OuestFrance - 2019-07-31

(Wang) #1

Ceuta débordée par l’afflux d’enfants marocains


Confetti européen en terre africaine, la ville forteresse espagnole est confrontée à un phénomène


nouveau. Des gamins y sont abandonnés, parfois par leurs propres parents.


Ceuta.
De notre correspondant

La nuit tombée, on les croise près
du port. Discrets d’abord, ils s’enhar-
dissent vite quand ils voient l’appa-
reil photo et qu’ils comprennent qu’il
n’y a pas de danger. Ils sortent par
paquets d’on ne sait où, le visage
abîmé par la colle qu’ils reniflent, les
yeux dans le vague. En un an, envi-
ron 400  mineurs marocains isolés
seraient entrés à Ceuta.
C’est beaucoup pour une ville de
85  000  habitants. Soumises à la
pression des milliers de migrants qui
rêvent de ce petit bout d’Europe pour
y déposer une demande d’asile, les
autorités espagnoles de Ceuta, habi-
tuées à gérer tant bien que mal leurs
8 km de frontière terrestre, sont cette
fois déboussolées par l’afflux des ga-
mins.

Des parents aveuglés
Le plus ahurissant est que beaucoup
entrent en toute légalité, avec leurs
parents... qui les abandonnent sur
place ! « Je suis entré avec ma mère,
qui m’a laissé là, assure crânement
Hicham, du haut de ses 12  ans. Je
dors dehors : sur la plage, dans le
port, dans des garages... »
Comment est-ce possible ? En

vertu d’un accord ancien entre le Ma-
roc et l’Espagne, les habitants maro-
cains des villes voisines de Tétouan
et Fnideq peuvent entrer à Ceuta
avec une simple carte d’identité,
sans visa, seulement pour la journée,
sans dormir sur place. La mesure ali-
mente un important commerce trans-
frontalier, incarné par les «  femmes-
mulets », ces Marocaines qui entrent
avec des ballots vides et repartent
chargées à bloc.
Des parents, désespérés ou aveu-
glés par le mirage de l’émigration,
en profitent pour faire entrer leurs
enfants. D’autres gamins se faufilent
dans la cohue de la frontière, voire
payent un habitant de Ceuta d’ori-

gine marocaine qui les fait passer
pour un membre de sa famille...
Les jeunes qui ont des papiers sont
enregistrés au Centre des mineurs
La Esperanza. « On s’entasse à dix
par chambre. On peut sortir en ville
et on revient aux heures de repas.
On a aussi quelques cours d’espa-
gnol », raconte Ahmed, 15 ans. Pour
les autres, c’est l’univers de la rue.
« La journée, on traîne dans la ville,
à la sortie des supermarchés, on
fait la manche, on essaie de trou-
ver des restes à manger », explique
Youssef, 14  ans, arrivé de Casa-
blanca en janvier.
« Ils empoisonnent le quotidien
des habitants, témoigne un mili-

taire de la Guardia Civil espagnole.
Ils agressent les gens, résistent à
la police... » Quand les délits sont
importants, certains atterrissent à la
prison de Punta Blanca. «  Certains
commettent des méfaits exprès car,
ici, ils ont le gîte et le couvert », af-
firme un surveillant de la prison.
Le rêve est bien sûr de gagner l’Es-
pagne continentale. « Si j’ai la natio-
nalité espagnole, j’irai en Europe. Il
faut que je me tienne à carreau »,
confie Youssef, qui aura 18 ans dans
deux mois. Pour Hicham, « c’est l’Eu-
rope coûte que coûte. Peu importe
où je débarquerai. Là-bas, tu es res-
pecté, tu vis dignement. »
Abdeslam KADIRI.

Des jeunes Marocains marchant sur le port de Ceuta, à la recherche d’un bateau vers l’Europe.

Fadel Senna, AFP

O.-F. 50 km

Ceuta
Espagne

Rabat

ESPA GNE

MAROC

Tange r
Océan MerMéditerranée
Atlantique

Un mur ultra-sécurisé qui peut être contourné


Où sont passées les dizaines
de migrants d’origine subsaha-
rienne – Guinéens, Togolais, Came-
rounais, Tchadiens...- que l’on croi-
sait dans la ville? Même le Centre
d’hébergement gouvernemental,
perché sur une colline boisée à la
sortie de la ville, n’est plus saturé. En
ce mois de juillet, il accueille 580 mi-
grants contre plus de 1 100, pour
500 places, il y a un an.


Bunkerisé

« Plusieurs vagues de régularisation
ont eu lieu ces derniers mois, rap-
porte Samuel Dueñas, journaliste au
Pueblo de Ceuta. Des migrants ont
pu se rendre en Espagne continen-
tale, en France ou en Allemagne. »
C’est l’une des explications. L’autre
est que les «  assauts massifs  » ont
pratiquement cessé contre les 8  km
du mur d’une dizaine de mètres, hé-

rissé de barbelés, qui sépare l’en-
clave espagnole du Maroc. Le 19 juil-
let, 200  migrants ont tenté de forcer
le mur de Melilla, l’autre enclave es-
pagnole, mais c’est devenu de plus
en plus rare.

Il n’empêche, les arrivées de clan-
destins continuent, plus diffuses
mais régulières. Pour passer, tous les
moyens sont bons : dans la cohue de
la frontière, dans le coffre d’une voi-
ture, en contournant le mur dans un

canot pneumatique... Ces derniers
temps, 200 Algériens ont afflué. « Là-
bas, il n’y a plus d’espoir. On était
au chômage  », racontent Abdelka-
der, Youssef et Mohamed.
Ils vivent de petits boulots infor-
mels, sur le port ou comme gardiens
de parking. Le regard aimanté par
la Méditerranée, certains ont déjà
essayé de rejoindre l’Espagne conti-
nentale. «  Je ne veux pas patien-
ter. J’ai tenté dans des conteneurs,
sous des bus... Rien à faire  !  » re-
connaît l’Algérien Youssef. Comme
la frontière, le port s’est « bunkerisé ».
La situation crée des tensions avec
une partie de la population locale.
«  Les Ceutis d’origine marocaine
nous voient comme une main-
d’œuvre plus abordable qu’eux. Ils
s’estiment menacés pour leurs em-
plois », affirme Saïd.
A. K.

Le mur, hérissé de barbelés, entre l’Espagne et le Maroc.

Jorge Guerrero, AFP

Le monde et l’Europe en bref


3 800 Afghans tués ou blessés au premier semestre


L’Onu a annoncé hier que, lors du
premier semestre de 2019, 3 814 ci-
vils ont été tués ou blessés dont
1  346  par les forces progouvermen-

tales, soit une hausse de 31  % par
rapport à la même période l’an der-
nier. Les talibans et Daech ont tué ou
blessé 1 968 civils.

Algérie : l’instance de dialogue rejetée


La nouvelle «  Instance nationale de
dialogue  » pour lancer les consulta-
tions sur les modalités de la prési-
dentielle ne fait guère l’unanimité.
L’armée algérienne, par la voix de

son chef d’État-major, a rejeté les me-
sures d’apaisement préconisées. Les
étudiants ont à leur tour rejeté l’ins-
tance de dialogue, hier, refusant tout
dialogue avec le « gang » au pouvoir.

Hong Kong : la circulation des trains perturbée


Après avoir ciblé l’aéroport interna-
tional de Hong Kong, vendredi, des
centaines de manifestants ont blo-
qué la circulation des trains en pleine
heure de pointe, hier. Dimanche
soir, des manifestants pro-démocra-
tie avaient affronté la police à Hong
Kong, ce qui a donné lieu aux scènes

les plus violentes observées à ce jour
sur le territoire et provoqué une nou-
velle mise en garde de Pékin. Qua-
rante-quatre manifestants arrêtés du-
rant les violences vont être inculpés
pour participation à des émeutes,
risquant ainsi jusqu’à dix ans de
prison.

Le bilan mitigé des vingt ans de « M6 »
En 1999, Mohammed VI montait sur le trône du Maroc,
où la pauvreté et le chômage ont peu reculé.

Trois questions à...
Pierre Vermeren, spécialiste du
Maghreb.

On souligne le bon bilan
économique de Mohammed VI.
Quel est votre avis ?
Il y a eu des investissements dans le
tourisme, l’industrie, les transports ou
encore le port de Tanger. Mais cela
n’a pas vraiment pénétré le Maroc in-
térieur. À l’avènement de Mohammed
VI, les trois quarts de la population
étaient pauvres et la classe moyenne
très réduite. Cela n’a pas fondamen-
talement changé. La réalité du chô-
mage, c’est bien davantage que les
10  % officiels, calculés sur un quart
de la population, excluant femmes et
ruraux. L’économie informelle s’est
beaucoup développée. Trop d’entre-
prises ne payent pas l’impôt. Et les
services publics sont en difficulté car
ils manquent de ressources.

Qui gouverne au Maroc ? Le roi
ou le Premier ministre islamiste ?
La réalité du pouvoir est au Palais.
Les islamistes gèrent les ministères
sociaux compliqués, mais les sec-
teurs stratégiques, comme les Fi-
nances, l’Intérieur et la Défense, leur
échappent. En participant au gouver-
nement, les islamistes du Parti de la

justice et du développement actent
la supériorité religieuse et politique
du roi. En compensation, ils s’as-
surent carrières et salaires...

Quelles sont les évolutions
à venir ?
Je ne pense pas qu’il y aura un chan-
gement de l’intérieur. La population
est résignée  ; le roi s’est bien sorti
du printemps arabe de 2011 et du
soulèvement du Rif de 2016. Deux
choses peuvent déstabiliser le Ma-
roc. La crise en Algérie voisine, dont
l’issue reste incertaine, ou une crise
financière internationale, comme en
2008, qui ferait fuir les capitaux étran-
gers, européens et du Golfe, dont le
Maroc est très dépendant.
Recueilli par
Mourad KAMEL.

Mohammed VI, 23e monarque.

Fadel Senna, AFP

L’Éthiopie plante 353 millions d’arbres
Le pays de la Corne de l’Afrique a établi, lundi, un record
du monde, auparavant détenu par l’Inde.

Addis-Abeba.
De notre correspondante

Tout un pays uni derrière un même
objectif. Administrations publiques,
entreprises, églises, associations,
ambassades  : tous ont répondu à
l’appel du Premier ministre éthiopien
Abiy Ahmed.
Lundi, les citoyens auraient été mis
en terre 353 633 660 arbres, selon le
ministère de l’Innovation et des Tech-
nologies.
La croissance démographique
de l’Éthiopie, passée de 50  millions
d’habitants en 1990 à 110  millions
aujourd’hui, s’est faite au détriment
des forêts, qui ne représentent que
3 % du territoire. Certaines sont deve-
nues des surfaces agricoles, tandis
que de nombreux arbres ont été cou-
pés pour cuire les aliments ou utilisés
comme bois de construction.
À Chacha, petite ville rurale à
120  km au nord-est de la capitale,
Beshah Aqume observait, lundi, les
planteurs d’un air satisfait. Il réside
non loin du terrain vague situé dans
un quartier en pleine construction où
800 arbres sont en train d’être mis en
terre. Le coût des jeunes pousses,

qui oscille entre 1,15 € et 3 € l’unité,
a été financé par l’ONG World Vi-
sion. Membre local du ministère du
Bétail, le quinquagénaire a contribué
à l’organisation de cette journée  :
« Il y a de nombreux enfants, s’en-
thousiasme Beshah. J’espère qu’ils
poursuivront cet effort. »
Abiy Ahmed, au sud, et la prési-
dente Sahle-Work Zewde, au nord,
ont pris part à l’initiative qui, dans un
pays divisé par les conflits ethniques,
visait autant à le reverdir qu’à l’unifier.

Christelle GÉRAND.

L’objectif : planter 4 milliards d’arbres.

Christelle Gérand

Mauritanie : un blogueur libéré après cinq ans de prison
Détenu depuis janvier 2014, le
blogueur mauritanien Mohamed
Cheikh Ould Mkheïtir a retrouvé la
liberté. Il avait été condamné à mort
en décembre 2014 pour apostasie,
un de ses textes étant jugé blasphé-
matoire envers le Prophète. Cette
peine avait été ramenée à deux ans

de prison en novembre 2017 pour
tenir compte de son repentir. Mais
la décision, jugée trop clémente,
avait suscité une levée de boucliers
dans la société mauritanienne et des
foules étaient descendues dans les
rues de la capitale pour réclamer son
exécution.

Russie : ouverture d’une enquête pour troubles massifs


Le pouvoir russe serre la vis  : après
le rassemblement samedi de l’oppo-
sition pour des élections libres, qui
s’est soldé par près de 1 400 arresta-
tions à Moscou, la justice a annoncé
hier avoir ouvert une enquête pour
«  troubles massifs  ». Une telle pro-

cédure peut aboutir à des peines
atteignant quinze ans de prison. Par
ailleurs, le Haut-Commissariat aux
droits de l’homme de l’Onu, a fait
part de son inquiétude devant le re-
cours à la force contre les manifes-
tants à Moscou.

L’épouse de l’émir de Dubaï mariée de force ?


La princesse Haya (photo), épouse
de l’émir de Dubaï, Mohammed
ben Rachid al-Maktoum, 70  ans, a
demandé à être placée sous ordon-
nance de protection contre un ma-
riage forcé. Elle a comparu, hier, de-
vant le juge aux affaires familiales de
la Haute Cour de justice de Londres.
Fille du défunt roi Hussein de Jorda-
nie, la princesse de 45  ans a égale-
ment demandé à être placée sous
une ordonnance de protection contre
des brutalités et réclamé la garde de

ses enfants. Le souverain émirati a,
lui, demandé le retour de ses enfants
aux Émirats.

Toby Melville, Reuters

La mousson frappe durement le Pakistan


Au moins onze personnes ont été
électrocutées après des pluies tor-
rentielles sur Karachi, plus grande
ville du Pakistan, et le sud du pays

(photo). Depuis début juillet, plus de
300 personnes ont péri, victimes des
conséquences de la mousson en
Asie du Sud-Est.

Shahzaib Akber, EPA

Glyphosate : menace grandissante pour Bayer
Le groupe chimique allemand Bayer
doit désormais affronter 18  400  re-
quêtes déposées aux États-Unis
contre l’herbicide au glyphosate de
sa filiale Monsanto. Ce nombre en
constante augmentation (+ 5 000 de-
puis avril) empoisonne l’intégration
du groupe américain racheté l’an

dernier. Les 63  milliards de dollars
déboursés en juin 2018 faisaient déjà
de ce mariage le plus grand pari de
l’histoire de Bayer. Mais c’était sans
compter l’avalanche de requêtes qui
s’abattent depuis des mois sur le
nouveau géant agrochimique, pour
une facture finale difficile à évaluer.

Backstop : Johnson essuie une rebuffade irlandaise
Le Premier ministre britannique Boris
Johnson a affirmé hier à son homo-
logue irlandais Leo Varadkar que son
gouvernement était déterminé à ne
«  jamais  » rétablir de contrôles phy-
siques à la frontière irlandaise après
le Brexit. Mais Leo Varadkar lui a si-
gnifié que le backstop était « néces-

saire et [qu’il est] la conséquence
de la décision prise au Royaume-
Uni » de quitter l’Union européenne.
Le dirigeant irlandais a souligné que
l’UE était «  unie dans son refus de
réviser l’Accord de retrait  » conclu
avec Theresa May en novembre.

Mercredi 31 juillet 2019
2 Monde/Europe
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