Le Monde - 04.08.2019

(Darren Dugan) #1

28 | 0123 DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 AOÛT 2019


0123


L


a mort désormais officielle du traité
sur les forces nucléaires de portée in­
termédiaire (FNI), annoncée par Do­
nald Trump il y a six mois et actée vendredi
2 août, est un nouveau signe inquiétant d’un
désordre croissant dans les relations inter­
nationales. Dernier en date des grands trai­
tés américano­soviétiques de la fin de la
guerre froide, cet accord, signé à Washing­
ton le 8 décembre 1987 par Ronald Reagan et
Mikhaïl Gorbatchev, mettait fin à la crise des
euromissiles, qui fut l’un des paroxysmes
de la rivalité entre les deux blocs sur le Vieux
Continent. Le FNI a permis à l’époque la des­
truction de la totalité des missiles nucléaires
d’une portée comprise entre 500 et
5 500 km. Le coup de grâce a été donné par
Donald Trump mais, déjà, l’administration

Obama affichait ses doutes croissants sur
cet accord violé depuis des années par la
Russie.
Les alliés de l’Organisation du traité de l’At­
lantique Nord (OTAN), à commencer par la
France, étaient aussi bien conscients des li­
mites d’un texte vieux de trente ans et en
décalage croissant face aux nouvelles réali­
tés géostratégiques. Il ne prenait pas en
compte notamment la montée en puis­
sance, voire l’hubris, d’une Chine, qui a mas­
sivement développé ce type d’armement.
En dénonçant cet accord qu’ils respec­
taient, les Etats­unis veulent avoir les
mains libres pour développer à nouveau et
produire ce type de missiles intermédiai­
res. Il s’agit notamment de faire face aux
9M729 russes, missiles mobiles d’une por­
tée effective de 2 500 km bien que Moscou
assure, contre toute évidence, qu’elle ne dé­
passe pas les 480 km. Toutes les villes euro­
péennes sont ainsi susceptibles d’être tou­
chées par ces missiles tirés depuis le terri­
toire russe.
Ces arguments américains sont audibles.
Mais, une fois de plus, c’est la méthode
Trump, avec ce mélange d’improvisation et
d’intuition, mais surtout de mépris pour
ses alliés, qui est hautement critiquable.
L’administration américaine n’a pas tenté
de renégocier le texte, ni de l’ouvrir à
d’autres pays, en premier lieu la Chine. A
ses yeux, les traités de ce genre ne sont rien

d’autre qu’un carcan bridant les intérêts
des Etats­Unis, et Washington ne fera rien,
non plus, selon toute probabilité, pour pro­
longer le New Start, le traité avec Moscou
sur les armements stratégiques interconti­
nentaux qui arrive à échéance en 2021.
La fin du FNI n’entraînera pas automati­
quement une course aux armements sur le
Vieux Continent, ni un déploiement massif
de ces missiles intermédiaires. La moderni­
sation des arsenaux nucléaires avait, en
fait, déjà bien commencé tant aux Etats­
unis qu’en Russie ou en France. La fin pro­
grammée de ce traité en est la conséquence
plutôt que la cause. Le risque n’en est pas
moins réel de voir remis en question tous
les équilibres autour du nucléaire.
Certes, les arsenaux ne sont plus ceux de
l’époque de la guerre froide, où les deux
grandes puissances disposaient de quelque
60 000 têtes nucléaires. Aujourd’hui, l’en­
semble ne représente plus que 14 000 uni­
tés. Il n’en reste pas moins que, trente ans
après la fin de la guerre froide, le désarme­
ment nucléaire marque le pas, voire se ren­
verse, avec le retour de tensions oubliées
depuis des années. D’où l’inquiétude du se­
crétaire général des Nations unies, Antonio
Guterres. Celle­ci est d’autant plus compré­
hensible que, sur un autre plan, de la Corée
du Nord à l’Iran, les efforts déployés pour
bloquer la prolifération montrent toutes
leurs limites.

UNE NOUVELLE 


ÈRE DE LA 


DISSUASION 


NUCLÉAIRE


Sarah Rozenblum


La santé, sujet-phare


de la présidentielle


américaine de 2020


L’Obamacare, mis en place par l’ancien


président américain, est au cœur des débats


des primaires démocrates, mais aussi des


projets politiques de Donald Trump, explique


la spécialiste de la santé publique aux Etats­Unis


L


es candidats à l’investiture
démocrate pour l’élection
présidentielle de 2020 se
sont affrontés à Detroit, les
30 et 31 juillet 2019. Le premier
débat, opposant les sénateurs
Elizabeth Warren (Massa­
chusetts) et Bernie Sanders (Ver­
mont) à leurs rivaux modérés,
s’est cristallisé autour des ques­
tions de santé. Bernie Sanders et
Elizabeth Warren sont favorables
à l’instauration d’un système de
santé universel (Medicare for All)
qui ne ménagerait aucune place
aux compagnies d’assurances
privées. Leurs opposants « mo­
dérés » les ont attaqués sur ce
front, arguant qu’une telle pro­
position assurerait la victoire
des républicains en 2020. Tim
Ryan, représentant de l’Ohio, n’a
cessé d’invoquer l’exemple de
son père, ancien ouvrier syndi­
qué et attaché à sa couverture de
santé privée. En opposant ainsi
solidarité nationale et syndica­
lisme, Tim Ryan incarne une po­
sition modérée que Bernie San­
ders et Elizabeth Warren ont at­
taquée de concert, invoquant le
réalisme et l’audace de leur pro­
position.
Medicare for All révolutionne­
rait le système de santé améri­
cain, mais son adoption est loin
d’être acquise. Elle suppose la
victoire des candidats progressis­
tes qui sont, à l’heure actuelle,
nettement devancés par Joe
Biden dans les sondages. Ce der­
nier est l’un des principaux archi­
tectes de l’Obamacare, qu’il n’a
nulle envie de voir disparaître.
Son abrogation pourrait toute­
fois se confirmer par voie législa­
tive ou judiciaire, et ce, de
manière imminente.


Regain de popularité
Sur le plan législatif, les conseillers
du président Trump élaborent ac­
tuellement une nouvelle loi de
santé, avec, pour objectifs, le ren­
forcement de la transparence des
prix des médicaments et presta­
tions de santé, la possibilité d’im­
porter des médicaments cana­
diens aux tarifs canadiens... Ces
propositions aux tonalités démo­
crates sont décriées par de nom­
breux républicains. Donald
Trump veut toutefois en faire l’un
des instruments de sa réélection
en 2020.
Sur le plan judiciaire, l’avenir de
l’Obamacare, ou Affordable Care
Act (ACA), se jouait dans une cour
fédérale de La Nouvelle­Orléans
le mardi 9 juillet 2019. Cette cour
d’appel devait confirmer ou inva­
lider une décision contestée du
14 décembre 2018, dans laquelle
le juge du Texas Reed O’Connor a
déclaré inconstitutionnel le sys­
tème de couverture maladie uni­
verselle instauré en 2010.
Si les magistrats donnent rai­
son au juge texan et déclarent
inconstitutionnelle la loi de 2010,
l’affaire est susceptible d’être por­
tée devant la Cour suprême. La
question de l’abrogation totale de
l’ACA pourrait donc occuper le


devant de la scène politique lors
des élections de 2020, au béné­
fice du camp démocrate, qui se
poserait alors en protecteur
d’une loi désormais populaire.
En effet, selon un sondage de la
fondation Kaiser, 50 % des Amé­
ricains se disaient favorables à
l’ACA en mars 2019 (contre 35 %
en mars 2014) et 39 % des sondés
y étaient hostiles (48 % en
mars 2014). De nombreuses dis­
positions de l’Obamacare béné­
ficient d’un large soutien,
comme la possibilité donnée
aux jeunes d’être couverts par
l’assurance de leurs parents jus­
qu’à 26 ans. Sans compter que la
disposition la plus contestée de
la loi, l’individual mandate
(l’amende infligée aux individus
non assurés refusant d’adhérer à
l’assurance­santé), a été suppri­
mée en 2017, ce qui a contribué
au regain de popularité de l’Oba­
macare, y compris dans le camp
républicain.
L’administration Trump a tenté
à plusieurs reprises de démante­
ler l’Obamacare par voie législa­
tive. Un premier projet de loi des­
tiné à remplacer l’ACA a été aban­
donné fin mars 2017, faute de
soutien dans les rangs parlemen­
taires républicains. Peu après, le
Better Care Reconciliation Act a
été voté par le Congrès républi­
cain avant d’être rejeté par le
Sénat. Le bureau du budget du
Congrès a estimé que ce projet de
loi priverait de couverture mala­
die 14 millions de personnes dès
2018 et 23 millions en 2026. Ces
chiffres ont incité plusieurs parle­
mentaires à voter contre leur pro­
pre camp, à l’image du républi­
cain John McCain, décédé en
août 2018.
Une remise en cause totale de
l’Obamacare serait préjudiciable
à plusieurs niveaux. Elle priverait
des millions d’Américains de leur
couverture de santé. Elle entraî­
nerait également le démantèle­
ment des Accountable Care Orga­
nizations, ces structures de soins
innovantes où les professionnels
de santé sont collectivement res­
ponsables de la dépense et de la
prise en charge des patients.
L’ACA est une fois de plus me­
nacé par voies législative et judi­
ciaire. En raison de sa popularité
croissante et de son inscription
dans le système de santé améri­
cain, l’Obamacare est de plus en
plus difficile à abroger par voie
législative, mais sa survie n’est
pas encore définitivement assu­
rée du fait de la puissance des tri­
bunaux américains et de la déter­
mination de l’actuel président à
vouloir l’achever avant la fin de
son mandat.

Sarah Rozenblum est
chercheuse en sciences politi-
ques à l’université du Michigan


UNE REMISE


EN CAUSE TOTALE


DE L’OBAMACARE


SERAIT


PRÉJUDICIABLE


À PLUSIEURS


NIVEAUX


OpéraBastille-Théâtredes Bouffes du Nord-Cinéma BeauRegard

Programme et inscription surfestival.lemonde.fr


imagine 4-7 octobre 2019

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