Planète Cyclisme N°90 – Août-Septembre 2019

(Sean Pound) #1
qué à un moment donné?
A.S. :« Quelles que soient la personnalité et
le charisme d'un champion, celui qui arrête
souffre toujours quand la lumière s'éteint. C'est
normal de passer par des moments difficiles.
Il ne faut pas que ça dure. Il faut faire le point
dans sa tête et rebondir, sinon ce deuil d'une
carrière est impossible. Je pense avoir opéré as-
sez vite de mon côté. J'ai trouvé ma place dans
la vie normale. Je m'y sens bien. Comme je
suis encore jeune, je continue de grandir. »


  • P.C. : Est-ce qu'on ne t'a pas volé quelque
    part ta jeunesse?
    A.S. :« Oui sûrement, car j'ai commencé très
    tôt à rouler. A ce moment-là, rien ne me man-
    quait. Enfin, j'avais cette impression... Je n'avais
    pas l'envie de sortir dans les boites ou de faire
    ce que font les jeunes en général quand ils sont
    ados. Je n'étais pas le roi de la piste de danse.
    Ce n'était pas mon mode de vie. »

  • P.C. : Est-ce que tu as voulu rattrapé ce
    temps perdu?
    A.S. :« Mais non, parce que je vivais des choses
    justement que les autres jeunes n'avaient pas
    non plus. J'étais de l'autre côté de la barrière
    déjà avec des honneurs que n'avaient pas mes
    copains. Je n'avais pas l'impression alors qu'il
    me manquait quelque chose. »

  • P.C. :Peut-être avais-tu aussi une force par
    procuration avec ton frère ainé, Frank, qui
    s'orientait vers les pros?
    A.S. :« Très certainement. J'admirais mon frère
    quand j'étais gamin et ado. Il y a cinq ans
    d'écart entre nous. Mon meilleur souvenir, c'est
    d'être avec lui sur le podium du Tour à Paris.
    Je ne suis pas sur la première marche en 2011,
    Cadel Evans est le vainqueur, mais sur la 2eet
    Frank est 3e. C'était extraordinaire d'être
    réunis tous les deux sur le podium de la plus
    grande course du monde. En termes d'émo-
    tion, partager ça avec son frère ou son meil-
    leur ami, il n'y a rien de plus fort. C'est bien
    plus fort que ma victoire à Liège, parce qu'il
    y a Frank à côté de moi. Cette photo est en
    bonne place à la maison. »

  • P.C. : Quel est ton regard sur le cyclisme
    désormais?
    A.S. :« Tout va de plus en plus vite là aussi,
    c'est de plus en plus business. En même temps,
    les coureurs doivent toujours pédaler. C'est en-


core et toujours du courage, de la sueur, par-
fois des larmes. Ça pour le coup, on ne peut
pas l'acheter! Il faut pédaler et il faudra tou-
jours pédaler. Les gens qui font un peu de cy-
clisme me comprendront. »


  • P.C. : Julian Alaphilippe appuie fort sur les
    pédales. Est-ce que tu aimes ce coureur?
    A.S. :« Je suis très fan de lui. Ce qu'il a fait
    sur ce Tour est encore une fois fantastique. Il
    a une classe énorme ce mec. C'est un win-
    ner. Il a déjà un super palmarès, il va s'inscrire
    encore de manière plus éclatante dans le fu-
    tur. Il a bien plus de talent que j'en avais, mais
    je pense qu'il fonctionne dans la tête un peu
    comme je le faisais moi-même. »

  • P.C. : C'est-à-dire?
    A.S. :« C'est quelqu'un de libre dans sa tête.
    On le sent dans sa manière de parler du vélo
    et de la compétition. C'est quelqu'un comme
    Julian qui donne envie aux jeunes de faire du
    cyclisme. Il fait rêver, car tout le monde, jeunes


LA GRANDE INTERVIEW


“J'avais l'image d'un jeune où tout paraissait facile
pour moi. Pourtant, je pleurais souvent la nuit. Je
rentrais à la maison avec le maillot après les
protocoles, les podiums et toutes ces choses qui
m'envahissaient, alors que je ne comprenais pas
toujours. ”

et anciens peuvent s'identifier à un coureur
comme lui. Les gens voient une personne nor-
male quand ils regardent Alaphilippe. Ce n'est
pas le cas avec Froome qui est fermé et in-
troverti. Froome, c'est trop mécanique que ce
soit sur le vélo ou en dehors du vélo. Le cy-
clisme a besoin de personnages comme Ala-
philippe. Mais c'est la même chose avec Pe-
ter Sagan qui fait un bien fou à son sport. »


  • P.C. : Mais toi aussi tu avais toujours le
    smile! Tu étais très proche des fans!
    A.S. :« Pas toujours et j'ai beaucoup pleuré
    aussi. »

  • P.C. : Un coureur star comme tu l'as été
    et comme Julian aujourd'hui ont-ils besoin
    de soupapes d'échappement en saison?
    A.S. :« C'est nécessaire de profiter de la vie,
    même quand on a une vie de champion. J'es-
    père qu'il trouve des moments pour débran-
    cher et faire la fête avec ses amis. Je ne l'ima-
    gine pas rentrer chez lui dans l'après-midi après
    l'entrainement, s'enfermer avec des bou-
    quins. Je ne l'espère pas pour lui. Il ne faut pas
    prêter trop attention à ce qui se dit. Les gens
    de l'extérieur sont très forts pour juger quel-
    qu'un. J'ai vécu ces critiques, mais personne
    ne me demandait ce que je voulais faire dans
    la vie! On disait parfois l'hiver : “Andy ne s'en-
    traine pas bien ou on l'a vu à tel endroit”. Mais
    j'étais responsable de moi-même et de ma vie.
    Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car je suis ma-
    rié et j'ai des enfants. Ma responsabilité est en-


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