Telegramme - 2019-07-31

(Grace) #1
les dealers ». « C’était le poumon vert
de notre quartier, raconte un autre
habitant, toujours sous couvert d’ano-
nymat. Aujourd’hui, on doit baisser les
yeux quand on se balade. Les enfants et
les petits-enfants sont terrorisés.
L’espace est occupé par les dealers ».

Affichage nocturne
« Vannes la stupéfiante ». « Vannes, vil-
le d’art, d’histoire et de drogue ». « À
découvrir : parc naturel stupéfiant
(1 km) ». « Stop Drogue! Élus AJC ».
« Kermesquel, Eldorado des dealers ».
Depuis près de cinq mois, pour manifes-
ter leur mécontentement, les riverains
ont décidé d’afficher leur colère dans les
rues. D’abord autour du parc de Ker-
mesquel, en indiquant les points de
deal par des petits écriteaux fléchés.
Puis en déployant des banderoles, com-
me la veille du 14-Juillet où la statue
équestre d’Arthur de Richemont,
devant l’hôtel de ville, avait été enru-
bannée. Le tout, à base de détourne-
ments de slogans vannetais, de messa-
ges ironiques qui prêtent à sourire.
La méthode est toujours sensiblement
la même : un affichage nocturne qui se

dévoile à la population au petit matin.
« Les dealers ont leurs horaires, nous
aussi, raconte un riverain. On ne veut
pas croiser leur chemin, on ne veut pas
prendre des risques. Mais on se doit de
dénoncer le trafic. On veut déranger le
maire. On veut déranger les pouvoirs
publics. Aujourd’hui, on nous prend
pour des moins que rien. Quand il s’agit
d’arracher nos banderoles ou nos auto-
collants, la mairie va très vite. Mais
quand il s’agit de nous répondre... »

La bonne méthode?
Directement ciblé par les habitants, le
maire de Vannes, David Robo, demande
du temps. « La lutte contre les stupé-
fiants, ce sont des enquêtes longues et
fouillées. On va avoir des résultats, ça,
je peux en assurer les habitants », esti-
me-t-il. S’il rappelle tout de même
« que la lutte contre le trafic de drogue
est une compétence de l’État et non de
la municipalité », David Robo assure
que la Ville mène un travail quotidien
avec les services de police. Après une
réunion technique dans le parc de Ker-
mesquel, la Ville envisage d’installer
des barrières physiques à plusieurs

endroits, pour éviter la circulation de
motos et scooters. Une mesure desti-
née à juguler les approvisionnements
et à contrarier les fuites.
« On fait notre travail, appuie
Alain Beauce, directeur départemental
de la sécurité publique (DDSP). Des
actions sont conduites régulièrement.
Ce n’est pas un territoire abandonné,
contrairement à ce que d’aucuns lais-
sent entendre ». L’affichage public, une
source de pression pour le patron des
policiers du Morbihan? « Je ne suis pas
persuadé que ce soit la bonne métho-
de, insiste Alain Beauce. On peut met-
tre 300 000 pancartes, ça ne changera
pas mon fusil d’épaule. On a un plan
d’action, on le suit. On n’agit pas sous
la pression ».
Des propos qui ne devraient pas calmer
l’ardeur des riverains, bien décidés à
monter en température. « Est-ce à
nous, les habitants d’occuper le terrain
pour endiguer le trafic ?, se demande
l’un d’entre-eux. Que le maire et le pré-
fet se rassurent. Tant qu’il n’y aura pas
d’action forte, nous allons monter en
régime. Ce ne sont pas les idées qui
manquent! » Message reçu?

Des riverains qui interpellent la popu-
lation par de l’affichage public, pour
lutter contre le trafic de drogue, est-ce
nouveau? Nous avons retrouvé trois
cas récents en France, dont l’un se
déroulait déjà... à Vannes.
En avril 2013, à Bordeaux, des rive-
rains du quartier Saint-Paul avaient
collé des affiches pour inciter les gens
à photographier les dealers du secteur
pour les poster sur une page Facebook
créée pour la circonstance. Certains
habitants avaient vu dans cette cam-
pagne un appel à la délation, même si
eux soutenaient qu’ils étaient
« fâchés, pas fachos ». Les visages
étaient floutés.
Dans la même veine, en juin 2014,
dans un quartier de Gennevilliers, en
banlieue parisienne, un tract anony-
me appelait les habitants à prendre en
photo des dealers en pleine transac-
tion et à les envoyer au commissariat.
Cet appel avait été distribué dans les
boîtes aux lettres et affiché dans les
halls d’immeubles.
Troisième et dernier exemple d’une
initiative pour dénoncer le trafic de
drogue : à Vannes, déjà, en févri-
er 2015, le gérant du G20, à Kercado
(ci-dessus à gauche, en compagnie de
David Robo), avait collé sur sa vitrine
une affiche jaune fluo sur laquelle il
avait inscrit « Vente de drogue à prix
discount ». Lassé de ce voisinage, il
avait dessiné une flèche pour indiquer
le lieu du trafic, juste à côté de sa supé-
rette. Il chiffrait à 700 le nombre de cli-
ents qui venaient s’approvisionner là
chaque jour. La riposte ne se fait pas
attendre : le lendemain, un objet
incendiaire avait été introduit dans la
salle de repos de son magasin par un
vasistas mais n’avait fait que noircir les
murs.


Campagnes d’affichage


anti-deal :


des précédents


Photo archives Le Télégramme

Du jour au lendemain, l’écho des rires,
le tempo de la musique et l’odeur des
grillades ont disparu. Laissant place aux
ronronnements des scooters, à des cris
et même, selon des habitants, à des
coups de feu. L’intervention conjointe
des polices dans le parc de Kérizac, situé
en plein cœur du quartier de Ménimur,
à Vannes, au début du mois de
mars 2019, a brutalement déplacé le
trafic de drogue vers le parc de Kermes-
quel, situé un peu plus à l’ouest, en bor-
dure de la RN 165. « À peine trois jours
après l’intervention à Kérizac, on a vu
des jeunes qu’on ne connaissait pas
investir le parc de Kermesquel, raconte
une habitante. Je m’en souviens, c’était
un mercredi. Et à partir de là, ça ne s’est
plus jamais arrêté... »

« Les enfants sont terrorisés »
Comprenant un vaste espace boisé
autour de son vélodrome, le parc de Ker-
mesquel accueillait encore il y a quel-
ques mois les promeneurs et les
familles, venus profiter de ses aires de
jeux et de pique-nique. Il n’en est plus
ainsi aujourd’hui, aux dires des rive-
rains, pour qui « le parc est privatisé par

Dans la nuit de vendredi à samedi, un
nouvel affichage a fleuri le long de la
voie express : « Kermesquel, Eldorado
des dealers ». Photo Catherine Lozac’h

Drogue à Vannes.


Ces riverains qui affichent leur colère


Rémy Quéméner

Dans le quartier de
Ménimur à Vannes, le
trafic de drogue a changé
de lieu d’ancrage depuis le
début 2019. Les dealers ont
quitté le parc de Kérizac
pour le parc de
Kermesquel, prisé des
familles. Excédés par le
trafic qui perturbe leur
quotidien, des riverains
affichent depuis des mois
leur colère sur des
pancartes à la vue de tous.

À la télé

L’Amoco
C’est un choc encore présent dans les mémoires : plus
de 40 ans après, retour sur le naufrage de
l’Amoco Cadiz, rencontre avec les témoins de l’époque
et plongée par 30 m de fond.
Un documentaire à découvrir ce mercredi, à 20 h 45, sur Tébéo
et TébéSud.

Le chiffre

26,


C’est, en mètres, la longueur du lancer de touline
(lance-amarre) réalisé, dimanche, à Plouarzel (29), par
le vainqueur du championnat régional de la discipline.
Renaud Temar, un Lampaulais natif de Lorraine, a battu
le record détenu depuis 2013 par Roger Léaustic.

9 Mercredi 31 juillet 2019 Le Télégramme


Bretagne

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