Planète Cyclisme N°90 – Août-Septembre 2019

(Sean Pound) #1
Un torrent de boue a coupé la route au km 107.

Fin d’étape avant Tignes pour les fuyards Bernal
et Yates, stoppés net par Christian Prudhomme.

Alaphilippe s’est accroché comme il a pu dans l’Iseran avec Amador, notamment. Peine perdue. Dans la
voiture de son DS à l’arrivée, il a dû se rendre à l’évidence. Les Alpes ont eu sa peau.

pés. A six kilomètres du sommet, après un
rythme infernal des Ineos, Egan Bernal al-
lume le peloton maillot jaune. L'attaque est
tranchante. On le saura plus tard, de la
bouche de David Brailsford, le manager des
Britanniques : « Egan était notre carte au-
jourd'hui. »Alaphilippe reste cloué sur place.
Le Colombien est irrésistible. Il rejoint très
vite le groupe Nibali et trace sa route en
solo. Les supporters colombiens ont bravé le
froid et inondent l'Iseran de leur chaleur au-
tour de leur drapeau. Les Alpes étaient bien
colombienne cet été.
Alaphilippe s'accroche comme il peut à
un train low cost composé d'Amador, Wout
Poels et du philosophe Guillaume Martin.
Mais à deux kilomètres du sommet, le Fran-
çais avait déjà perdu son maillot jaune!
« C'était trop dur. L'attaque de Bernal a
cassé le groupe. J'étais en survie. Je le sa-
vais depuis longtemps. J'ai tout donné. »
Le Néerlandais Wout Poels, coéquipier du
Colombien chez Ineos, aura l'indélicatesse
de lâcher le Français quand il n'y avait plus
rien à jouer! Bernal est passé seul en tête du
toit du Tour 2019, là où Louison Bobet
avait mis un terme à sa carrière en 1959.
Bernal signe ici un prélude à un début de
règne sur les Grand Tour.
Alaphilippe s'est dépouillé pour passer en
16 eposition de l'Iseran à 2'10’’ du Colom-
bien. Le temps a son importance. Toute son
importance. Bernal est lancé dans la des-
cente comme un dingue quand Radio Tour
annonce l'arrêt de la course! Une tempête
de grêle s'est abattue à l'approche de Val
d'Isère. Un torrent de boue a coupé la route
au km 107! Le Tour complètement fou de-
vient totalement surréaliste, alors que les
coureurs sont lancés pleine balle vers “Val
d'Hiver” en été. Bernal est rattrapé par le
colbac grâce à la moto info du Tour qui dé-
file à plus de 120 km/h pour le rattraper. Il
y a urgence. « Je ne comprenais rien à ce
que l'on me disait. Je leur demandais de
me parler en espagnol »racontait Egan
Bernal.
Les temps étaient gelés au sommet de
l'Iseran. Ecran de neige. Torrents de boue.
Engins en action. Vision apocalyptique sur
la route du Tour. Chez les coureurs, il y avait
un mélange d'incompréhension pour cer-
tains, de stupéfaction chez d'autres qui
n'avaient pas compris le danger. Il faudra de
longues minutes pour que tout rentre dans
l'ordre avec des coureurs dans des voitures.
D'autres dans des bus. Et puis quelques té-
méraires qui ont coupé une route pour re-
joindre leur hôtel à Tignes. Peter Sagan, 7e
maillot vert à Paris, une voix forte aussi du
peloton avait la banane : « Je suis 150 %
d'accord avec les organisateurs. »
Une seule fois dans l'histoire du Tour de
France, en 1982, une grève eut raison d'une
étape Orchies-Fontaine-au-Pire. Christian
Prudhomme viendra expliquer sa décision

Modane avant la montée d'Aussois. Thi-
baut Pinot est déjà dans le dur. Il grimace.
Rudy Molard, son lieutenant en montagne,
l'encourage d'une petite tape, mais le Franc-
Comtois descend d'un cran, puis deux, trois
pour naviguer dans le dernier wagon des
paumés du Tour. Au moment où la lanterne
rouge du Tour - Yoann Offredo - le double,
Pinot est soutenu par son rouleur William
Bonnet. La douleur est trop forte. Il arrête
sur le côté droit de la route. Moment cruel.
Dévasté, Thibaut Pinot est en larmes. il re-
joint la voiture de Thierry Bricaud, l'un des
directeurs sportifs de son équipe. Radio
Tour crachote l'abandon du n°51. Une
chape de plomb s'est abattu sur la route du
Tour, comme à chaque fois qu'un des favo-
ris quitte la route. Mais cette fois, Pinot,
l'espoir de tout un pays, avait une vraie
chance de décrocher le graal à Paris. 35 ans
après Bernard Hinault. Il faut oublier.
Le col de la Madeleine se dresse devant
Alaphilippe et le peloton qui n'est plus
qu'un long chapelet de miséricordieux. On
annonce des pluies d'orage sur Tignes. Un
autre hurricane s'avance sur le col de l'Ise-
ran. Un col mythique sur le Tour de France.
Il culmine à 2 770 mètres d'altitude, mais il
n'a été gravi que sept fois depuis 1938.
Christian Prudhomme dit que le mythe
nait souvent de la rareté. Ce serait donc
l'explication à ce géant qui reste le plus haut
col routier des Alpes françaises. Cet été, les
coureurs l'empruntent par la Maurienne,
où la pente est la plus rude. On a quitté les
toits de lauze de Bonneval-sur-Arc pour se
caler dans la roue des Ineos, notamment
Dylan van Baarle. L'Iseran est un monstre.
Comme l'était l'Izoard et le Galibier la veille.
Quintana les avait domptés, mais ici, côté
sud, il est vite rejeté.
Vincenzo Nibali est parti devant depuis le
départ de Saint-Jean-de-Maurienne, com-
me un fada avec quelques courageux, Yates,
Barguil, Uran. Mais l'Iseran lui rappelle qu'il
a couru le Giro deux mois plutôt. Le Re-
quin de Messine n'aime pas son goudron. Le
vent irrégulier qui souffle entre 20 et 30
km/h ne sera pas le meilleur allié des échap-

“On a eu des semeurs
d'imprévisible dans
ce Tour de France.”
CHRISTIANPRUDHOMME
(DIRECTEURDUTOUR)

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