MX Magazine N°258 – Juillet 2019

(Wang) #1

J


e me souviens avoir commis, il
y a bien longtemps, un article
sur « les personnages les plus influents
du cross mondial ». Si je devais le ré-
écrire aujourd’hui, Pit Beirer serait
tout en haut de la pyramide du pou-
voir en tant que grand Manitou de
l’ogre KTM-Husqvarna. Au sein du
motocross, le destin de cet homme de
fer est à nul autre comparable et mé-
rite d’être rappelé.

Si on laisse de côté le titre européen
250 de Fritz Betzelbacher en 1957
(c’était une autre époque, celle des
pionniers, avant qu’un championnat
mondial voit le jour), il a fallu atten-
dre... 2011 (!) et le titre MX2 de Ken
Roczen pour qu’un Allemand de-
vienne champion du monde de mo-
tocross. De fait, le grand Paul Frie-

drichs, triple champion du monde 500
sur CZ en 1966, 1967 et 1968, était
Allemand de l’Est et, avant la chute
du Mur de Berlin (en 1989), les deux
pays étaient on ne peut plus séparés
(et différents)! Il y avait bien eu
l’aventure Maïco des années 70 mais
les pilotes de la marque de Pfaffin-
ghen, d’Adolf Weil à Herbert Schmitz
en passant par Willy Bauer, s’étaient
cassé les dents en GP500 sur l’impla-
cable duo Roger DeCoster-Heikki
Mikkola...

Lorsqu’en 1991 le jeune Pit Beirer se
lance en GP 125, Roczen n’est pas en-
core né et l’Allemagne, qui a traversé
une décennie de disette mondiale, est
redevenue un petit pays de motocross.
De 1991 à 1994, Pit place sa Suzuki
de plus en plus régulièrement dans le
haut du tableau. Il se classe 9e, 7e, 9eà
nouveau et finalement 5emondial
avant de passer en catégorie 250 et
de ranimer sérieusement la flamme
du MX teuton en terminant 4een 1995
et remportant une manche scratch
des Nations à Sverepec, à la barbe
des Américains! C’est à ce moment-
là que démarre dans son pays une
sorte de “Beirer-mania”, sur le mode
de la “Bruno-mania”tricolore ayant
accompagné, quinze ans plus tôt, le
parcours du premier Français perfor-
mant en GP (on y reviendra).
Successivement sur Honda puis Ka-
wasaki, Yamaha, Honda à nouveau et
enfin... KTM, Pit se maintiendra de
1995 à 2003 dans le top de la catégorie
(7e, puis deux fois 3e, 2ede Fred Bolley
en 1999, 3e, 5eet une dernière fois 3e
en 2002). Vainqueur de deux GP
et de cinq GP250 en carrière, dans un
style de battant très spectaculaire, Bei-
rer s’est aussi avéré un redoutable
spécialiste des Nations. En pleine pé-
riode d’archi-domination US, il s’est
octroyé un doublé personnel en 2001
à Nismes (façon Anstie à Matterley)
et a toujours bien performé indivi-
duellement au Motocross des Nations
(son team n’ayant jamais aucune
chance, faute de talent complémen-
taire). Le destin de pilote de Pit s’est
brisé en même temps que sa colonne
lors d’une chute terrible au Grand
Prix de Bulgarie 2003, à Sevlievo.
Douze ans au top niveau, de grands
coups d’éclat mais pas de titre et,
désormais, le handicap : beaucoup se
seraient effondrés face à un tel des-
tin...
Mais pas Beirer. Doté d’une intelli-
gence, d’une autorité naturelle, d’un
sens du leadership, d’une capacité de
travail hors du commun et, par-dessus
tout, d’une volonté d’airain, ce type
s’est reconstruit physiquement et pro-
fessionnellement au sein de la famille
KTM. Il a commandé ou commande
encore des personnages de la trempe
de DeCoster, DeCarli, Smets, Roczen,
Dungey, Cairoli ou Herlings, drivant

Par Xavier Audouard

d’une main de fer une politique
sportive qui a changé la face du mo-
tocross (et de l’enduro) à tous les ni-
veaux mondiaux (Amérique com-
prise). Éminemment sérieux et
autoritaire, l’homme sait aussi se lâ-
cher et la kyrielle de titres obtenus
par la maison autrichienne lui en
donne l’occasion.
Vous ne le savez sans doute pas mais,
à travers le Supercross de Bercy, Pit
a aussi changé la face du motocross
français. L’épreuve était retransmise
par Eurosport qui était alors avant
tout une chaîne allemande. Le Direc-
teur de Bercy, Denis Thominet, qui
était aussi coproducteur et responsa-
ble TV de l’organisation, me réclamait
toujours d’engager un bon Allemand.
Mais il n’y en avait pas, du moins en
supercross! C’est alors que j’ai pro-
posé à la star naissante du cross ger-
manique un véritable plan d’attaque
pour le supercross. Il était enthousiaste
mais conscient de ses limites tech-
niques. Ni une ni deux, je lui ai donc
octroyé un budget pour un stage aux
Etats-Unis sous la houlette de Johnny
O’Mara, le premier King of Bercy!
J’ai peu de souvenir des prestations
de Pit dans le chaudron parisien, sans
doute parce qu’elles ne furent pas mé-
morables : le pilote n’était pas assez
doué pour cette discipline et l’oppo-
sition US (et française) était écra-
sante.
Ce qui fut historique, en revanche,
c’est ce qui se passa en tribune.
J’avais octroyé, avec la bénédiction
de Thominet, vingt billets par soir au
fan-club de Pit Beirer en insistant
pour qu’il se déplace en mode « Na-
tions ». Les perfs de Beirer au MXDN
survoltaient ce groupe de Teutons en
casques à cornes carburant au noir-
rouge-jaune, à la bière, aux cornes de
brume et... aux tronçonneuses. À
l’époque, c’était totalement inédit.
Festif, braillard et un rien décadent,
parfait pour faire le buzz! Dans les
travées de Bercy, même si son héros
n’a pas brillé, le fan-club de Pit Beirer
a importé (ça devait être en 1995) ce
qui allait devenir un accessoire
mythique de la classique parisienne
et, au-delà, du cross français : les tron-
çonneuses. Thominet et Eurosport
étaient contents. Mission accom-
plie.■

Pit et les tronçonneuses


« Beirer est doté d’un


sens du leadership et


d’une grosse capacité


de travail! »


Pit Beirer, un homme
incontournable dans
l’univers du cross
international.

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