Temps - 2019-07-31

(nextflipdebug2) #1

TRAVERS DE SPORT (5/8)


J’utilise assez peu les émoticones.
Mais à part le sourire basique,
il y en a un dont je me sers
régulièrement. Celui qui, sans
sourire, lève les yeux au ciel.
J’aime bien son air dépité.
J’aimerais pouvoir l’imiter,
parfois. Un exemple. Le départ
en vacances. Pour aider les
enfants à se farcir dix heures de
voiture jusqu’en Italie/Espagne/
Portugal, on leur offre des
magazines. Dans le kiosque du
relais autoroutier, ma fille
penche pour La Magie des
licornes , avec rien à lire dedans
mais «des cadeaux rien que pour
toi» en plastique de mauvaise
qualité avec lesquels elle va jouer
trois minutes.
Mon fils, lui, craque pour le
magazine Playmobil. Huit pages
tout au plus, mais emballé avec
le pompier-plongeur! A la caisse,
en train de payer 23 francs pour
du vent, j’affiche mon sourire
basique. Mais j’aimerais bien
imiter l’émoticone dépité.
Ça, c’était avant. Mes enfants
ont grandi. Un magazine n’a plus
besoin d’avoir «des cadeaux rien
que pour eux». Mon fils s’oriente
désormais vers les magazines
de foot. Ce n’est pas encore de
la grande littérature, mais c’est
mieux que les licornes en
plastique. Et c’est l’été, il faut se
détendre. Sauf que dans cette
catégorie-là, il y a du bon et du
très mauvais. Citons les quatre
pages sur «L’insta des stars du
foot». On y apprend que
l’Allemand Özil a deux chiots
chou. Ou que le Brésilien Lucas
aime le cerf-volant. Plus
surprenant encore, Griezmann
fait la sieste avec son jeune
garçon dans les bras.
Je le concède, je suis allé
chercher le pire de cette édition
de Foot Goal. Il y a aussi des
articles. Sur des doubles pages,
des choix éditoriaux forts:
Mbappé, Ronaldo, l’équipe de
France, Griezmann, Messi, le
Real, le PSG. Emoticone dépité.
On a déjà parlé de ça avec mon
fils. Je lui ai dit qu’à la place
de ressasser toujours les mêmes
infos sur toujours les mêmes
joueurs, j’aimerais lui faire
découvrir d’autres revues.
So Foot Junior , par exemple, rend
le foot un peu plus intelligent.
Parce que le sport roi recèle aussi
des histoires d’intégration,
d’amitié ou de plein d’autres
choses plus essentielles que les
meilleurs tattoos des joueurs du
Barça. Comment il a réagi?
Il a levé les yeux au ciel. ■

18 REQUINS
Le retour des squales
sur les écrans

19 PORTFOLIO
Sur les routes, un médecin
bat la campagne

20 GENÈVE
Aux origines de la banque
Bordier

Par Servan Peca


Les chiots chou


de Mesut Özil


MERCREDI 31 JUILLET 2019


Le coût de la palme


S


tar malgré elle des campagnes
de lutte contre la déforestation,
l’huile de palme, désormais
critiquée comme étant l'en-
nemi numéro un de l’orang-ou-
tan, a mauvaise presse. Reprise
comme argument marketing,
la mention «sans huile de
palme» frime en bonne place
sur de nombreux emballages,
tel un trophée écologique.
Qu’en est-il vraiment?On pourrait s’éton-
ner à première vue de la position actuelle
du WWF, en Suisse comme ailleurs en
Europe: l’ONG n’encourage pas un boycott
total de l’huile de palme. Dans les conseils
prodigués aux consommateurs, le pre-
mier est d’éviter l’achat de produits trans-
formés, ou sinon de se reporter sur ceux
contenant de l’huile de palme certifiée
«RSPO» (acronyme anglais pour Associa-
tion pour l’huile de palme durable). Pas
si surprenant puisque le WWF est l’un
des membres créateurs de ce label, qui
réunit des parties prenantes du marché.
Environ 80% de l’huile de palme
consommée dans le monde l’est pour un
usage alimentaire. Malgré sa richesse en
acides gras saturés (elle en contient envi-
ron 50%, contre 10% pour l’huile de
tournesol), elle n’est pas dangereuse pour
la santé, dans le cadre d’une alimentation
variée et équilibrée.

Une demande sans fin
Le problème se trouverait plutôt du côté
de son prix attractif: elle est l’huile de cuis-
son la moins chère qui soit et constitue de
fait le premier corps gras consommé dans
le monde, principalement dans les pays en
fort développement tels que l’Inde et la
Chine. Bien que le poids de l’Europe soit
relativement faible sur ce marché, la
demande mondiale est en augmentation
continue.

«La demande est sans fin, cette huile est
une aubaine pour les classes moyennes des
pays émergents», observe Alain Rival, cor-
respondant pour la filière du palmier à
huile au Centre de coopération internatio-
nale en recherche agronomique pour le
développement (Cirad), avant de rappeler
que la consommation de lipides explose
dès lors qu’une population quitte un état
de précarité pour un peu plus de confort
et de sécurité alimentaire.

«La démarche du RSPO n’est pas par-
faite, mais elle est intéressante par son
effet d’entraînement», déclare l’agro-
nome. En poste à Djakarta depuis cinq
ans, comme bon nombre de spécialistes
et d’ONG environnementales, il estime
par ailleurs qu’un boycott de l’huile de
palme par les consommateurs occiden-
taux casserait le marché qualitatif de
l’huile certifiée durable, par le label RSPO
par exemple. Ce dernier a ses faiblesses,
la première étant que les règles qu’il
défend n’ont pas force de loi, mais il
encourage une amélioration continue des
pratiques locales.

Plante ornementale
L’épopée du palmier à huile débute il y
a plus d’une centaine d’années. Cette
plante originaire du golfe de Guinée
débarque en Asie du Sud-Est en tant que
palmier décoratif. Rapidement, l’intérêt
sur le plan agronomique du palmier sup-
plante son usage paysager, et de grandes
cultures sont installées dès le début du
XXe siècle, sur ces terres qui deviendront
la Malaisie et l’Indonésie. Ces deux pays
sont encore aujourd’hui les premiers
producteurs d’huile de palme dans le

monde. Le rythme de l’extension des
cultures y a suivi celui de la croissance
mondiale. Et bien sûr de la déforestation.
Selon Alain Rival, les causes de la défo-
restation dans ces pays tropicaux sont
difficiles à établir avec précision: «Com-
parer des photos aériennes à différentes
dates ne permet pas d’établir pourquoi
les forêts ont été rasées, car les usages
des sols s’enchaînent rapidement après
la coupe des bois.» Les surfaces déboisées
peuvent servir d’abord pour des cultures
du tabac, puis quelques années plus tard
pour une plantation d’hévéas et enfin de
palmiers. Difficile de dire qui est le res-
ponsable.
Mais, surtout, il ne faut pas négliger
l’impact du secteur de l’exploitation
forestière en tant que tel. «Le pic de défo-
restation en Indonésie est derrière nous,
il a eu lieu dans les années 2000», sou-
ligne le chercheur, avant de poursuivre:
«Les forêts ont été rasées en premier lieu
pour l’exploitation du bois, qui alimente
une industrie papetière bien implantée.»
Les bois tropicaux sont également utilisés
ou exportés en tant que matière première
pour l’ameublement, la menuiserie ou la
construction. Les moteurs de la défores-

tation sont ainsi très imbriqués, entre les
demandes mondiales croissantes en bois
et en produits agricoles.
Dans ce contexte, le rendement du pal-
mier à huile est un atout réel pour
répondre aux besoins mondiaux: il fau-
drait environ sept fois plus de terres
arables pour remplacer la production
d’huile de palme par celle d’autres
graisses végétales. Un casse-tête à
l’échelle de la planète, où l’agriculture
intensive demeure la première cause de
déforestation, avant tout pour la culture
du soja, massivement importé en Europe.
Les recherches en cours explorent des
pistes ambitieuses pour améliorer la rési-
lience des plantations de palmiers à huile.
Il s’agit par exemple de réfléchir à l’intro-
duction d’arbres forestiers dans les plan-
tations, dans des proportions qui per-
mettent de ne pas trop en diminuer le
rendement. Car, comme le rappelle
l’agronome: «Le revenu des palmiers
représente la rentrée d’argent principale
pour 25 millions de personnes en Asie du
Sud-Est, qui peuvent vivre convenable-
ment avec 5 à 10 hectares de terres.» ■

Vendredi: Stop à la haine du gras


L’huile de palme est le premier corps gras consommé dans le monde. (AFRIADI HIKMAL/GETTY IMAGES)

L’huile de palme a mauvaise
presse, surtout en raison de son
impact sur les forêts. Mais il est
possible d’en produire de manière
durable, veulent croire certains
experts

ALIZÉE GUILHEM

LE GRAS, C’EST LA VIE (3/4)


«LES PALMIERS


REPRÉSENTENT


LE REVENU


PRINCIPAL


DE 25 MILLIONS


DE PERSONNES


EN ASIE


DU SUD-EST»
ALAIN RIVAL, AGRONOME
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