Temps - 2019-07-31

(nextflipdebug2) #1

L’entreprise suisse Visilab, ses 102
enseignes et son service de vente en
ligne, qui appartient au groupe néer-
landais GrandVision, pourrait passer
dans l’escarcelle du géant mondial de
la lunetterie EssilorLuxottica.
L’acquisition doit encore obte-
nir l’aval des autorités euro-
péennes de la concurrence.
Si elle est approuvée, c’est un
tremblement de terre sur le marché
optique suisse. Il frappera particuliè-
rement les PME, qui devront faire face à
une concurrence féroce. Marc-Etienne
Berdoz, patron de Berdoz Optic – 130
employés, 22 magasins et 12 centres
d’audition – fait le point sur la nou-
velle alliance qui se dessine, sur le mar-
ché de la lunetterie, et surtout sur la
manière dont il se prépare à affronter
les manœuvres en cours.


Quelle est votre première réaction à
l’éventuelle reprise de Visilab par Essilor-
Luxottica?
Cette annonce n’est pas une
surprise. Le rachat de GrandVision, pro-
priétaire de Visilab, s’il se confirme,
est la prochaine étape dans le mou-
vement de verticalisation engagé déjà
au moment de la fusion entre Essilor
et Luxottica en 2017. GrandVision est
un candidat idéal à reprendre; l’opé-
ration sera donc pertinente. Dès 1995,
Luxottica est devenu un acteur majeur
du commerce de détail de l’optique. La
transaction était toutefois prévisible.
Par ailleurs, l’éventuelle reprise se situe
dans un contexte de réorganisation de
l’ensemble de notre industrie. Deux
autres acteurs, Kerry Eyewear et Thé-
lios, entrent d’ailleurs en force dans la
lunetterie en assurant maintenant la
fabrication et la distribution de leurs
nombreuses licences de marque autre-
fois confiées à des fabricants comme
Luxottica ou Safilo.


Que signifie l’éventuelle reprise pour le
groupe Berdoz, qui n’est qu’une PME sur le
marché suisse? La fusion des deux géants
n’est pas en elle-même une inquiétude.
Cette annonce ne modifie en rien notre
stratégie. Nous avions déjà anticipé le
changement structurel du marché et
réduit notre dépendance vis-à-vis d’Es-
silorLuxottica, qui sont respectivement
des fournisseurs de verres optiques et de
montures. Par contre il est fort probable
que ce rachat induise des changements
importants de gouvernance
chez Visilab car le nouveau pro-
priétaire aura sans doute des
attentes en termes de rentabi-
lité. Pour notre part, nous avions
déjà pris des dispositions afin d’élar-
gir nos offres à des prix plus attractifs.
Depuis 2008 déjà, nous avons également
diversifié notre activité en ajoutant une
offre audition. C’est un segment promet-
teur qui progresse de 25% cette année.

Comment faites-vous pour vous approvi-
sionner en montures et lunettes, puisque
vous vous fournissez à peine chez Essi-
lorLuxottica? Des fournisseurs suisses,
européens, mais aussi asiatiques, en
Chine, en Corée du Sud et au Japon
représentent d’autres options. Il y a
beaucoup d’hypocrisie sur cette ques-
tion: dans beaucoup de cas, la marque
est européenne, mais les produits
viennent d’Asie.

Pourriez-vous un jour tomber dans l’es-
carcelle d’un grand groupe? En 2017, Visi-
lab jurait qu’il resterait un groupe indé-
pendant... Le cas de Visilab et celui de
Berdoz Optic sont très différents. Nous
avons aussi contracté des alliances stra-
tégiques, notamment au Japon il y a
quelques années, ce qui nous a permis
de diversifier notre approvisionnement.
Ou encore avec d’autres entreprises en
Europe et en Amérique du Nord. Berdoz
reste toutefois une entreprise familiale
à 100%. C’est une garantie pour notre
indépendance. Notre ADN nous permet
une agilité pour nous adapter rapide-
ment en cas de besoin. Notre indépen-
dance est la clé de notre succès.

Comment évolue le marché des lunettes en
Suisse? Compte tenu de l’évolution démo-
graphique – une population vieillissante


  • et de notre mode de vie par rapport à
    l’usage de l’écran d’ordinateur ou de télé-
    phone portable, le marché devrait croître
    de 6 à 8% par an. Mais cette croissance est
    contrecarrée par le tourisme d’achat. Le
    marché suisse est donc sous pression, et
    stagne depuis trois-quatre ans. Le mar-
    ché romand est l’un des plus concurren-
    tiels d’Europe à la suite de l’arrivée de
    nombreux acteurs français, allemands
    mais aussi nationaux qui s’installent en
    Suisse romande.


Pourquoi vos lunettes coûtent-elles plus
cher qu’en France voisine par exemple?
Le salaire d’un opticien en France varie
entre 1500 et 1700 francs. En Suisse, c’est
entre 4500 et 5500 francs. Mais globale-
ment, le cadre n’est pas le même. Nous
sommes néanmoins extrêmement com-
pétitifs grâce aux économies réalisées
dans divers secteurs et par la numérisa-
tion de certains de nos services. Notre
atout est non seulement la proximité phy-
sique, mais aussi culturelle avec le client.
■ PROPOS RECUEILLIS PAR R. E.

Le secteur de l’optique connaît un mouvement de réorganisation qui voit les fusions et les acquisitions
se multiplier depuis quelques années. (KEYSTONE)

23%


LA HAUSSE DES VENTES DE HUAWEI. Les
pressions américaines n’ont eu qu’un effet limité
sur les ventes de smartphones du géant chinois
qui ont continué de grimper au premier semestre,
mais Huawei a reconnu mardi que les sanctions
de Washington lui ont créé «quelques ennuis».

DIDIER GUILLAUME
Ministre de l’Agriculture
et de l’Alimentation
Le ministre français a jugé
mardi «absurde» et
«débile» la menace du
président américain Donald
Trump de taxer le vin
français en rétorsion à la
taxe française sur les GAFA.

Lufthansa
dévisse
Le transporteur aérien
allemand a affiché mardi
son pessimisme après
une chute de 70%
du bénéfice net au
deuxième trimestre
sous l’effet d’une forte
concurrence en Europe.

14,

14,

14,

Action Lufthansa, en euros

Source: Bloomberg

14,

26.07.19 30.07.

CONCURRENCE FÉROCE SMI
9890,
-0,80%
l

Dollar/franc 0,9907 l
Euro/franc 1,1046 l
Euro Stoxx 50
3462,
-1,72%
l

Euro/dollar 1,1149 k
Livre st./franc 1,2049 l
FTSE 100
7646,
-0,52%
l

Baril Brent/dollar 64,18 k


Once d’or/dollar (^1419) l
«Le marché romand des lunees est très concurrentiel»
MARC-ÉTIENNE BERDOZ

DIRECTEUR DE BERDOZ OPTIC
«Berdoz reste
une entreprise
familiale à 100%.
C’est une garantie
pour notre
indépendance,
qui est la clé
de notre succès»

OPTIQUE Le géant EssilorLuxottica veut
acheter le groupe néerlandais Grand-
Vision, propriétaire de Visilab. Marc-
Etienne Berdoz, directeur de la société
du même nom, analyse les conséquences
de l’arrivée d’un grand groupe en Suisse
RAM ETWAREEA

t @ram
Philip Morris ne sera pas pré-
sent dans le Pavillon suisse à
l’Expo 2020 Dubai. La Confédéra-
tion a renoncé mardi à ce parte-
nariat encombrant «afin de ne pas
compromettre l’objectif de la pré-
sence suisse à Dubaï, qui consiste à
transmettre une image positive du
pays». Le conseiller fédéral Ignazio
Cassis a en outre demandé à Pré-
sence Suisse, l’organisme chargé
de faire la promotion du pays à
l’étranger, de réviser la politique
de sponsoring de ses activités.
La décision d’Ignazio Cassis était
attendue avec impatience. D’abord
à l’intérieur même du Département
des affaires étrangères (DFAE).
Selon nos informations, la situation
était devenue, au fil des jours, inte-
nable. De nombreux hauts cadres
ne pouvaient pas s’identifier avec la
décision de Présence Suisse de col-
laborer avec la multinationale du
tabac pour un événement de pres-
tige. «Dans aucun cas, sa présence
ne pourrait contribuer à l’exercice
de «nation branding», s’énerve l’un
d’entre eux. Nous avons exigé une
décision rapide afin de ne pas lais-
ser pourrir la situation.»
Volte-face
La pression a été également vive
du côté des organisations de lutte
contre le tabagisme. Ces dernières
avaient notamment écrit une lettre
de protestation à Ignazio Cassis.
Luciano Ruggia, chercheur à l’Ins-
titut de médecine sociale et pré-
ventive de l’Université de Berne et
futur nouveau directeur de l’Asso-
ciation suisse pour la prévention
du tabagisme (AT), ne cache pas sa
satisfaction après la volte-face de
Berne. «C’est une bonne décision,
qui était inévitable, lance-t-il. Phi-
lip Morris n’avait pas sa place dans
le pavillon suisse, ni en tant qu’ac-
teur de l’économie ni en tant qu’en-
treprise technologique et inno-
vante.»
Pour Luciano Ruggia, la contro-
verse suscitée par le sponsoring de
Philip Morris donne une belle occa-
sion de repenser la publicité, le par-
rainage et le sponsoring par l’indus-
trie du tabac. Il en sera question le
12 août lors d’une séance de la Com-
mission de la sécurité sociale et de
la santé publique du Conseil des
Etats, qui travaille sur un projet de
loi sur les produits du tabac. «Les
élus doivent proposer de nouvelles
règles compatibles avec la conven-
tion-cadre de l’Organisation mon-
diale de la santé sur la lutte contre
le tabagisme, que la Suisse a signée,
mais n’a toujours pas ratifiée»,
espère-t-il.
Pour sa part, Dominique Spru-
mont, professeur de droit à l’Uni-
versité de Neuchâtel et président de
la Commission vaudoise d’éthique
de la recherche impliquant des
êtres humains, souligne que l’in-
dustrie du tabac ne peut jouer à la
victime: «Elle récolte les fruits des
années de manipulation de l’infor-
mation.» A Lausanne, Karin Zür-
cher, responsable de secteur au
sein d’Unisanté, le centre de méde-
cine générale et de santé publique,
va dans le même sens: «La stratégie
actuelle de PMI, orientée, avec ses
produits prétendument à risque
réduit, ni change rien. Force est
de constater que cela ne marche
pas avec tous, du moins pas avec
le conseiller fédéral Cassis.»
Pression médiatique
Dans un communiqué de presse
publié mardi, le chef des Affaires
étrangères explique sa décision
aussi par la pression médiatique,
qui est allée en s’amplifiant depuis
l’éclatement de l’affaire il y a une
dizaine de jours. Ignazio Cassis
affirme qu’il n’avait pas encore pris
de décision définitive à propos du
sponsoring par Philip Morris, ajou-
tant qu’il ne disposait pas encore
de toutes les informations par rap-
port à cette participation. «Après
examen du dossier, il a décidé que
le partenariat ne pouvait pas être
poursuivi», laisse comprendre le
communiqué.
En réalité, l’accord entre Pré-
sence Suisse et Philip Morris était
déjà arrêté. Les logos de tous les
sponsors apparaissent déjà sur
des documents officiels. Il était
entendu que le cigarettier serait
présent au salon du pavillon suisse,
où il proposerait des produits sans
fumée Iqos. En tant que spon-
sor principal, il devait débourser
1,8 million de francs.
La décision annoncée mardi par
Berne a clairement déplu à Phi-
lip Morris. Dans un communiqué
publié aussitôt, la multinationale
s’en prend «aux militants et [aux]
organismes qui leur mettent des
bâtons dans les roues et qui pré-
tendent vouloir mettre fin au fait
de fumer, mais qui ne semblent
pas intéressés à parler de science
dûment documentée et justifiée,
d’innovation ou de meilleures alter-
natives pour les fumeurs». ■
Berne renonce au sponsoring de Philip Morris
POLÉMIQUE Le conseiller fédéral Ignazio Cassis a annulé mardi la collaboration entre la multinationale du tabac et Présence Suisse
dans le cadre de l’Expo 2020 Dubai. Les pressions de toutes parts expliquent le revirement. Le cigarettier réagit
IGNAZIO CASSIS
CHEF
DU DÉPARTEMENT
FÉDÉRAL
DES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES
«Après examen,
le DFAE a décidé
que le partenariat
ne pouvait pas
être poursuivi»

INTERVIEW
MERCREDI 31 JUILLET 2019 LE TEMPS


Economie&Finance

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