Version Femina N°905 Du 4 Août 2019

(Amelia) #1
version femina

Rencontre


ARNO LAM/CHARLETTE STUDIO

LÉA DRUCKER


« Je suis dépendante des miens »


Sibylle, que vous incarnez dans ce
film, n’est pas une femme ordinaire.
Comment la décririez-vous?
Cette gardienne de musée porte en elle
une honte et une colère qu’elle mani-
feste en empoisonnant l’existence de
tous ses collègues. Cette façon d’être lui
permet de définir une distance de sécu-
rité qui empêche les autres de déceler
sa faille et de rester fière, voire intimi-
dante à leurs yeux. Comme elle est un
peu perverse, elle aime appuyer là où
ça fait mal. J’aime bien jouer des per-
sonnages pas commodes, des femmes
qui ont de l’autorité ou ne cherchent pas
forcément à se faire aimer. Ce qui m’in-
téressait chez Sibylle, c’était son côté
tragique et douloureux, mais aussi sa
part comique, car ce type de rôle crée
souvent des situations cocasses. La ren-
contre avec le nouveau gardien de
musée, qu’interprète Pio Marmaï, est de
ce fait assez explosive, car elle sent qu’ils
se ressemblent mais, pour prendre le
dessus, elle l’agresse d’entrée de jeu.

Quel partenaire est Pio Marmaï?
C’est un gros bosseur, extrêmement
rigoureux, qui prend son métier très au
sérieux. Sur le plateau, c’est un acteur
généreux qui aspire sans cesse à trouver
quelque chose d’organique, de ludique,
et qui reste toujours sin-
cère dans le jeu. Au-delà
d’être très drôle, Pio est
aussi un partenaire qui
n’est pas avare de pro-
positions et montre qu’il
a besoin de vous pour
construire. Avec lui, tout
semble possible...

Active et attachante, l’actrice césarisée, qui marie rigueur et fantaisie, peut tout jouer. La preuve
avec « Je promets d’être sage », une comédie décalée de Ronan Le Page, entre autres projets.
Propos recueillis par Clara Géliot

Tous les deux sont gardiens de musée
par défaut. Et vous, quel autre métier
auriez-vous pu exercer?
Quand j’ai commencé à jouer la comédie,
j’ai fait des boulots d’appoint : secrétaire
intérimaire bilingue, vendeuse dans une
boutique du Sentier, à Paris, serveuse
dans une pizzeria... Ensuite, j’ai eu la
chance de collaborer avec Edouard Baer
dans la Grosse Boule, l’émission de Radio
Nova, et les dirigeants de la station m’ont
engagée pour présenter des petites chro-
niques. Si le métier d’actrice n’avait pas
marché, j’aurais pu poursuivre dans cette
voie, car ça me plaisait beaucoup. Mais,
au final, je ne me voyais pas faire autre
chose que ce métier qui, à 15 ans, est
devenu une vocation.

Vous avez décroché cette année le César
de la meilleure actrice. A-t-il marqué
un tournant dans votre carrière?
Pour être tout à fait honnête, j’ai ressenti
un changement dès la sortie en salles
de Jusqu’à la garde, le film de Xavier
Legrand. Il suivait la diffusion du télé-
film la Consolation, l’adaptation du livre
de Flavie Flament, où j’incarnais la
mère, et de Place publique, la comédie
d’Agnès Jaoui. Tout à coup, j’ai senti que
j’attirais plus l’attention et que les pro-
positions se multipliaient...

Vivre un moment joyeux
comme une remise de
prix grâce à un film qui
traite d’un sujet grave
est-il étrange à vivre?
J’étais très touchée d’être
nommée, mais c’est vrai
que, plus la cérémonie

approchait, plus je ressentais un stress
oppressant. J’envisageais très bien de ne
pas recevoir le prix, mais j’avais du mal
à imaginer monter sur scène pour parler
en mon nom des violences faites aux
femmes, le sujet de Jusqu’à la garde. En
tant qu’actrice, on le fait derrière un rôle,
mais c’était vertigineux pour moi d’être
aussi claire et sincère que possible. Heu-
reusement, je crois que mon discours
reflétait exactement ma pensée.

Dès le 10 septembre, vous serez dans
la Dame de chez Maxim, au Théâtre
de la Porte-Saint-Martin. Qu’aimez-
vous chez Feydeau?
Cette pièce, c’est un genre de Very Bad
Tr ip en bourgeoisie. Ce que j’aime chez
Feydeau, ce sont les contrastes entre les
protagonistes. C’est pour lui un moyen
de faire sauter les codes et toute l’hypo-
crisie qui s’y greffe. J’y incarne la Môme
Crevette, la punk de l’époque, une fille
de mauvaise vie qui travaille probable-
ment dans un bordel. Elle a de la fan-
taisie, de la gouaille... C’est une fêtarde
que le Docteur Petypon a rencontrée un
soir et qui va mettre le bazar dans son
ménage et dans son milieu.

Vous retrouvez Zabou Breitman
à la mise en scène. Qu’est-ce qui vous
plaît tant chez elle?
Elle est exigeante, très ambitieuse, et
possède une énergie et une créativité
hors norme. Etant dotée d’une grande
intelligence et d’un immense talent de
comédienne, Zabou parvient à faire
accomplir aux acteurs des choses excep-
tionnelles qui ne sont pas de simples
performances, car elles ont du sens.

« J’aime jouer
des personnages
pas commodes,
des femmes
autoritaires... »
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