Chasseur d’images N°414 – Août-Septembre 2019

(Michael S) #1
Chassimages.c m - CI 414 15

L’été d’une galerie arlésienne propose
une incursion dans la part inédite du
portrait que Xavier Lambours faisait
du Japon à la fin du siècle dernier.
Parcours sensible d’un photographe
en résidence, en quête de profondeur,
attentif à ses étonnements d’Occidental.

S


ix mois d’immersion et Gaijin story, le beau
livre publié aux éditions Marval en 1995, résu-
ment la relation de Xavier Lambours avec le
Japon. L’histoire commence en 1993 quand la
Villa Kujoyama, l’équivalent à Kyoto de la Villa
Medicis à Rome, l’invite en résidence. Lambours,
qui n’a pas encore quarante ans, a derrière lui un
parcours initié par l’équipe du journal Hara-Kiri,
une séance de portrait avec François Mitterrand,
une production originale, inventive, irrévérencieuse
et la réputation d’être aussi à l’aise dans la chronique
du Festival de Cannes, dans sa fiction Reivax,
dans la mise en scène d’un opéra à Montpellier
que sur les portraits ruraux du Limousin. Durant
cent-quatre-vingt jours de résidence, Xavier Lam-
bours endossera son statut d’étranger, de “gaijin” :
au lieu de s’insinuer dans la culture du pays et le
quotidien des Japonais au point de s’y assimiler,
il gardera la distance nécessaire pour maintenir
l’éveil de son regard et, sur la durée, l’étonnement

Arles (13)


SON JAPON


Xavier Lambours, “Gaijin story”,
Galerie Monstre,
13 rue tour de Fabre, Arles.
Jusqu’au 22 septembre.

5 novembre 1992. Depuis l’avion, je surprends le Mont Fuji.
Pour les Japonais, c’est signe de chance. © Xavier Lambours/Signatures

Après la cérémonie de remise des diplômes des jeunes Maiko. Kyoto, 1993.
© Xavier Lambours/Signatures


Événement


Xavier Lambours


du voyageur fraîchement débarqué. La
Villa Kujoyama offrait un poste d’obser-
vation, Lambours restait un auteur, que
devait consacrer le Prix Niépce en 1994.

Arrêt sur images
À un quart de siècle de distance, Lam-
bours revisite la mine des images réalisées
pendant cette immersion, et la redécou-
verte sur quelque mille planches-contacts
d’inédits donne matière à l’exposition
montée par Antonin Borgeaud dans sa
galerie d’Arles. En trente photographies
aux formats échelonnés du 30x40 au
70x70 cm et une série de dix miniatures,
la scénographie de Cléo Charuet ravive
le dépaysement consenti et parfois sa-
vouré par cet Occidental de Lambours
quand il engrangeait des visages d’in-
connus et des portraits de notables et
quand, de jour comme de nuit, il pro-
menait son Hasselblad et son flash dans
les rues de Tokyo, aux jardins de Nara
ou aux rivages de Hamamatsu.
Présentés avec le travail de Masato Ono
sur le Japon contemporain, les tirages

argentiques inédits réalisés par Dia-
mantino Quintas nous emmènent vers
d’autres visions de ces années 1990,
notamment la balade nocturne du pho-
tographe à la rencontre de ces dor-
meurs, gisants vivants exténués, couchés
au refuge bienveillant des banquettes
de métro ou d’une berline stationnée.
Si quelques personnalités gardent leur
pose solennelle de décideurs ou d’ar-
tistes, les Japonais qui vous attendent
dans leurs cadres carrés restent les in-
connus du labeur, saisis aux premières
heures des transports en commun, les
étudiants en vadrouille au bord de mer,
une équipe de base-ball en entraîne-
ment nocturne. À part, la précieuse
série de tirages 18x18cm dénonce le
regard facétieux du photographe d’Hara-
Kiri, quand il mêle les portraits en pied
de sentinelles ou de gardiens d’immeu-
bles aux photographies grandeur nature
de policiers érigées en bord de route
pour rappeler les sujets de l’Empereur
à la prudence. Bienveillant ou insolite,
le Japon de Lambours laisse une place
à sa poésie et à sa tendresse, au chien
errant dans l’éclair du flash, aux fron-
daisons des temples comme à l’étince-
lant mont Fuji vu du ciel.

Hervé Le Goff
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