Planète Cyclisme N°90 – Août-Septembre 2019

(Sean Pound) #1
au Giro à la base...
E.B. :« En fait, dès la fin du mois d'octobre
2018, on avait programmé le Tour d'Italie pour
moi. A partir de là, c'était Giro, Giro, Giro tout
le temps. Jusqu'à cette chute* chez moi en Co-
lombie, qui me mettait hors concours pour
le Giro, puisque le diagnostic était sans appel
avec une fracture de la clavicule. C'est quand
j'ai vu mon coach en larmes, deux heures après
cette chute que je lui ai demandé tout de suite
combien de temps il me restait d'ici le départ
du Tour. Si tout se passait bien dans ma ré-
habilitation, je me disais que je serais peut-être
au départ. On peut toujours refaire l'histoire.
Mais si je n'avais pas eu cette chute, je n'au-
rais pas été devant vous avec le maillot jaune.
Je n'ai que 22 ans et je n'aurais pas pu enchainer
Giro et Tour. C'est assez incroyable. Cette bles-
sure m'a permis d'être en France et de gagner
le Tour. »


  • P.C. : Tu remportes ton premier Tour à 22
    ans. C'est un record dans l'histoire du Tour.
    Prends-tu la mesure de ton exploit?
    E.B. :« C'est difficile, car tout va tellement vite.
    Mais il y a une fierté personnelle qui est à la
    hauteur de l'événement. »

  • P.C. : Il y avait énormément de suppor-
    ters colombiens sur les routes des Alpes. As-
    tu eu des retours du pays à la fin du Tour?
    E.B. : « Pas vraiment, car le rythme est très par-
    ticulier pendant une compétition comme le
    Tour. Tu te lèves, tu prends le p'tit déjeuner,
    tu vois le docteur de l'équipe, tu prends ton
    poids, tu vas au bus! Il y a ensuite le briefing,
    faire l'étape, l'après-course, le massage, man-
    ger et aller dormir. Il me restait zéro temps pour


LA GRANDE INTERVIEW


“Il y a énormément de
talents en Colombie et
dans le futur, les
jeunes colombiens
vont venir toujours
plus nombreux courir
en Europe. La
Colombie sera encore
plus forte. ”

faire autre chose. Je n'avais même pas le temps
de parler avec ma famille. Je restais concen-
tré sur ma course. Je n'ai pas su ce qui se pas-
sait en Colombie. Mais je peux imaginer que
c'était la fête bien entendu. »


  • P.C. : Tu est le premier Colombien vain-
    queur du Tour. Comment expliques-tu une
    si longue attente depuis les premiers Co-
    lombiens venus au milieu des années 80’?
    E.B. :« La Colombie a toujours eu de bons
    cyclistes, de grands grimpeurs, mais je ne sais
    pas ce qui a pu se passer avant! Enfin, les Co-
    lombiens ont déjà beaucoup gagné sur le Tour
    d'Italie, le Tour d'Espagne. Mais c'est vrai que
    je suis le premier sur le Tour de France. L'at-
    tente a peut-être été longue pour les sup-
    porters. Je suis très fier de réaliser cela à 22 ans.
    Je suis heureux pour les Colombiens. Nous
    méritions de gagner le Tour! Je remercie
    quand même la Colombie pour sa confiance
    et ses encouragements. Il y aura sans doute une
    grande fête quand je vais rapporter le maillot
    jaune au pays. »

  • P.C. : Le Giro 2019 a été remporté par Ri-
    chard Carapaz. Un Equatorien qui a été
    formé en partie en Colombie. Ça met en
    avant l'Amérique du Sud, non?
    E.B. : « Cette nouvelle génération au-
    jourd'hui est comme une vague. Les équipes
    voient que les Colombiens obtiennent de bons
    résultats. Les managers nous font confiance. Des
    coureurs comme Quintana, Chaves, Gaviria,
    Uran sont de bons exemples et le cyclisme co-
    lombien a gagné en crédibilité. Nous sommes
    pourtant de l'autre côté du monde et une
    grande partie du programme de courses a lieu
    en Europe. Ça a été un handicap par le passé.
    Mais aujourd'hui avec les vols, c'est réalisable
    de venir courir en Europe. Il y a énormément
    de talents en Colombie et dans le futur, les
    jeunes colombiens vont venir toujours plus
    nombreux courir ici (en Europe). La Co-
    lombie sera encore plus forte. »

  • P.C. : Ce Tour de France se caractérisait
    par l'altitude. C'est ce qui t'a permis de le
    gagner. Est-ce que tu considères que c'était


UNEVICTOIRE
HISTORIQUE

Egan Bernal est devenu le premier Colombien à
gagner le Tour de France. Un siècle après la
création du maillot jaune. Avant Bernal, cinq
Colombiens avaient obtenu un podium à Paris.
Mais aucun d'eux n'avait réussi à remporter le
Tour de France.
AnnéeNom Place
2019 Egan Bernal 1 er
2017 Rigoberto Uran 2 e
2016 Nairo Quintana 3 e
2015 Nairo Quintana 2 e
2013 Nairo Quintana 2 e
1988 Fabio Parra 3 e

un avantage pour toi?
E.B. :« Je suis né à 2 600 m. d'altitude et j'y
habite quand je retourne au pays. C'est donc
un avantage. J'ai toujours travaillé à cette al-
titude et bien plus haut. On peut dire que c'est
un espace naturel en ce qui me concerne. Mon
col préféré, pas loin de chez moi, est la mon-
tée de Pacho! C'est environ 23 km d'esca-
lade à 6 % et on va jusqu'à 3 200 mètres. Je
la fais souvent, car c'est le meilleur moyen de
me préparer à la compétition. »


  • P.C. : Penses-tu déjà au prochain Tour?
    E.B. :« Je dois savourer ce succès. Mais on
    pense très vite au prochain également si on
    veut se fixer comme objectif de le gagner une
    nouvelle fois. Je ne sais pas exactement. Je veux
    réfléchir. Tout ça est un peu comme une drogue.
    Tu penses au suivant, au Tour suivant, tu veux
    en gagner toujours plus. Jamais satisfait. C'est
    ça! C'est un peu comme une drogue. »

  • P.C. : Tu as gardé un lien très fort avec l'Ita-
    lie. Qu'est-ce qui te manque de là-bas?
    E.B. :« Les glaces, le Nutella, la vie avec les
    amis! J'ai laissé beaucoup d'amis et puis l'équipe
    Androni-Giocattoli. Tout ça me manque
    bien entendu. J'ai appris beaucoup de cette
    équipe et l'Italie est un peu comme ma se-
    conde famille aussi. »


* Une chute dans une descente de col en Colombie, le
4 mai à une semaine du départ du Tour d'Italie à Bologne.

18-21 Egan Bernal OK R.qxp_maquette 29/07/2019 11:00 Page

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