuite


des passagers


vers les aéroports


étrangers

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