Temps - 2019-07-31

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MERCREDI 31 JUILLET 2019 LE TEMPS


Actualité 3


VALÉRIE DE GRAFFENRIED, NEW YORK
t @VdeGraffenried

Une polémique en chasse une autre.
Après s’en être violemment pris à l’élue
musulmane d’origine somalienne Ilhan
Omar, Donald Trump alimente une nou-
velle controverse. Depuis plusieurs
jours, c’est un autre élu du Congrès,
l’Afro-Américain Elijah Cummings, de
Baltimore, qui est victime des fléchettes
empoisonnées du président des Etats-
Unis.
Le congressiste a osé critiquer les
conditions de détention des migrants
mineurs à la frontière mexicaine. Mal
lui en a pris: Donald Trump l’a aussi-
tôt traité de «raciste» et accusé de faire
du «très mauvais travail» pour les gens
de sa circonscription de Baltimore, «un
endroit très dangereux et sale», «infesté
de rats», où «aucun humain n’aimerait
vivre».

Une politique discriminatoire
comme promoteur immobilier
Stratégie de campagne pour assurer
sa réélection en 2020? En prenant des
Afro-Américains pour cible, Donald
Trump n’hésite pas à exacerber les
tensions raciales qui divisent les Etats-
Unis, conscient d’électriser ainsi sa base
électorale, composée essentiellement
de Blancs. Il n’en est pas à son coup d’es-
sai. Bien avant d’être président, il était
critiqué pour sa politique discrimina-
toire envers les Noirs comme promoteur
immobilier. Ainsi que le fait remarquer à
l’AFP Andra Gillespie, professeure asso-
ciée de sciences politiques à l’Université
Emory, la polémique actuelle prouve que

l’élection d’un premier président noir
en 2008 n’a pas été «la panacée pour
résoudre les problèmes de l’Amérique
sur la question raciale».
Baltimore est une ville à majorité
noire, avec, comme dans beaucoup
d’autres villes américaines, des quar-
tiers difficiles où violences et drogues
vont souvent de pair. D’autres munici-
palités ont été critiquées en des termes
tout aussi peu mesurés par Donald
Trump. C’est le cas de Chicago, la ville
de Barack Obama. Un Barack Obama
qui a d’ailleurs partagé sur Twitter une
opinion signée par 149 Noirs ayant tra-
vaillé dans son gouvernement, inquiets

de la rhétorique agressive du locataire
de la Maison-Blanche et de la montée du
racisme dans le pays. Lui-même a été la
cible de l’abjecte campagne du «birthe-
rism» alimentée par Donald Trump, qui
remettait en question sa naissance aux
Etats-Unis, et donc sa légitimité à exer-
cer la fonction de président.
Donald Trump ne s’est pas arrêté à Eli-
jah Cummings. Le révérend Al Sharp-
ton, activiste de la défense des droits des
Noirs, pour lequel le président a claire-
ment «une dent contre les Noirs et les
personnes de couleur», en a aussi pris
pour son grade.
Toute cette affaire n’est pas sans rap-
peler la polémique autour des «shithole
countries», ou «pays de merde», de jan-
vier 2018. Donald Trump avait évoqué
en ces termes les immigrés africains,
du Salvador et d’Haïti, accueillis aux
Etats-Unis. Un groupe africain de l’ONU

a condamné ces remarques «scanda-
leuses, racistes et xénophobes».
Mais Donald Trump sait jouer sur les
deux tableaux. Comme pour compenser
ses violentes accusations, il aime s’af-
ficher avec des personnalités noires
comme le golfeur professionnel Tiger
Woods, le boxeur Mike Tyson et le bas-
ketteur Dennis Rodman. Ou encore le
rappeur Kanye West.

Un soutien inconditionnel
au rappeur A$AP Rocky
Il a aussi publiquement pris la défense
d’un autre rappeur, A$AP Rocky, dont le
procès s’est ouvert ce mardi en Suède.
L’homme est accusé d’avoir participé à
une bagarre dans les rues de Stockholm.
Il a vécu les pires galères: un père empri-
sonné, un frère tué par balle, un séjour
dans un home pour sans-abris avec sa
mère. Il a aussi vendu de la drogue. Pas
très exactement le genre de fréquen-
tations de Donald Trump. Le soutien
inconditionnel que le président lui porte
n’en paraît que plus étonnant.
Donald Trump, qui continue à se
dépeindre comme la «personne la moins
raciste du monde», vient d’accuser la
Suède de «mépriser» le sort des Noirs
américains et a été jusqu’à dépêcher sur
place son «envoyé spécial chargé des
affaires d’otages». Mais pour l’instant,
c’est bien l’électorat noir qui est otage
de cette controverse issue de la polari-
sation extrême de la société américaine.
Et si cette polémique était finalement
à l’avantage des démocrates? En 2016,
les Afro-Américains s’étaient rendus
coupables d’une très faible participa-
tion à l’élection présidentielle. Il pour-
rait en être autrement en 2020. Sur-
tout si Donald Trump continue à les
prendre pour cible. Les démocrates l’ont
bien compris. L’indemnisation finan-
cière des descendants d’esclaves fait
désormais partie de la plupart des pro-
grammes de leurs candidats. ■

Le problème afro-américain


de Donald Trump


Donald Trump aime s’afficher avec des personnalités noires comme, ici, avec le golfeur professionnel Tiger Woods. (CLODAGH KILCOYNE/REUTERS)

ÉTATS-UNIS Pour électriser sa base
électorale blanche, le président s’en
prend à des élus afro-américains sans
craindre les accusations de racisme.
Mais, parallèlement, il sait aussi s’en-
tourer de célébrités noires

ÉRIC ALBERT, LONDRES
t @IciLondres


«L’hypothèse de travail» du gou-
vernement britannique est qu’il
n’y aura pas d’accord avec l’Union
européenne sur le Brexit. D’une
petite phrase, Michael Gove,
influent ministre de l’administra-
tion de Boris Johnson, a résumé le
radical changement d’état d’esprit
du gouvernement britannique.
Six jours après avoir pris la tête
du Royaume-Uni, le nouveau pre-
mier ministre fait tout pour mon-
trer ses muscles et se dit prêt à
aller au «no deal», une sortie sans
accord, le 31 octobre.
Alors que beaucoup pensaient
que Boris Johnson se précipite-
rait à Bruxelles pour entamer les
négociations, il n’a engagé aucun
dialogue actif avec l’UE. Boris
Johnson a brièvement parlé au
téléphone à Jean-Claude Junc-
ker, Emmanuel Macron et Angela
Merkel peu après sa prise de fonc-
tion, mais aucune rencontre bila-
térale n’est prévue pour l’instant.
«Londres ne cherche pas à nous
parler actuellement», confirme
une source à la Commission euro-
péenne.


Le premier ministre britannique
a décidé d’imposer ses pré-condi-
tions à des entrevues: les leaders
européens doivent d’abord «abo-
lir» le «backstop», ce fameux méca-
nisme qui garantit qu’il n’y aura pas
de frontière dure entre l’Irlande du
Nord et la République d’Irlande.
«S’ils ne peuvent pas faire de com-
promis, il faut qu’on se prépare au
«no deal», expliquait-il mardi.
Cette ligne dure se heurte à une
fin de non-recevoir de l’UE. «C’est
évidemment inacceptable», estime
Michel Barnier, le négociateur euro-
péen du Brexit. «Le «backstop» est
nécessaire», a renchéri mardi Leo
Varadkar, le premier ministre irlan-
dais, lors d’un appel téléphonique
avec Boris Johnson... Au passage,
il aura fallu six jours au premier
ministre britannique pour appe-
ler son homologue irlandais, qui est
pourtant le premier concerné par
le Brexit. Bref, l’impasse diploma-
tique est totale.


En revanche, les préparatifs en
vue d’un «no deal» ont été «tur-
bo-chargées», pour reprendre
le langage fleuri de Boris John-
son. Michael Gove a été nommé
ministre chargé de superviser une
sortie sans accord. Il doit présider
quotidiennement un comité de
préparatifs d’urgence avec quatre
autres collègues: Dominic Raab,
aux Affaires étrangères, Steve Bar-
clay, ministre du Brexit, Geoffrey
Cox, l’avocat général, et Sajid Javid,
le chancelier de l’Echiquier. Deux
autres comités ministériels, prési-
dés par Boris Johnson lui-même,
ont également été créés, l’un pour
superviser la sortie sans accord et
l’autre pour peser ses répercus-
sions commerciales.

«La plus grande campagne
d’information publique»
Michael Gove annonce aussi qu’il
va lancer «la plus grande cam-
pagne d’information publique
jamais organisée en temps de
paix», afin d’aider les Britanniques
et les entreprises à se préparer au
«no deal». Selon plusieurs jour-
naux britanniques, le gouverne-
ment débloque au total 1 milliard
de livres (1,1 milliard d’euros) sup-
plémentaires pour l’ensemble des
préparatifs.
Simple bluff de la part des Britan-
niques? La ligne dure adoptée par
le premier ministre est largement
relativisée par une source diploma-
tique française: «Boris Johnson a
deux fers au feu, mettre la pression
sur l’UE en pensant que certains
auront peur du «no deal» et qu’ils
céderont à la fin» et «chauffer sa
base en vue d’élections anticipées»,
quitte à «l’assouplir après». D’autant
qu’une sortie sans accord aurait des
conséquences économiques très
douloureuses pour le Royaume-Uni.
Le 18 juillet, l’Office for Budget Res-
ponsibility, l’organisme officiel de
prévision économique du gouver-
nement, avertissait qu’un tel scéna-
rio «précipiterait le Royaume-Uni
dans la récession», avec un recul du
produit intérieur brut de 2% d’ici à
fin 2020.
Conscient du problème, le gouver-
nement britannique lui-même ne
cache pas qu’il hausse le ton dans
le but de faire plier l’UE. «Nous
devons envoyer le signal le plus
clair possible pour obtenir l’accord
que nous voulons», reconnaît sur la
BBC Dominic Raab.
Reste que ce bras de fer entre
Londres et Bruxelles inquiète. Le
CBI, le patronat britannique, a
publié lundi un rapport avertis-
sant que ni l’UE ni le Royaume-Uni
ne sont prêts à un «no deal». «L’im-
pact à court terme serait violent»,
estime Carolyn Fairbairn, sa direc-
trice. La lente glissade de la livre
sterling depuis quelques semaines,
au plus bas depuis vingt-huit mois
face au dollar, indique que les inves-
tisseurs semblent inquiets. ■

ROYAUME-UNI Le premier
ministre britannique refuse de
négocier avec l’Union européenne
et se prépare à un Brexit sans
accord


Boris Johnson en route


vers le «no deal»


Le Guatemala
s’engage
à garder
des migrants
La signature d’un
accord migratoire
entre Washington
et le Guatemala,
qui devra à terme
accueillir les
migrants
cherchant à
gagner les
Etats-Unis, a
soulevé un tollé
dans ce pays
pauvre qui ne
pourra pas faire
face à la situation,
assurent les
experts.
«L’Etat du
Guatemala ne
remplit pas les
conditions pour
recevoir les
migrants: il ne
peut même pas
venir en aide aux
Guatémaltèques
eux-mêmes», a
réagi Mauro
Verzeletti,
directeur de la
Maison du
migrant, une
institution affiliée
à l’Eglise
catholique. AFP

MAIS ENCORE


CÉLINE ZÜND, ZURICH
t @celinezund


Tandis que l’agression à la gare
de Francfort continue de provo-
quer un vif émoi en Allemagne, la
police cantonale zurichoise a livré
de nouvelles informations mardi
sur l’auteur des faits. L’homme
de 40 ans, d’origine érythréenne,
était recherché en Suisse pour vio-
lences conjugales. Jeudi dernier, sa


femme avait appelé la police depuis
leur domicile à Wädenswil. Une fois
sur place, les forces de l’ordre ont
retrouvé l’épouse enfermée avec ses
trois enfants âgés de 1 à 4 ans ainsi
qu’une voisine, qui a raconté avoir
été menacée au couteau.
Les proches de l’agresseur se sont
dits surpris de son comportement,
indiquent les autorités. Arrivé en
Suisse en 2006, l’homme avait
obtenu l’asile en 2008 et possédait
depuis 2011 un permis C qui l’auto-
risait à voyager. Il passait pour un
exemple d’intégration, comme le
montre un portrait de lui dans le
rapport annuel de l’organisation
suisse d’aide au travail, repéré par

le Blick. Après avoir travaillé dans
la serrurerie puis s’être retrouvé au
chômage, il avait bénéficié de l’aide
d’une coach en intégration profes-
sionnelle, qui le décrivait comme
un homme motivé, organisé et
timide. Le père de famille avait
ainsi trouvé en 2017 un poste dans
un atelier des VBZ, l’entreprise de
transports publics zurichois, et
disait vouloir que ses enfants aient
une meilleure vie que lui.

Traitement psychiatrique
«Il fréquentait une église chré-
tienne orthodoxe et était passé
jusqu’ici inaperçu», a souligné
mardi Werner Schmid, de la police

zurichoise. Lors des perquisitions
menées lundi à son domicile, la
police a trouvé des documents indi-
quant que l’Erythréen suivait un
traitement psychiatrique – il était
en arrêt de travail depuis janvier.
Jusqu’ici, la police ne le connaissait
que pour une infraction de la cir-
culation. Elle estime qu’elle n’avait
«pas d’indice de sa dangerosité»
avant les événements de Francfort.
«Des cas de violences domes-
tiques comme celui-là, nous en
avons une dizaine chaque jour dans
le canton», a précisé le chef de la
police de sûreté Bruno Keller. L’en-
quête devra éclaircir le parcours du
fugitif entre jeudi et lundi, les rai-

sons qui l’ont conduit à Francfort et,
surtout, les motifs qui l’ont amené
à pousser une femme de 40 ans et
son fils de 8 ans sous un train, tuant
le garçon, puis à tenter de pousser
une femme de 78 ans, en vain, avant
de prendre la fuite.

Récupération politique
L’agresseur a été arrêté et placé
en détention préventive. Accusé de
meurtre et tentatives de meurtre,
il encourt la prison à vie. Cette
attaque a d’autant plus frappé les
esprits que dix jours plus tôt, un
acte similaire s’était déroulé au
nord de Düsseldorf: un homme
de 28 ans a poussé sous les voies

une femme de 34 ans, qui n’a pas
survécu. Comme à Francfort, l’au-
teur n’avait aucun lien avec sa vic-
time et ses motivations ne sont pas
connues.
Le ministre allemand de l’Inté-
rieur, Horst Seehofer, a décidé
d’interrompre ses vacances pour se
rendre à la gare de Francfort et s’en-
tretenir avec les autorités concer-
nées. Le parti d’extrême droite AfD
s’est saisi de ce fait divers pour s’en
prendre à la politique migratoire du
gouvernement allemand. En Suisse
aussi, l’UDC s’est emparée du cas
afin de réclamer un nouveau dur-
cissement de l’asile pour les Ery-
thréens. ■

Agresseur de Francfort: son parcours avant la chute


FAIT DIVERS La police cantonale
zurichoise donne des informa-
tions sur l’homme qui a poussé
une mère et son fils sous un train
lundi en Allemagne


«Londres


ne cherche pas


à nous parler


actuellement»


UNE SOURCE À LA COMMISSION
EUROPÉENNE


Donald Trump
se dépeint comme
la «personne la moins
raciste du monde»
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