Planète Cyclisme N°90 – Août-Septembre 2019

(Sean Pound) #1

INSIDE THE RACE – LA BATAILLE DES ALPES


Alaphilippe est allé jusqu’au bout de la souffrance. Il a plié dans la très dure montée finale vers Val Tho’,
comme Bardet qui a abdiqué.

Nibali se bat toujours jusqu’au bout. A Val
Thorens, il offre un cadeau de départ à son
équipe et espère revenir en 2020. Sans certitude.

auprès des médias, alors que des milliers de
fans à Tignes étaient privés du spectacle du
final de l'étape reine de ce Tour! Si certains
coureurs ont été frustrés par cette étape
tronquée, la commune de Tignes devrait
revenir très vite sur le roadbook d'Amaury
Sport Organisation. L'essentiel, l'équité spor-
tive fut préservée. Bernal serait bien allé au
bout, en vainqueur à Tignes. Il n'y avait pas
l'ombre d'un doute.
Mais entre l'abandon de Thibaut Pinot, la
perte du maillot jaune au 14ejour d'Ala-
philippe et l'arrêt de la course à l'Iseran, le
Tour avait basculé dans une dimension sur-
réelle en Savoie. Un Tour légendaire.

Dénouement cruel
pour Alaphilippe

Alaphilippe avait cédé son maillot jaune,
mais il était toujours sur le podium au ma-
tin de la 20eétape à Albertville. Deuxième
à 48’’ de Bernal. Evidemment, Geraint Tho-
mas, Steven Kruijswijk restaient menaçant
à une trentaine de secondes. Le héros de l'été
promettait de se battre une dernière fois
pour rester sur la boite à Paris. La veille au
soir, l'organisation a diffusé un communiqué
à 21h23 : “Changement de parcours”. Une
étape rabotée de 71 km! Alaphilippe échap-
pera au Cormet de Roselend, un col de 20
km à 6 % et à la côte de Longefoy qui avait
tout d'un casse-pattes avant d'aborder Val
Thorens. La grêle a fait son œuvre et creusé
encore un peu plus les courants de boue qui
dévalent des parois rocheuses. Le matin
même de cette dernière étape alpestre,
A.S.O. et l'U.C.I. débattaient encore d'une
possible annulation! Il n'en sera rien. Hors
de question pour l'organisateur de défigurer
le triptyque. Le peloton repartait pour un
rallye de 59 km! « C'est court, mais ce sera
intense »promettait le champion de France,
Warren Barguil. Les 26 km de plaine avant
la longue montée vers Val Tho’ vont remet-
tre dans le coup Vincenzo Nibali, mais aussi
Tony Gallopin, Pierre-Luc Périchon, Ilnur
Zakarin. Le requin de Messine n'est toujours
pas démobilisé la veille d'arriver à Paris. « Ce
n'est pas mon genre. J'aime trop le vélo et
le Tour de France pour ça. Je me bats tou-
jours jusqu'au bout »rappelle le Sicilien, 2e
du Giro cette année. La bataille s'est enga-
gée sur la longue montée vers Val Tho’ avec
un Julian Alaphilippe dans la roue de Ge-
raint Thomas. Un marquage à la culotte
pour le Gallois dingue de soccer. Alaphilippe
joue gros. Les Jumbo-Visma ont visé dès le
début de l'ascension pour envoyer Kruijs-
wijk sur le podium. Le Team Ineos ne re-
chigne pas non plus pour filer un coup de
main. Et c'est dans cette coalition que l'ex-

maillot jaune va céder à 13 km de l'arrivée!
Au moment où Alaphilippe plie dans la
partie la plus dure de la montée, Bardet
aussi passe à la trappe. Son maillot à pois est
en danger. Nibali a senti le souffle des meil-
leurs grimpeurs pour prendre le large. L'ef-
fort est violent et le visage de l'Italien mon-
tre le degré de souffrance après trois
semaines de course. Nibali ne va rien céder.
Le Sicilien s'accroche à une sixième victoire
d'étape sur le Tour de France, lui qui n'avait
plus gagné sur le Tour depuis son raid soli-
taire en 2015 vers La Toussuire-Les Sybelles.
Derrière, Bernal n'a jamais bougé. Il s'est
contenté de suivre dans le train des Ineos, re-
morqué des Jumbo-Visma. En 1994, Val
Thorens avait permis au Colombien Nelson
Rodriguez de s'imposer. Cette fois, c'est
l'Italien Vincenzo Nibali qui savourait une
victoire de prestige. Un superbe cadeau
pour la Bahrain-Merida qu'il quittera en fin
de saison pour rejoindre la Trek-Segafredo.
Nibali ne sait pas s'il reviendra sur le Tour à
35 ans. « C'est trop loin »dit-il. « Mais on
espère toujours revivre des moments de
victoire comme celui-ci. Alors oui, j'aime-
rais bien revenir uniquement pour cela. »
Nibali est un héros des Grand Tour. Il a ga-
gné partout.
Alaphilippe a perdu beaucoup dans les
Alpes. Un maillot jaune, une place sur le po-
dium à Paris. Mais il a gagné bien plus. Le
cœur d'une France populaire qui l'aime.
Lui, le héros de juillet. Le Gallois Geraint
Thomas, finalement 2ede cette 106eédition,
ren-dait un vibrant hommage au Français :
« Il termine à la 5eplace, mais il aurait mé-
rité d'être sur le podium. Il est la raison
pour laquelle la course a été différente. »
Alaphilippe le héros appréciera la remarque
d'un ancien vainqueur du Tour de France.
Les Alpes restaient ainsi majestueuses avec
cette conclusion du directeur du Tour,
Christian Prudhomme : « On a eu des se-
meurs d'imprévisible. »Avant une moisson
prometteuse l'été prochain.

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