Planète Cyclisme N°90 – Août-Septembre 2019

(Sean Pound) #1
gagée avec une famille. J'avais envie qu'on me
fiche la paix. Je crois que le monde irait mieux
si les gens s'occupaient de leurs propres pro-
blèmes avant de ceux des autres. »


  • P.C. : Mais tu étais en même temps star
    et une personne publique! Les gens te sui-
    vaient, t'adulaient parce que tu étais une
    étoile pour eux!
    A.S. :« Oui, mais j'avais le droit à une vie pri-
    vée aussi. J'étais libre d'en disposer comme je
    voulais. Je m'en suis accommodé malgré tout
    même si c'était parfois compliqué. »

  • P.C. : Tu as gagné le Monument Liège-Bas-
    togne-Liège et le rêve d'Alaphilippe est de
    remporter cette course également. Quels
    conseils peux-tu lui donner?
    A.S. :« (Il réfléchit) Il a tellement plus de ta-
    lent et de classe que j'en avais, que je me vois
    mal lui donner tel conseil. En plus, je trouve
    qu'il a tout fait pour être au mieux dans les
    Ardennes. Il a déjà gagné deux fois la Flèche
    Wallonne, alors que je n'ai jamais pu faire
    mieux qu'une 2eplace! C'est seulement une
    question de temps, car il gagnera à Liège. Je
    n'ai aucun doute. Il aurait pu la gagner l'an der-
    nier, mais il la voulait pour Bob (Jungels). Mais
    son tour va arriver. »

  • P.C. : Es-tu impressionné par la Deceu-
    ninck-Quick•Step qui est une véritable ma-
    chine à gagner depuis plusieurs saisons?
    A.S. :« Je connais très bien Jungels (Luxem-
    bourgeois). J'ai l'impression que cette équipe
    fonctionne avec le même état d'esprit que nous
    avions chez Saxo Bank. Le but était d'avoir les
    meilleurs coureurs dans différentes spécialités
    pour briller et gagner. Il faut avoir les moyens
    de ses ambitions, je pense que cette équipe ar-
    rive à ses fins grâce aussi à un bon budget. »

    • P.C. : Alaphilippe a été l'un des héros de
      ce Tour avec le maillot jaune. Est-ce qu'il
      ne doit pas changer et s'orienter sur l'ob-
      jectif de gagner un Grand Tour?
      A.S. :« Je me suis posé la question quand je
      l'ai vu gagner à Epernay. Tout le monde dit qu'il
      n'est pas fait pour ça, mais on ne sait pas en
      fait. Il n'a jamais eu de préparation spécifique
      pour un Grand Tour. On le voit dès le mois
      de janvier sans un véritable break puisqu'il fait
      la campagne des classiques. Mais s'il avait un
      programme allégé pour préparer soit le Giro
      ou le Tour, on verrait sûrement un autre Ala-
      philippe. Il a peut être la capacité de faire au-
      tre chose. On ne sait pas. Il est intéressant dans
      les chronos. Après, il faut le vouloir aussi! Mais
      il a eu le goût du maillot jaune cet été. »

    • P.C. : Quelle est ton opinion sur Thibaut
      Pinot et Romain Bardet?
      A.S. :« Thibaut Pinot est un garçon qui a
      beaucoup de talent, c'est indéniable. Mais avant
      ce Tour, je trouvais qu'il y avait quelque chose
      qu'il gérait mal. Je crois que c'était mental. C'est
      mieux à présent, mais je pense qu'il a besoin
      de sortir de sa zone de confort. Je crois qu'il
      devrait aller dans une équipe étrangère. Les sup-
      porteurs français ne vont pas être contents que
      je dise cela, mais c'est mon avis. »

    • P.C. : Quel serait son intérêt?
      A.S. :« Ce serait une remise en question pour
      lui. Il travaillerait dans un autre contexte avec
      d'autres talents dans la même équipe. C'est in-
      téressant de voir les choses sous un autre an-
      gle pour progresser à nouveau. Pinot devrait
      s'inscrire dans cet état d'esprit. On a besoin de
      nouveauté, d'un cadre différent pour avoir d'au-
      tres challenges dans sa vie. Romain Bardet, c'est
      complètement différent. Il est déjà au top de-
      puis deux ans selon moi. Il n'y a plus de marge
      pour continuer son développement. Je crains
      qu'il ait déjà atteint le plafond de verre. »

    • P.C. : On a aussi une jeune pépite de 20
      ans, Remco Evenepoel dans sa saison roo-
      kie avec déjà des résultats intéressants. Com-
      ment vois-tu son évolution?
      A.S. :« Je ne le connais pas trop. Il faut faire




attention avec les jeunes. J'ai souvenir d'un cou-
reur très talentueux, Jussi Veikkanen qui avait
tout gagné en Juniors-Espoirs et était entré à
la Rabobank. Mais après une seule année, c'était
fini. Il faut être prudent. Remco est la nou-
velle étoile. Certaines finissent par s'éteindre
prématurément. Il faut laisser son corps se dé-
velopper dans un premier temps. Voir ensuite
comme il évolue mentalement. »


  • P.C. : J'ai le souvenir d'interroger ton frère
    Frank après sa victoire à l'Amstel Gold Race
    qui nous dit “j'ai mon p'tit frère qui va ar-
    river et il a bien plus de talent que moi”!
    Tu étais déjà une future étoile...
    A.S. :« Je pense que j'avais l'image d'un jeune
    où tout paraissait facile pour moi. Pourtant, je
    pleurais souvent la nuit. Je rentrais à la mai-
    son avec le maillot après les protocoles, les po-
    diums, ces choses qui m'envahissaient, alors que
    je ne comprenais pas toujours. Je me retrou-
    vais seul d'un seul coup. C'était étrange. »

  • P.C. : Pourquoi pleurais-tu?
    A.S. :« J'avais l'impression que tout le poids
    était sur mes épaules et c'était lourd à porter.
    Il y avait les courses et la pression qu'elle en-
    trainait. Mais aussi tous les entrainements ex-
    trêmement durs. Il faut savoir que 90 % du
    temps, je m'entrainais seul. Je partais parfois avec
    Frank. Mais si c'était le cas, je faisais une heure
    ou deux de plus. Je faisais la même chose avec
    mon équipe à Majorque en camp d'entrai-
    nement. Si on faisait une sortie de cinq heures,
    je laissais les autres rentrer à l'hôtel et je rou-
    lais encore deux de plus. Il m'arrivait de cra-
    quer. Je pleurais dans ma chambre. »

  • P.C. : Tu étais dans quel état après le Tour?
    A.S. :« J'avais toujours une semaine d'après-
    Tour absolument terrible. Mon corps ne ré-
    pondait plus à rien. J'avais eu toute la pression
    pendant un mois quasiment et d'un seul coup,
    plus rien. Je ne le vivais pas très bien. Je frô-
    lais la dépression à ce moment-là. On reste hu-
    main avant tout. Quels que soient le succès,
    les victoires, on reste un homme tout sim-
    plement. »


Retiré des pelotons depuis 2014, le Luxembourgeois a déve-
loppé son business au pays. Il est propriétaire de trois maga-
sins de vélos avec un marché porteur sur l'électrique. « De ce
côté-là, c'est vraiment un excellent business. Mais ces stores
ne sont pas uniquement dédiés à la vente de vélos. J'ai
voulu développer différents programmes autour du vélo avec
un Work Shop, un espace nutrition avec des sessions ali-
mentation et entrainement, car c'est dur pour les personnes
qui font des sorties de trois heures au début. On a aussi
chaque samedi la Capuccino Ride dédiée aux femmes exclusivement. » Ambassadeur Skoda pen-
dant la totalité du Tour pour la première fois cet été, Andy Schleck voyage aussi beaucoup aux Etats-
Unis toujours en relation avec de grandes compagnies et différents sponsors. Une nouvelle vie de
businessman : « Je sors de chez moi à 7 h le matin et je rentre le soir à 21 h. Mais je suis plus heu-
reux et mieux épanoui que je ne l'étais quand j'étais coureur professionnel. Si je ne travaillais pas, je
serais dépressif. » Andy organise également le Tour du Luxembourg en tant que président.

ANDYSCHLECK,L'AFTER


“Romain Bardet
est déjà au top
depuis deux ans. Il
n'y a plus de marge
pour continuer son
développement. Je
crains qu'il ait déjà
atteint le plafond
de verre. ”

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