10 l’Humanité Mardi 6 août 2019
Société&Solidarités
Une femme de 29 ans a été abattue dimanche
soir à Marignane (Bouches-du-Rhône).
Son ex-compagnon, âgé de 32 ans, a été
placé en garde à vue peu après. C’est le
84 e féminicide depuis le début de l’année.
FÉMINICIDE À MARIGNANE
2
C’est le nombre de satellites de
télécommunications qu’Ariane 5 doit lancer
ce soir depuis sa base de Kourou (Guyane),
pour son troisième tir de l’année.
S
ept cent treize contraventions
ont été dressées pour harcè-
lement de rue depuis que
cette infraction a été recon-
nue, il y a un an, dans la loi
Schiappa contre les violences
faites aux femmes. Un bilan
brandi par le gouvernement mais qui cache
la forêt d’un phénomène encore massif et
peu sanctionné.
Depuis un an, le harcèlement de rue est
sanctionné par la loi. Quel bilan dressez-
vous de cette législation?
AGNÈS VOLAND Le secrétariat d’État chargé
de l’égalité homme-femme avance le chiffre
de 713 contraventions pour outrage sexiste
en un an. C’est une bonne nouvelle parce
que cela veut dire que des policiers et des
juridictions ont pris en compte cette nou-
velle infraction. Mais ce chiffre ne doit
tromper personne. Selon le ministère, une
grande partie de ces contraventions font
suite à un flagrant délit. Mais il n’y a pas
un policier derrière chaque auteur d’agres-
sion sexiste. Le chiffre n’est donc pas repré-
sentatif de l’ampleur du phénomène. Dans
les faits, les comportements sexistes dans
les espaces publics restent très répandus
et largement impunis.
Est-ce que créer une sanction pénale était
la bonne réponse?
AGNÈS VOLAND Créer une sanction pénale,
c’est déjà désigner une action comme nui-
sible à la société. Prononcer une peine pour
des faits de harcèlement de rue, c’est à la
fois pour sanctionner, intimider les poten-
tiels auteurs et éduquer la société. Cela a
une réelle portée symbolique. Mais on ne
peut pas se contenter de cette approche
pénale. La peur de la sanction ne suffit pas.
Il faut aborder le problème dans sa globalité.
Il aurait été bien plus efficace d’adopter une
vraie loi-cadre avec des objectifs en termes
de sensibilisation, de prévention, et surtout
de formation des personnes en contact avec
les victimes. Sur la question des violences
faites aux femmes, nous sommes en France
face à un paradoxe : nous disposons d’un
arsenal pénal assez conséquent, mais il n’est
pas appliqué. Les juridictions ne s’en sai-
sissent pas forcément, les victimes ne
connaissent pas leurs droits et les faire
reconnaître relève encore du parcours du
combattant. Il n’est quand
même pas normal qu’au-
jourd’hui des femmes se
fassent encore refouler de
commissariats pour des faits
encore bien plus graves que
des outrages sexistes!
Est-ce que l’existence de la
sanction n’a pas quand même
une vertu pédagogique?
AGNÈS VOLAND Il y a d’abord un effet sym-
bolique car la France est un des premiers
pays à s’attaquer à ce phénomène des
agressions sexistes dans la rue. La loi a
aussi sans doute eu pour effet d’accélérer
la libération de la parole des femmes et
de les aider à nommer comme inaccep-
table ce qu’on leur avait appris à a accep-
ter comme normal. Mais pour que l’effet
pédagogique fonctionne, il faut aussi
déconstruire certains dis-
cours. Après #MeToo, on a
entendu que désormais
« sourire à une femme dans
la rue serait considéré
comme du harcèlement », et
qu’on allait perdre la
« drague à la française ». Ce
genre de discours est insup-
portable et entretient la
confusion. Il faut être très
clair, harceler et séduire, ce n’est pas la
même chose.
Pensez-vous que plus doit être fait en ma-
tière d’éducation?
AGNÈS VOLAND Il y a un énorme manque sur
l’éducation à l’égalité sexuelle à l’école.
Pourtant, tant qu’on n’éduque pas les jeunes
au consentement, qu’ils sont toujours
bombardés de représentations sexistes
dans les médias, les films, la publicité ou
la politique, ça va être difficile d’avancer.
Mais quand nous intervenons dans des
lycées, c’est toujours à la demande de pro-
fesseurs déjà investis sur le sujet. Il y a un
manque d’engagement de l’institution sur
la lutte contre le sexisme et cela crée des
inégalités. C’est pareil pour les cours d’édu-
cation sexuelle. En principe, ils devraient
permettre d’évoquer la question du consen-
tement, de l’égalité, de la sexualité. Mais,
dans les faits, sauf si l’enseignant est en-
gagé, ce sont de simples cours sur la repro-
duction. C’est quand même fou qu’il y ait
encore des polémiques pour savoir si le
clitoris doit être représenté dans les livres
scolaires et que le gouvernement renvoie
la responsabilité de cette question aux
éditeurs. On est en 2019 quand même!
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR
CAMILLE BAUER
Pour le premier anniversaire de la loi Schiappa sur les violences contre les femmes, Agnès Voland, de l’association Stop
harcèlement de rue, dresse un bilan des progrès et des pistes sous-explorées de lutte contre des discriminations de genre.
« Mieux former les personnes
en contact avec les victimes »
SEXISME
« Dans les faits, les comportements sexistes dans les espaces publics restent très répandus et largement impunis. » L. Hazgui/Divergence
« Tant qu’on
n’é d u q u e p a s
les jeunes au
consentement,
ça sera difficile
d’avancer. »