Humanite - 2019-08-06

(singke) #1
20 l’Humanité Mardi 6 août 2019

Les séries d’été de l’Humanité LANCEURS D’ALERTE EN 1939 12/

«


C

e n’est pas par amour de la poésie
que le nazisme fabrique des mythes.

Ces mythes sont des instruments poli-

tiques », explique Georges Politzer
dans la brochure Révolution et
contre-révolution au XXe siècle pu-
bliée clandestinement en février
1941 (1). Une formule qui caractérise, dans ce texte, la
méthode de la propagande d’Hitler selon laquelle « il ne

faut pas élever la masse par une propagande qui l’éclaire »,

mais « l’influencer en se servant des faiblesses engendrées

et savamment entretenues en elle par le capitalisme », sou-

ligne le philosophe. Autrement dit, comme pour vanter
n’importe quelle marque de « nouveau savon » lancé sur

le marché, par l’affirmation « sans scrupule » de « n’importe

quoi » pourvu que soit acquise l’adhésion subjective et
passionnelle de l’auditeur à l’énonciateur et à ses prises

de position unilatérales. Une « leçon » mise en œuvre avec

un aplomb sans faille par l’ensemble de l’arc de l’extrême

droite contemporaine, de Donald Trump à Jair Bolsonaro,

en passant par Matteo Salvini, Viktor Orban, Geert Wilders

et Marine Le Pen. Une « leçon sur la leçon » de Politzer dont

la valeur reste plus actuelle que jamais.
Né en 1903 sujet de l’Empire austro-hongrois, Georges
Politzer s’engage précocement. Issu d’une famille de la
bourgeoisie juive de Hongrie, il a 15 ans en 1918 quand il

adhère au Parti communiste. L’Empire disloqué, il participe

à la défense de la République des Conseils, dirigée par Béla

Kun, contre les troupes du dictateur Miklos Horthy, admi-

rateur de Mussolini et initiateur des premières lois antisémites

de l’entre-deux-guerres. À 17 ans, il part s’installer à Paris,

non sans avoir fait un passage à Vienne afin d’assister aux
séminaires de Freud et de Ferenczi.
Inscrit à la Sorbonne, où il rencontre Pierre Morhange,

Henri Lefebvre et Norbert Guterman, il enseigne au lycée

de Moulins, dans l’Allier, avant d’obtenir l’agrégation de

philosophie, en 1926, et d’être nommé professeur de

l’enseignement secondaire, emploi qu’il occupera jusqu’en

1939 (2). Militant en tant que syndicaliste enseignant, il

adhère au Parti communiste français en 1929 et participe

à la Revue marxiste avec Pierre Morhange, Georges Fried-

mann et Paul Nizan.
Ardemment impliqué dans les actions culturelles du
PCF dans les années 1930 – enseignement militant,

journalisme, documentation... –, il sera mobilisé en 1939

dans l’intendance à l’École militaire. Entré dans la clan-

destinité, il est, avec Jacques Solomon et Jacques Decour,

à l’origine de la Résistance universitaire et intellectuelle

communiste, en lançant dès l’automne 1940 le périodique

clandestin l’Université libre, puis en février 1941 la Pensée

libre, explique le Maitron (3).

« La propagande marxiste n’a jamais reculé devant l’immen-

sité de la tâche qui consiste à porter, non seulement l’économie

politique marxiste, mais encore le matérialisme dialectique
devant les ouvriers des villes, comme devant les paysans,
devant le métallurgiste parisien, comme devant le coolie
chinois. Car le but de la propagande marxiste est d’éclairer
et d’élever les masses en vue de leur libération », explique

Georges Politzer : « Tout (son) effort a tendu à apprendre aux

masses les plus larges à déceler, derrière les phrases de toute

sorte, les intérêts de classe de la bourgeoisie, afin de les mettre

à l’abri, en politique, de la tromperie et de l’illusion » (1).
Arrêté avec sa seconde femme, Marie – dite Maïe –, le
15 février 1942, par la brigade spéciale de la préfecture de
police de Paris, Georges Politzer fut remis aux autorités

allemandes le 20 mars 1942. Le philosophe cité par le général

de Gaulle en octobre 1943 parmi « les plus grands » qui

sauvèrent « la dignité de l’esprit » sera fusillé comme otage,

le 23 mai 1942 dans la forteresse du Mont-Valérien. Marie
Politzer, partie de Romainville le 23 janvier 1943 pour la
Pologne, mourut du typhus à Auschwitz, le 6 mars 1943.
Dans la sixième partie du poème Brocéliande de la Diane
française, Louis Aragon rendra un hommage appuyé au
résistant communiste « aux cheveux roux », assassiné à
l’âge de 39 ans, « mort pour la France ». « Dans le Crime

contre l’esprit, paru en 1943 puis repris dans l’Homme
communiste », précise le Maitron, « il consacra plusieurs
pages à Georges Politzer », qui passa trois mois enchaîné
et torturé, « du début de mars au 23 mai précisément ».
« Pierre Villon (4) se fit aussi l’écho des tortures subies par
Politzer », souligne la notice du Dictionnaire biographique
du mouvement ouvrier : « Arrêtés, tous deux », Georges et

Maïe « ont eu une attitude héroïque devant leurs bourreaux,

ils n’ont cédé ni aux tortures physiques, ni aux menaces, ni
aux offres déshonorantes de récompense ».
JÉRÔME SKALSKI

(1) Révolution et contre-révolution au XXe siècle in Politzer contre
le nazisme, textes clandestins, présentés par Roger Bourderon
avec un avant-propos de Claude Mazauric, Éditions sociales,
Messidor, 1984.
(2) Voir Roger Bruyeron, les Trois Vies de Georges Politzer,
Flammarion, 2013.
(3) http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr, notice Politzer Georges
par Nicole Racine.
(4) Pseudonyme de Roger Ginsburger, membre fondateur
du Conseil national de la Résistance.

Engagé contre le fascisme au lendemain
de la Première Guerre mondiale,
le théoricien marxiste d’origine hongroise
« mort pour la France » fut fusillé comme
otage, le 23 mai 1942 au Mont-Valérien.

Georges

Politzer

Philosophe

de combat

DEMAIN Ernest Hemingway, du tocsin au glas.

Georges Politzer avec sa seconde femme, Marie. Le 15 février 1942, ils furent arrêtés par la brigade spéciale
de la préfecture de police de Paris. Mémoire d ’Humanité/ Archives départementales de la Seine-Saint-Denis
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