Planète Cyclisme N°90 – Août-Septembre 2019

(Sean Pound) #1

L


es Champs-Elysées sont inondés de
lumière quand Julian Alaphilippe re-
joint le podium. Le Français, empli
d'émotion, reçoit un trophée qui lui va
bien. Celui de supercombatif. Les fans lui
ont apporté plus de 8 000 suffrages via la
tweetosphère d'un sponsor dédié. « Cette
récompense me ressemble vraiment.
C'est ma manière de courir et d'être à
l'attaque qui a été reconnue et ça m'a
fait plaisir. »Quelques minutes après ce
podium, il tombe dans les bras de son père,
à l'abri des caméras. Le Français savoure
l'instant. « Ma famille est fière de moi.
C'est important, car mes proches ne
m'ont pas vus très souvent cette année.
J'étais toujours parti, car mon pro-
gramme de course était très lourd. J'ai
besoin de souffler, mais avec eux cette
fois »racontait le héros.
Le Tour a été extrêmement dur. Violent
parfois, comme au sommet de la Planche
des Belles Filles quand il perdait son pre-
mier maillot jaune pour quelques se-
condes. Brutal aussi, quand il se lançait à
l'assaut de la côte de la Jaillère en direction
de Saint-Etienne pour récupérer le maillot
du centenaire. Alaphilippe avait vraiment
bien choisi son Tour avec ce maillot jaune
raconté et embelli à chaque étape. Un
maillot jaune qu'il portera 14 jours avant
de le céder dans une étape tronquée au
Colombien Egan Bernal, au sommet de
l'Iseran. Même dans ses rêves les plus fous,
jamais il n'avait imaginé pareille fête. « J'étais
venu pour gagner une étape comme on
le fait à chaque fois qu'on aborde cet
événement. Mais ça n'allait pas plus loin. »
Aujourd'hui, il a encore du mal à retenir
ses images de folie qui l'ont suivi de
Bruxelles à Paris. « Des souvenirs in-
croyables. C'est difficile à décrire telle-
ment j'ai reçu de soutien de la part des
gens au bord des routes. Quand tu vois
des “Merci Julian”, ça te touche de ma-
nière vraiment profonde. C'était extra-
ordinaire à vivre bien entendu »racon-
tait-il sous les lampions parisiens. Acclamé
comme une rock star, ce passionné de mu-
sique prolongeait la fête parisienne avec ses
fans et ses partenaires devant le bus de son
équipe, par un clapping festif. Il danse! Il
chante! Il vit tout simplement. Et rend les
gens heureux. La fête de juillet n'avait ja-
mais été aussi Rock'n’roll. Alaphilippe
l'avait rendue quotidienne et grandiose.
Dans le clan des vainqueurs, chez Ineos, le
Français était carrément admiré! « C'était
une course brillante. Probablement la
plus excitante à laquelle nous ayons pris
part »notait Dave Brailsford, le manager
général. « Le mérite en revient à Julian
Alaphilippe. Il donnait tout chaque jour
pour garder le maillot jaune et il a incité
beaucoup de gens à penser que c'était

Sa prise du maillot
jauneà Epernay

Le parcours de cette édition
était un boulevard au maillot
jaune pour les puncheurs.
Pourtant, un an plutôt, en Bretagne entre Celtitude et certitude, nous étions restés sur
notre faim. « Je n'étais pas tout à fait au top de ma forme au début du Tour l'an der-
nier, contrairement à cette année »rappelle Alaphilippe. Cet été, ce sera totalement dif-
férent. Entre Binche et Epernay, le terrain est propice à un coup. Alaphilippe a coché
cette étape depuis longtemps. La côte de Mutigny, un raidard long et pentu, doit le pro-
pulser dans la quête du maillot jaune. Le puncheur de la Deceuninck-Quick•Step a
placé une mine qui va détruire le peloton. Eparpillé façon puzzle. Alaphilippe développe
une telle puissance dans ses démarrages malgré un poids de seulement 62 kg, qu'il est
quasi-imbattable sur ce type de terrain. Son entraîneur, Frank Alaphilippe, explique son
fonctionnement : « C'est son rapport poids/puissance qui lui permet d'élever sa vi-
tesse sur un effort relativement court, une minute, mais très intense. »Personne n'a
pu suivre le puncheur français. Et hop! Le mouvement du moulinet comme sur la via
Roma de Milan-Sanremo quand
il triomphait au printemps der-
nier. Le maillot jaune, son premier,
est bien sur ses épaules.

4 « J'étais habité! J'avais une
rage »raconte Alaphilippe. « Je sa-
vais que l'occasion ne se repré-
senterait pas de sitôt. Je con-
naissais cette côte. Je ne me suis
pas posé de question quand je
suis parti. Il fallait tenir quand
même près de 20 bornes, mais
j'avais une telle rage que j'en ou-
bliais la douleur. »Le début de la
gloire en jaune pour le champion
français.

HEROS DU TOUR – JULIAN ALAPHILIPPE


possible. »L'artiste, lui, avoue qu'il n'y a ja-
mais cru : « Je n'ai jamais pensé gagner le
Tour de France. Je savais que la troisième
semaine serait compliquée pour moi. Je
n'étais pas venu pour le gagner au dé-
part. Cet objectif prend des mois et
même des années. J'étais venu pour ga-
gner des étapes en plaçant le plus d'at-
taques possible. »
Tous les anciens champions sont fans de
Julian Alaphilippe. De Eddy Merckx à
Andy Schleck en passant par Bernard Hi-
nault et Bernard Thévenet, tous sans ex-
ception lui trouvent du talent et un esprit
qui claque dans le cyclisme moderne.
Charly Mottet n'a pas gagné le Tour de
France, mais lui aussi avait du panache
pour s'approcher du podium à Paris. Il a

été bluffé par le champion français : « C'est
le meilleur puncheur au monde. Il sent
la course et il est adroit comme un chat.
Il se fait plaisir et donne du bonheur aux
gens. C'est un artiste derrière toutes ses
facéties et on sent qu'il a du cœur. »
Mottet aimerait bien qu'à l'avenir, Julian
Alaphilippe lorgne le classement général :
« Mais en a-t-il envie? Je ne suis pas sûr.
Un jour, il se dira peut-être : “Je vais es-
sayer une année ou deux de gagner le
Tour”. Mais il faudra alors qu'il change
d'équipe. »
Julian Alaphilippe n'a pas la tête à cela
dans l'immédiat. En 2020, il aimerait déjà
être au départ du Tour des Flandres (une
première). Une course qui le fascine. Une
parmi d'autres.

26-31 Julian OK R.qxp_maquette 29/07/2019 20:31 Page28

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