Chasseur d’images N°414 – Août-Septembre 2019

(Michael S) #1

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ntre 1977 et 1985, bien avant de suivre
les pas d’Ulysse, Rimbaud ou Victor
Segalen, Thierry Girard a forgé son regard
de photographe dans les départements
du Nord et du Pas-de-Calais où il se rendait
à intervalles réguliers. Ses origines nantaises
et ses études parisiennes ne le prédispo-
saient pas forcément à s’intéresser à cette
région, mais c’est pourtant elle qui lui
apporta ses premières résidences d’artiste,
ses premières commandes institutionnelles,
ses premières expositions. Le lauréat 1984
du prix Niépce a ensuite tracé son chemin
sur d’autres continents, tout en ruminant
l’idée de revenir un jour en terre nordiste.
L’attente fut plus longue que prévue, mais
en 2017, grâce au soutien du Centre his-
torique minier de Lewarde, Thierry Girard

posait à nouveau ses valises dans le bassin
minier pour trois sessions de travail, suivies
en 2018 d’une nouvelle mission cette
fois-ci parrainée par la Cité des Électriciens
de Bruay-la-Bussière. À quarante ans de
distance, les images couleur produites en
ces deux occasions répondent à celles
monochromes qu’avait cueillies au tournant
des années 1980 le photographe à peine
trentenaire. C’est ce dialogue entre les
deux époques que donne à voir Le Monde
d’après, gros et bel ouvrage paru aux
éditions Light Motiv.
Entre 1977 et 2018, le paysage et les
hommes ont changé: le terril de Rieulay
s’est transformé en base aquatique de
loisirs, celui de Noeux-les-Mines en station
de ski, les championnats canins d’agility
ont remplacé les concours de chiens ratiers,
les cercles de “coulonneux” se sont déplu-
més et les mairies ont viré du rouge au
brun. Thierry Girard et son éditeur auraient
pu jouer la carte systématique du
“avant/après”, en mettant en regard vues
d’hier et d’aujourd’hui. Au lieu de ça, ils
optent pour une vision fracturée qui fait
écho à l’état d’esprit de la population locale.
Il faut à cet égard saluer le remarquable
travail de mise en page d’Agnès Dahan et
Nolwen Lauzanne qui, sans jamais rien for-
cer, simplement en jouant sur le blanc et
la taille des images, réussissent à attirer
l’attention du lecteur tout en rendant justice
au propos de l’auteur.
Benoît Gaborit
Thierry Girard - Le Monde d’après. 240 pages, 210 photos, 25
x 30 cm, couverture reliée cartonnée, éd. Light Motiv, 39 €.

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uand on est né dans le dernier
quart du XXesiècle, on a du mal
à se représenter un monde où le
nom de Willy Ronis était inconnu du
grand public. Et pourtant, au début
des années 1970, soit après quarante
ans d’une carrière marquée par
quelques hauts faits (Le Nu provençal,
Avenue Simon Bolivar, Les Amoureux
de la Bastille), la notoriété de Willy
Ronis ne dépassait guère le cercle
des amateurs éclairés. Heureusement,
le hasard mit sur sa route de jeunes
gens enthousiastes qui œuvrèrent,
sur le fil, à sa reconnaissance. Pierre-
Jean Amar fut de ceux-là.
Dans le récit détaillé qu’il vient
de publier aux éditions Arnaud Bi-
zalion, l’auteur raconte cette relation
au long cours, depuis leur rencontre
en 1972 à la fac de lettres d’Aix-en-
Provence (où Pierre-Jean Amar suivit
les cours d’histoire de la photogra-
phie donnés par Ronis) jusqu’à la
réalisation en juin 2006 de Le Temps
passe, Willy Ronis raconte, délice
d’une trentaine de minutes dans
lequel le photographe, alors âgé
de 96 ans, ouvre sa malle aux
souvenirs sans l’appui d’aucune note.
La suite est plus amère pour Pierre-
Jean Amar qui n’aura pas eu l’heur
de dire adieu à son “second père”.
Mais la force de ce récit est de faire
abstraction de ce moment doulou-
reux — ce qui n’empêche pas l’émo-
tion d’affleurer à chaque page.BG
Pierre-Jean Amar - Une amitié avec Willy Ronis,
1972-2006. 192 pages, 80 photos noir et blanc, 14
x 20,5 cm, broché, éd. Arnaud Bizalion, 18,50 €.

Le Monde d’après

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