La Provence Marseille du samedi 17 aout 2019

(Michael S) #1

I


nsoutenable,le récitlivrépar
un adolescenttorturéen dé-
but de semainedansune
cavede la cité Félix-Pyat(3e)a
choquéjusqu’auxenquêteurs
de la brigadecriminelle.Des
fonctionnaires pourtantrom-
pusauxscénarios les plus
cruels."Ce que les auteurslui ont
faitestquandmêmed’unesauva-
gerieque l’on peineàimaginer",
fulmineun fonctionnaire.
Âgé de 16 ans,le mineuraen
effetété longuementtourmenté
au chalumeau,a-t-on appris
hier de sourcejudiciaire, confir-
mantuneinformationgardée
soussilence,jusque-là,pourles
besoinsde l’enquête.
Trèsgrièvementbrûléau bras
et au sexe,il aégalementété mé-
chammentpasséàtabac.Après
cetteséancede sévices,l’otagea
finalementété libéré,mardi
après-midi,grâceàl’interven-
tionde jeunesgensde cette
mêmecité.La victimeaensuite
été embarquée,nue et le visage
tuméfié,en directionde l’Hôpi-
tal européen,où elle aété prise
en chargesouffrantde brûlures
au troisièmedegré."Sonpronos-
tic vitaln’étaitpas engagémaisil

étaitvraimentdansun très sale
état",souffleune policière. Audi-
tionnées,les personnesqui l’ont
déposéaux urgences ontété
miseshorsde cause...
Comment cet adolescentorigi-
nairede Chartres(Eure-et-Loir)
s’est-ilretrouvédansun tel tra-
quenard ?Défavorablement
connudes servicesde police
pourdes faitsde traficde stupé-
fiants,le mineurdifficileavait
été placéen foyerpar un juge
des enfants,d’oùil s’estrécem-
mentenfui.Il aalors pris la direc-
tion de Marseille et plus précisé-
mentde la cité des Micocouliers

(14e). Àl’abrides tours,il semble
avoirproposéses servicesàun
réseaude reventede stupé-
fiants.C’estlà, en faisantson
"job"de charbonneur,qu’ila
été interpellé,le 9août dernier,
puislaissé libre àl’issue de sa
gardeàvue. Est-ilsoupçonné
par des trafiquantsd’avoirparlé
aux forcesde l’ordre?A-t-ilrefu-
sé d’honorerune detteliée àson
interpellation avecde la mar-
chandise?Des questionsqui se
trouvent,aujourd’hui,au centre
des investigations...Toujours
est-ilque,de sourcejudiciaire,
on préciseque le jeunegarçon

seraitensuiteallé récupérerdes
produits qu’il avait cachés au Mi-
cocouliers. Puis, pourunerai-
sonindéterminée,qu’ilse serait
mis en tête de les revendredu cô-
té de Félix-Pyat.
Danscetteautrecité,il aurait
été surpris, en débutde se-
maine,par des dealersdu coin
qui n’ontpas manquéde lui de-
mander des comptes.Selonce
scénario,qui resteàconfirmer,
l’adolescentse seraitalorsvanté
de travailleren "free-lance".
Une tentative de s’imposeren in-
dépendant, au vu et au su du ré-
seauactifsur place,qui n’a pas

manquéd’êtreperçuecomme
uneprovocation. Peut-être le
mobilede la terriblecorrection,
mêmesi la PJ se veut"tr ès pru-
dente"àcestadesur les motiva-
tionsdes tortionnaires...
Selon nosinformations, la vic-
time,encore très faiblephysi-

quement,afinalementpu être
entenduebrièvementpar la po-
lice judiciairechargée de cette
enquêteouvertepour"vio-
lencesaccompagnéesou suivies
d’actesde tortureou de barbarie
et séquestration".Son audition
confirmeraitl’essentieldes pre-
miersélémentsrecueillis, inscri-
vantclairementce dossierdans
un contextede traficde drogue.
Les auteursprésuméssontac-
tivementrecherchésmais au-
cuneinterpellationn’a eu lieu à
cetteheure. "La barbariedela
méthodeutiliséesonnecomme
un avertissement lancé àceux

quinerespectentpaslesrègles
des réseaux",glisseun prochedu
dossier.
Comme le rappelait hierLe Pa-
risien,l’utilisationdelatorture
dansce genre de conflitn’est
pas unepremière. En 2017, un
vendeuravaitsuppliciéun rival
àGentilly(Val-de-Marne)par
vengeance.Autreexemple:huit
accusésontétéjugésàBobigny
en févrierdernier,en 2014,pour
avoir torturédeux trafiquants
après la disparition de 80 kilos
de cannabis.
LaurentD’ANCONA
et DenisTROSSERO

On acru naïvementqu’il yau-
rait un avantet un aprèsTaoufi-
ki Mohamadi.Quele sentiment
de révoltequi s’était emparé
des habitantsdes Iris (14e)àla
suitedu tabassagemortelde ce
jeunehommede 19 ans ferait
tached’huiledansd’autres
quartiersde Marseille.Queles
éluset représentantspréfecto-
rauxvenusen nombreparader
devantles caméras,filmantune
mobilisationinéditedes habi-
tantscontrel’emprisedes trafi-
quants,avaientenfinpris
consciencedelapropagation
d’uncancerqui,enplusduchô-
mageet de la précarité -ouplu-
tôt àcause de -rongeait le quoti-
diendes citésmarseillaises.
Ce 8février 2008,il ya11 ans
déjà,Taoufikiavaitété accusé
par le réseaudes Iris d’avoir
commanditélebraquage d’un
"charbonneur",cerevendeur
payé au smichoraireinstallé
toutelajournéesur sonfau-
teuil,bâtiment26. Piégépar un
amid’enfance pourqu’ilsorte
de son appartement, le jeune
majeuravaitété aperçupar des
témoinsentrainde tenterde
s’enfuir. Lesmêmesl’avaient re-
vu passerquelquesminutes
plustard sousleursfenêtres,in-
animé,portépar les mainset les

pieds,la tête ballante."Comme
un chien",témoigneraune voi-
sine.Àl’heurede la sortiedes
écoles, Taoufikiavaitensuite
été conduitdans un localdésaf-
fectéet lynchéen groupe, par
d’autresenfantsdes tours,qu’il
connaissaitdepuisle bacà
sablepour la plupart, àcoups
de poing,de pied,de pierre...
Finalementappeléssur les
lieux,les policiersdécouvriront
le corpsde la victimeagonisant

facecontreterre,en trainde se
noyerdansunebassined’eau.
Dansl’ambulancequi le condui-
sait plustard àl’hôpital, Taoufi-
ki auraitprononcéune dernière
phrase:"J’aipriépourque ça
s’arrête".Il est mortle lende-
mainde ses blessures.
Sousle chocetappelésàdé-
noncerles coupables par Kas-
sim Papa,un docteuren biolo-
gie natifde la cité,des habitants
des Iris avaientrefouléleur ter-

reuret briséla loi du silence.Ils
s’étaientmis en tête,plutôtque
d’attendre comme d’habitude
une réactionfortedes pouvoirs
publics qui ne vient pas,de re-
conquérirleur territoire:une pe-
tite placettesousles blocs rebap-
tisée"le drive-indu shit",où les
enfantsavaientparfoisinterdic-
tiondes dealers de descendre
jouer.Des mères,des pères,des
frèresavaientorganisédes
pique-niques, des sit-in,des

marches,et rameutéàeux mé-
dias et décideurs.
Digneset déterminés,ils
avaientbravéles consignesdu
responsabledu trafic,qui aurait
commandéàses petitesmains
d’essayerd’empêcherune
marche silencieuse, parce que
les projecteursbraqués sur la ci-
té "bousillaientlebusiness"...
Maisleprintempsn’avait pas
duré."Rapidement,le centreso-
cial n’a plusété en mesurede fi-

nancerles animations.Policiers,
élus,chacunaregagné sesquar-
tiersetonn’aplusvupersonne
dansla cité",avaitregretté
deuxans plustard KassimPapa,
retrouvéparLa Provence.
En 2012, la justice, elle,était
passéepourmettreprovisoire-
menthorscircuitles auteursde
l’expéditionpunitive,dénoncés
par unefoule de témoignages
anonymes."Unearméedes
forces du mal",dira l’avocategé-
néralede la courd’assises
d’Aix-en-Provence.Condam-
nés aprèsun procèssoushaute
tensionpourdes"violencesen
réunionayantprovoquélamort
sansintentionde la donner",les
principauxaccusésécoperont
de peinesallantde 7à15 ans.
Troismoisplustard,dansle
secondvoletde ce dossier,tou-
chantcette foisaudémantèle-
ment de ce réseaubrassantjus-
qu’à15 000 eurosau quotidien,
17 mis en causeserontdenou-
veau jugésavecàlaclé des
peinesallantjusqu’à8ans de
prisonferme infligés au"pro-
priétairedu fondsde com-
merce".Entre-temps,le fauteuil
du charbonneuravait quittéle
bâtiment26 de la cité.Pour
s’installerau 27.
LaurentD’ANCONA

La victimeaété brûlée
au troisièmedegré
au brasetausexe,
puispassée àtabac.

Un adolescent torturé au chalumeau

Il aété conduitaux urgencesaprèsavoirsubi des actesde barbarieàFélix-Pyat(


e
)sur fondde traficde stupéfiants

C’estau cœurde la citéFelix-Pyat, en débutde semaine,quela victimeaété séquestréeavantde subirles gravessévicesde ses tortionnaires. /PHOTOVALÉRIEVREL


EN 2008, UN JEUNEDE 19 ANSAVAITÉTÉ MORTELLEMENTLYNCHÉDANSUNECAVE


Le calvaire de Taoufiki avait


déclenché le "printemps des Iris"


Àl’initiativede Zakia,la sœurde Taoufiki(devant) et de Kassim
Papa(derrière),lacité desIris s’étaitrévoltée. /PHOTOS. MERCIER

Marseille


Il aété libéré grâce
àl’interventionde
jeunesgensde cette
mêmecité Félix-Pyat.

Leshabitants avaient
organisé l’occupation
du terrainsquatté
parleréseau.

http://www.laprovence.com


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