C
es deux albums peuvent
paraître très différents. On y
retrouve pourtant une préoc-
cupation commune : l’écolo-
gie, la nature...
JEAN-MARC ROCHETTE C’est ma
fibre écologiste : la protection
de la nature, la place de l’homme au sein
de celle-ci. Dans le Loup, je traite de l’inte-
raction entre le loup et l’homme, alors que,
dans Extinctions, l’homme provoque
la destruction totale de l’humanité...
Plus de trois décennies après, vous revenez
avec un nouvel opus du Transperceneige
pour expliquer comment l’homme
a pu détruire la planète au point de la
rendre quasi inhabitable. Au menu :
écoterrorisme, terre surpeuplée, apocalypse
climatique... Des thèmes qui font écho
à la réalité.
JEAN-MARC ROCHETTE J’ai toujours été inté-
ressé par ces questions. En 1977,
je me suis engagé dans la lutte anti-
nucléaire, j’ai participé à la manifestation
de Creys-Malville (contre le projet de
centrale nucléaire de Superphénix, près
de Morestel, dans l’Isère. Les affrontements
avec les forces de l’ordre avaient fait un
mort parmi les manifestants – NDLR). Je
m’en étais pris plein la gueule... Quand
j’ai fait le Transperceneige, c’était une
façon cynique de dire « on va tous crever ».
Aujourd’hui, je ne milite
plus mais suis toujours
intéressé par la question.
J’ai beaucoup de compas-
sion pour la nature, beau-
coup moins pour l’homme,
qui est responsable de sa
destruction. On ne peut pas
ponctionner éternellement
la terre. On a déjà perdu
60 % des animaux sauvages
en moins de quinze ans. Je suis pour une
décroissance radicale, pour un mode de
vie plus simple. J’aimerais vivre dans ma
vallée en autarcie. Mais si on continue sur
cette lancée, on est cuit!
Extinctions débute par
ces propos : « La terre
est ravagée par un mal
incurable : l’humanité. » Vous
évoquez un écoterrorisme
extrême...
JEAN-MARC ROCHETTE Pour
la première scène d’ Extinc-
tions, alors qu’un type abat
l’un des derniers éléphants
et son petit, il est lui-même condamné
et exécuté par les wrathers. J’avais
imaginé quelque chose de beaucoup plus
dur. Matz a trouvé que c’était trop, alors
on a retravaillé la séquence. Mais ce genre
de chose n’est pas inenvisageable!
Je pense que l’écoterrorisme est à notre
porte. L’écologie a été politique, reven-
dicative, et évolue aujourd’hui avec des
mouvements comme Extinction Rebellion.
Mais je suis persuadé qu’à terme, si ces
formes ne rencontrent pas d’audience
alors qu’il y a urgence, des anarchistes
radicaux finiront par taper dans le tas!
Ce ne sont pas trois pancartes qui
vont faire changer les choses. Quand on
voit Bolsonaro qui veut découper l’Ama-
zonie, le peu de poumon qui reste... Ce
n’est pas du tout théorique. Les orangs-
outans et gorilles sont massacrés en
silence. On gueule un peu, mais ça
continue... Au niveau de la masse, je suis
très pessimiste.
Tout cela fait écho à l’actualité?
JEAN-MARC ROCHETTE Ce qui s’est passé avec
les gilets jaunes est effrayant. Cela pose
la question de cette démocratie. Une telle
répression, tout le monde aurait dû se
lever. Même chez les artistes, on s’est
couché. 25 personnes ont perdu un œil.
À cause de cela, j’ai une piètre opinion
de l’avenir. D’une certaine façon, je milite
en faisant mes bouquins. Les prochains
volets montreront comment une civilisation
pas brillante se délite. Ce n’est pas positif.
Peut-être y aura-t-il un sursaut...
Avec le Loup , vous signez un récit de
montagne digne des grands romans épiques
dans la tradition de Moby Dick , où l’homme
affronte la bête. Et vous mettez la montagne
au cœur de l’album, vous lui octroyez le
premier rôle...
JEAN-MARC ROCHETTE C’est une histoire vraie.
Dans la vallée où j’habite, un jour, un berger
m’a raconté une attaque de loup subie par
son troupeau. Il m’a décrit les blessures, les
moutons agonisants, les cadavres en train
de pourrir, l’odeur... J’ai eu envie de mettre
en scène cette confrontation, ce duel entre
l’homme et l’animal dans les sommets. On
peut y voir un parallèle entre nature-
agriculture et pastoralisme-culture.
Mais vous ne prenez pas parti...
JEAN-MARC ROCHETTE Ici, dans l’Oisans, le
pastoralisme est devenu un enjeu de société,
le loup un sujet de préoccupation majeure.
Moi, j’en ai fait une légende. Un vieux
berger d’à côté de chez moi a acheté
l’album, pour voir si j’étais un ami ou un
ennemi. « Bien », m’a-t-il répondu. Il l’a
sans doute accepté parce que j’apporte une
dimension un peu légendaire à l’histoire.
Et que j’ai représenté la souffrance du
berger. Il aurait sans doute voulu que le
loup prenne une grosse cartouche. Mais si
je faisais ça, il n’y a plus d’histoire. Peut-
être est-ce finalement cet aspect-là que
j’ai voulu transmettre : la place de l’homme
dans la nature, à la fois grand et tout petit
face à elle et à la montagne.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR
ALEXANDRA CHAIGNON
Le Loup , de Jean-Marc Rochette, 112 pages,
Casterman, 2019.
Transperceneige , Extinctions , tome 1, de
Jean-Marc Rochette et Matz, Casterman, 2019.
18 l’Humanité Mardi 6 août 2019
Les séries d’été de l’Humanité LA BD SE MET AU VERT 2/
Dols
DEMAIN :Philippe Squarzoni : « En
faisant ce livre, j’ai découvert l’ampleur du
phénomène de réchauffement climatique. »
« Je suis pour
une décroissance
radicale, pour
un mode de
vie plus simple. »
Entre Extinctions, qui explore
un scénario d’effondrement
climatique, préquel noir de la
saga culte du Transperceneige
(BD écrite avec Jacques Lob
en 1984), et le Loup, véritable
duel au sommet entre le canidé
et l’homme, Jean-Marc Rochette
met la nature et l’écologie
au cœur du récit. Entretien.
Jean-Marc Rochette « J’ai de la compassion
pour la nature, moins pour l’homme »