Temps - 2019-07-31

(nextflipdebug2) #1

MERCREDI 31 JUILLET 2019 LE TEMPS


Culture 11


Au nord de la Suède, une communauté hippie fête le solstice d’été. Attention! Les fleurs et les sourires dissimulent une cruauté très ancienne. (ASCOT ELITE)

Loïs, 16 ans et un QI élevé, rêve d’être
cosmonaute. Son obésité la condamne
toutefois à rester sur le plancher des
(grosses) vaches. A force de vouloir
perdre du poids, elle finit à l’hôpi-
tal. Elle y rencontre Angèle, une mau-
vaise garçonne anorexique, Stannah,
une bimbo paraplégique, et Justine,
qui souffre de sensibilité électroma-
gnétique. La petite bande s’échappe et
taille la route jusqu’à Toulouse, où Loïs
veut participer à un concours scien-
tifique organisé par le CNES. Elles se
bouffent le nez et se réconcilient à plu-
sieurs reprises.
100 kilos d’étoiles est la réponse fran-
çaise à Nos Etoiles contraires , La Face
cachée de Margo , Midnight Sun et autres

sucreries américaines pour adoles-
cents. Mêmes bons sentiments, même
morale du dépassement de soi, avec ici
ce bonus de réalisme, voire de vulgarité,
qui est la marque de fabrication fran-
çaise. La facture du film est à la limite
de l’amateurisme, un peu foutraque à
l’image de Philippe Rebbot qui tient le

rôle du père et, au milieu d’un bistrot,
prononce un vibrant hommage au sur-
poids dans une rare scène de madrigal
au saindoux. Les gamines sont terrible-
ment limitées en matière d’art drama-
tique. Et un synthétiseur horripilant
zinzinule sur la bande-son.
Loïs et sa bande volent des voitures,
s’adonnent à la grivèlerie, font du scan-
dale... Autrefois, elles auraient fini en
maison de correction. Aujourd’hui, elles
reçoivent la bénédiction de leurs parents,
adeptes du «va jusqu’au bout de tes rêves»
cher à Disney. Quant à Loïs, elle ne mai-
grira sans doute pas et ne s’arrachera
jamais à l’attraction terrestre. Mais,
réconciliée, elle a compris qu’il y avait
d’autres voies pour s’accomplir et aussi
que l’important c’est l’amour. ■ A. DN

x 100 kilos d’étoiles, de Marie-Sophie
Chambon (France, 2019), avec Laure Duchêne,
Angèle Metzger, Pauline Serieys, 1h28.

COMÉDIE Une adolescente obèse rêve
de s’envoyer dans le cosmos. C’est «
kilos d’étoiles», une comédie foutraque
dédiée à l’accomplissement personnel


Pas de patapouf en orbite


ANTOINE DUPLAN
t @duplantoine

Dani est une fille mal dans sa peau et
mal-aimée. Ce n’est pas le suicide groupé
de ses parents et de sa sœur qui va la
réconcilier avec la vie, ni Christian, son
boyfriend, plus enclin à manger une pizza
entre potes qu’à prendre soin d’elle. Etu-
diant en anthropologie, il prépare avec
trois camarades un voyage dans le nord
de la Suède où se tient un festival du sols-
tice d’été. Dani décide de se joindre à eux.
La présence de la blonde fiancée n’en-
chante pas les godelureaux, car elle risque
de compliquer le plan «à nous les petites
Suédoises»...
Ari Aster, 31 ans, s’est imposé l’an der-
nier avec son premier film, Hereditary ,
qui convoque une pléthore de fantômes
au sein d’une famille endeuillée. Sa deu-
xième démonstration d’excellence dans le
domaine de l’horreur s’avère plus fine, plus
ambiguë. Midsommar déjoue les attentes,
brouille les codes et cultive le malaise plu-
tôt que d’aligner les scare jumps.

Euthanasie spectaculaire
Sous la conduite du doux Pelle, qui vient
de la région, Christian, Josh, Mark et Dani
arrivent dans une vaste prairie sertie de
sapins et de bouleaux où se dressent de

vastes maisons de bois clair. Ils sont
accueillis avec bienveillance par une com-
munauté tout de blanc vêtue. Les hommes
sont amicaux, les femmes portent des cou-
ronnes de fleurs et n’ont pas l’air farouches.
Des tisanes étranges et fraîches sont ser-
vies. Le solstice d’été se présente sous les
meilleurs auspices.
Les choses vont évidemment se gâter.
Les runes abstruses et les fresques inquié-
tantes peintes sur les murs, un ours en
cage, un temple interdit, les vaticina-
tions d’un Elephant Man local instillent
le malaise. Le séjour bascule lors d’une
cérémonie sacrée: deux nonagénaires se
lancent en bas d’un rocher et s’écrasent
au sol – il faut achever à la masse l’un des
deux... Cette démonstration d’euthana-
sie spectaculaire glace les jeunes Améri-
cains. Leurs hôtes n’arrivent à les apaiser
en expliquant que ce saut fatal est moins
choquant que l’EMS. L’envie de fuir saisit
les anthropologues juvéniles tandis que la
menace se précise. Il faut dire que Mark
a maladroitement soulagé sa vessie sur
«l’arbre des ancêtres»...
Se seraient-ils faufilés dans un temple
maudit au fond de la jungle birmane ou
une pyramide interdite de la cordillère
des Andes, on aurait su d’emblée que les
voyageurs allaient vers les ennuis. Dans
la paisible Suède, c’est plus inattendu. Il
est troublant de découvrir que les druides
débonnaires farandolant dans la verdure
constituent une secte aux mœurs sangui-
naires. Tandis que 99% des films d’horreur
se déroulent dans la nuit, incubatrice de
toutes les peurs, le film d’Ari Aster se
passe exclusivement de jour. Le soleil de

minuit, celui qui rend fou l’inspecteur d’ In-
somnia , baigne continûment le décor. Il
s’avère angoissant – dès leur arrivée, les
étudiants sous acide perdent la notion du
temps à cause de la lumière diurne.

Taxidermie et feu purificateur
Renouant avec la tradition du film d’hor-
reur folklorique, Midsommar évoque for-
cément The Wicker Man ( Le Dieu d’osier ,
1973) et son remake ( L’Homme de paille ,
2006), dans lequel un détective à la
recherche d’une jeune fille disparue sur
une île découvre que les autochtones pra-
tiquent un culte païen incluant des sacri-
fices humains. Au jeu des Dix Petits Nègres ,
les godelureaux disparaissent les uns après
les autres. Ils voulaient se taper des Sué-
doises? Christian fait moins le fier lorsqu’il
est amené tel l’étalon reproducteur à un
rituel de fécondation cerné par une dou-
zaine de femmes nues encourageant son
rut de la voix. Conjuguant taxidermie et
feu purificateur, le final flambe de cruauté
hallucinatoire – sans renoncer aux fleurs
et aux sourires.
Dans sa chambre, Dani a accroché deux
images: un plésiosaure et une scène de
conte dans laquelle une fillette dompte un
grizzly. Elles augurent de la suite. La fra-
gile jeune femme révélera qu’elle a la froi-
deur du reptile préhistorique et la force qui
permet de vaincre l’animalité. Couronnée
reine sous le soleil de minuit, la mal-aimée
est pleinement vengée. ■

VVV Midsommar, d’Ari Aster (Etats-Unis,
2019), avec Florence Pugh, Jack Reynor, Will
Poulter, Vilhelm Blomgren, 2h27.

«Midsommar»: des ombres


sous le soleil de minuit


CINÉMA De jeunes anthropologues amé-
ricains découvrent à leurs dépens les
mœurs barbares d’une paisible petite com-
munauté suédoise. Après «Hereditary»,
Ari Aster démontre avec ce film d’horreur
livide qu’il maîtrise l’art de faire peur

JULIAN SYKES, VERBIER

A mi-parcours du Verbier Festi-
val, le niveau des concerts s’avère
globalement très élevé. Grigory
Sokolov a livré l’un de ses meil-
leurs récitals à la salle des Com-
bins vendredi dernier. Et pour-
tant, les conditions météo
n’étaient pas bonnes. Il a plu; la
soirée était ponctuée de coups de
tonnerre. Mais le pianiste russe
n’a pas cillé, imperturbable, ryth-
mant les morceaux de ses allers
et venues monocordes des cou-
lisses à l’estrade.

Bourrasques brahmsiennes
Comme toujours dans Beetho-
ven, Sokolov met en valeur la
structure musicale dans
la Sonate opus 2 No 3. Son
jeu précis, méticuleux,
entre notes détachées et
legato, évoque celui d’un
orchestre tellement les plans
sonores sont clairs. Le pianiste
frôle le côté obsessionnel et méca-
nique par moments, mais le dis-
cours est d’une telle transparence
qu’on se laisse gagner par l’émotion
à nu, dans l’«Adagio» en particu-
lier. Les «Bagatelles Opus 119» (aux
tempi parfois bousculés, inatten-
dus) sont pleines de tendresse et
d’ironie.
Mais le plus beau, ce sont les
Pièces de l’Opus 118 et 119 de Brahms.
La délicatesse du toucher, le soyeux
admirable, contrastant avec
quelques bourrasques bien brahm-
siennes, au sein d’une structure
solidement charpentée, mettent en
valeur les diverses facettes de cette
musique. La part de mystère coha-
bite avec la logique la plus rigou-
reuse. Et les bis (Schubert, Chopin,
Rameau...) sont un kaléidoscope de
l’art du pianiste russe.

Capuçon-Schiff:
un duo attendu
Très attendue, la première ren-
contre sur scène entre Renaud
Capuçon et András Schiff a conquis
le public dimanche matin à l’église.
Jouant sur un beau piano Bösen-
dorfer, András Schiff (après une
Sonate de Debussy subtile) mène
le discours dans la Sonate No 2 en
ré mineur de Schumann. Très éco-
nome avec la pédale, il fait ressortir
d’innombrables détails (contre-
chants, voix intérieures) que l’on
n’entend pas habituellement. Le
côté inquiet et instable de Schu-
mann éclate au fil d’échanges très
serrés entre le violon et le piano

(décidément leader); la magnifique
romance apporte une accalmie
bienheureuse.
Admirablement investi, le violo-
niste français domine la Sonate de
César Franck. Ici, le piano de Schiff
(aussi dépouillé soit-il) semble un
peu sec par endroits; le premier
mouvement et le mouvement lent
central, splendide de sonorités,
sont un pur bonheur! Le bis
mozartien permet de savourer le
toucher si éloquent de Schiff.

Le jeu engagé
de Marc Bouchkov
Joshua Bell, au jeu très physique,
brillant, ardent, lyrique, exagérant
parfois certains effets, a été
acclamé dans le Concerto de
Dvorák. Moins connu, le violoniste
Marc Bouchkov jouait en duo avec
le jeune pianiste russe Dmitry
Masleev mardi matin à l’église.
Après Schubert et Brahms (au
lyrisme serein et tourné vers l’in-
térieur), les deux artistes
ont empoigné avec une
force peu commune la
Sonate pour violon et piano
de Chostakovitch. Marc
Bouchkhov possède à la fois l’auto-
rité et la fibre lyrique propres à
cette musique.

Lahav Shani, un chef
très prometteur
N’oublions pas les orchestres de
Verbier. Le chef et pianiste israé-
lien de 30 ans Lahav Shani a su
conférer un lyrisme envoûtant –
dans une ligne très continue – à la
Symphonie «Ecossaise» de Men-
delssohn. Le Verbier Festival
Chamber Orchestra y a fait valoir
ses cordes chaleureuses et ses
vents inspirés. Le Verbier Festival
Orchestra, lui, a joué avec élan et
vitalité la Symphonie «La Grande»
de Schubert sous la direction de
Manfred Honeck. Ne manquait
qu’une note d’émotion dans «l’An-
dante con moto» central, trop
droit.

Le Quatuor Ebène en fête
Enfin, le Quatuor Ebène a ému
avec le merveilleux Antoine Tames-
tit dans le Quintette en sol mineur
K.516 de Mozart (aux phrasés pleins
d’affects, de tendresse). Quelle joie
de vivre et quel lyrisme dans le Sex-
tuor «Souvenir de Florence» de
Tchaïkovski qui suivait! L’altiste
norvégien Lars Anders Tomter et
le violoncelliste suédois Frans Hel-
merson ont contribué à ce succès.
La valse des concerts n’a pas fini de
rendre ivre le public – et l’on pas-
sera sous silence les déceptions
pour ne pas froisser la fête. ■

Verbier Festival, jusqu’au 3 août.
http://www.verbierfestival.com

A Verbier, la valse des


concerts au sommet


CLASSIQUE A mi-parcours du
Verbier Festival, qui se termine
samedi prochain, quelques
impressions sur les derniers ren-
dez-vous musicaux

CRITIQUE


Autrefois, Loïs
et sa bande auraient
fini en maison
de correction.
Aujourd’hui,
elles reçoivent
la bénédiction
de leurs parents

LES ÉTOILES
DU TEMPS
VVVV
On adule
VVV
On admire
VV
On estime
V
On supporte
x
On peste
xx
On abhorre


  • On n’a pas vu


La Garde suisse
fêtera les Vignerons
La Garde suisse pontificale est l’invitée
d’honneur de la Fête des Vignerons le
1er août à Vevey. Le commandant et deux
gardes actuels seront sur place. Une
cinquantaine d’anciens prendront part
aux défilés et aux concerts de la fanfare.
Dans un stand, des gardes répondront aux
questions des intéressés. ATS/LT

Concert d’un groupe
pro-LGBT annulé au Liban

Les organisateurs du festival Byblos, au
Liban, ont été «contraints» d’annuler
mardi un concert d’un groupe de rock
alternatif pro-LGBT, Mashrou’Leila, accusé
d’avoir porté atteinte à la sacralité de
symboles chrétiens. AFP

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