Sports Mardi 6 août 2019SUD OUEST
Propos recueillis par
Emmanuel Commissaire
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B
runo Derrien n’est pas dogma-
tique. En 2010, l’ancien arbitre
international avait écrit un livre,
« SOS arbitre, SOS vidéo », dans lequel
il se montrait plutôt favorable à ce
qu’on appelle aujourd’hui l’assis-
tance vidéo à l’arbitrage (VAR). Mais à
l’usage, sa réflexion a évolué, et il n’est
pas seul dans ce cas. Il juge sur pièce.
Une marque d’intelligence. Et d’ob-
jectivité.
« Sud Ouest » Auriez-vous aimé
arbitrer à l’époque de la VAR?
Bruno Derrien Oui et non. Oui,
parce que cela m’aurait évité de
faire deux énormes erreurs dans
ma carrière, dont une à Bordeaux.
C’était en septembre 2005 contre
Lyon. Cris avait détourné le ballon
du poing sur un centre de Jean-
Claude Darcheville pour Marouane
Chamakh. Il avait la main collée au
crâne et, en fin de compte, il avait
détourné le ballon non pas de la
tête, mais du poing. Il y avait donc
un penalty évident pour les Borde-
lais, qui m’avait échappé. Il y avait eu
deux autres mains de Tiago dans
ce match, que j’avais bien vues,
mais qui étaient pour moi totale-
ment involontaires. La main était
collée au corps. On avait même dit
que j’avais plus arbitré un match
de handball que de foot (rires). En
l’occurrence, la vidéo m’aurait ai-
dé à prendre la bonne décision.
L’autre cas, c’était lors d’une ren-
contre de Coupe de la Ligue entre
Marseille et Lens à Caen sur terrain
neutre. On avait refusé un tir au
but au cinquième tireur mar-
seillais, Eric Roy, alors que sa frappe,
après avoir tapé sur la barre, avait
rebondi à l’intérieur du but. Là, ça
concerne plus la goal line techno-
logy. Si elle avait existé, ça m’aurait
évité d’être un peu cloué au pilori.
Et pourquoi non?
Parce qu’en même temps, j’ai l’im-
pression que ça déresponsabilise
complètement l’arbitre central. Par
exemple, il y a eu beaucoup de
hors-jeu qui ont été sanctionnés et
des buts refusés pour des hors-jeu
extrêmement ric-rac, où l’on sem-
blait être sur la même ligne, ou à
quelques centimètres. Ça m’a un
petit peu heurté. Ça déresponsabi-
lise les arbitres assistants. On cons-
tate qu’ils ne lèvent plus leurs dra-
peaux. Ils doivent attendre la fin de
l’action. Je suis un peu surpris. Dans
certains cas, la VAR évite des erreurs
manifestes. Dans d’autres cas, ça ra-
joute de la polémique à la polémi-
que.
Maintenant qu’ils ne sont plus les
seuls à prendre la décision, les arbitres
de champ sont-ils moins stressés et,
de ce fait, arbitrent-ils mieux?
C’est vrai que le climat autour de
l’arbitre sur le terrain a tendance,
je trouve, à s’améliorer. Même s’il y
a encore des contestations, il y a
une meilleure acceptation de la dé-
cision quand il y a eu utilisation de
la vidéo. Quelque part, l’image dis-
culpe un petit peu l’arbitre. Plus un
arbitre dirige un match dans un cli-
mat de sérénité, de respect mutuel,
meilleur il sera.
Un exemple d’intervention, ou de
non-intervention, de la VAR qui vous
a marqué la saison passée?
La faute sur Valère Germain lors
d’un Nîmes - Marseille. Il a été cein-
turé clairement dans la surface.
L’arbitre central a été interpellé par
l’arbitre vidéo, mais le penalty n’a
pas été sifflé. Il y a eu un problème
de communication, un couac. Au
bout d’un an, la période de rodage
se termine. On peut espérer qu’on
a tiré les enseignements de ce qui
marchait et de ce qui fonctionnait
moins.
Les arbitres vidéo s’installeront en
cours de saison dans un centre de vi-
sionnage unique, à Paris. En quoi est-
ce une amélioration?
(Sourire) Il vaudrait mieux que le
lieu soit tenu secret, sinon, il y aura
peut-être des manifestations de
supporters.
La main de Presnel Kimpembe con-
tre Manchester United signalée par
la VAR a été un tournant dans la sai-
son du PSG. Indépendamment des
conséquences, y avait-il penalty?
L’arbitre était Damir Skomina. Ma-
nifestement, sa décision n’a pas dû
heurter les instances de l’UEFA,
puisqu’il a arbitré ensuite la finale
de la Ligue des champions. Le
constat que je peux faire, c’est que
dès que l’arbitre central est inter-
pellé par l’arbitre vidéo pour une
main d’un défenseur et qu’il va vé-
rifier l’écran de contrôle, à 95 %, à
98 % je dirais même, il siffle penal-
ty. Regardez ce qui s’est passé en fi-
nale de Coupe du monde (à 1-1,
main du Croate Ivan Perisic sur cor-
ner français, NDLR).
Risque-t-il cette saison d’y avoir
beaucoup de penalties à retirer?
Voire même tous, si on veut appli-
quer la règle à la lettre (lire ci-des-
sous) et, encore une fois, prendre
une décision au centimètre près.
À notre époque - je ne dis pas que
c’est mieux -, il y avait l’acceptable,
quand ça se joue à peu de choses,
et l’inacceptable.
Après une saison de VAR en Ligue 1,
quel sentiment prédomine?
Je suis dubitatif.
Une suggestion?
Comme c’était précisé à l’origine
de l’opération, se cantonner aux si-
tuations de jeu où l’arbitre a com-
mis une erreur manifeste.
ARBITRAGE Inaugurée la saison dernière en Ligue 1, l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) n’a pas mis fin
à toutes les polémiques, loin de là. L’ancien arbitre international Bruno Derrien donne son point de vue
« Je suis dubitatif »
FOOTBALL LIGUE 1
Bruno Derrien lors de Bordeaux - Lyon en septembre 2005. ARCHIVES JEAN-JACQUES SAUBI
Nouvelle saison, nouvelles règles.
La Ligue 1 reprend ses droits vendre-
di et ses acteurs vont devoir vite ap-
préhender les changements dans
l’arbitrage. Voici les principales mo-
difications introduites en mars par
l’International Board (Ifab), garant
des règles du jeu dans le football, et
qui entrent en application au coup
d’envoi de la saison 2019-2020.
Mains sifflées
L’arbitre sifflera désormais toute
faute de main d’un joueur qui mar-
quera ou se créera une occasion de
but, même si elle n’est pas volon-
taire. Il sanctionnera aussi d’un
coup franc (ou d’un penalty) un
joueur qui touchera le ballon du
bras ou de la main après avoir aug-
menté « artificiellement » la sur-
face de son corps, ou quand le con-
tact interviendra au-dessus de ses
épaules. En revanche, le jeu se pour-
suivra si le ballon touche le bras ou
la main d’un joueur juste après que
celui-ci l’a touché par une autre par-
tie du corps (tête, corps, pied).
Même chose si le ballon vient d’être
touché par un coéquipier ou un ad-
versaire se trouvant à proximité.
« Murs » défensifs
L’équipe qui attaque n’a plus le
droit de venir gêner le « mur » dé-
fensif érigé par son adversaire sur
un coup franc. Dans les faits, les at-
taquants doivent se trouver au
moins à un mètre de distance du
mur. Dans le cas contraire, l’arbitre
accordera à la défense un coup
franc indirect. La perturbation oc-
casionnée par les attaquants allait
à l’encontre de « l’esprit du jeu », se-
lon l’Ifab.
Avertissements
Sur le banc de touche, un membre
de l’encadrement technique (en-
traîneur adjoint, médecin, etc.)
pourra être sanctionné d’un carton
jaune ou rouge en cas de mauvais
comportement. Si le coupable n’est
pas identifié, l’avertissement sera
adressé à l’entraîneur principal.
Un joueur marque, écope d’un
carton jaune pour l’avoir célébré en
enlevant son maillot, mais le but
est invalidé? Peu importe, le car-
ton est maintenu. L’Ifab estime que
« l’impact » du geste, en matière de
« sécurité et d’image », est le même
quoi qu’il arrive.
Gardiens et penaltys
L’obligation faite au gardien d’avoir
les deux pieds sur la ligne de but,
au moment où un adversaire tire
un penalty, disparaît. Il ne doit plus
avoir qu’un seul pied sur la ligne.
Les gardiens qui frappent les po-
teaux, la barre transversale ou font
trembler les filets pour intimider
un attaquant vont par ailleurs de-
voir changer leurs habitudes. En
tout cas, l’arbitre n’autorisera pas le
tireur à tenter sa chance tant que
les montants ou les filets bouge-
ront...
Sorties express
Un joueur qui doit céder sa place
devra dorénavant quitter le terrain
par le chemin le plus court, à
moins que l’arbitre ne lui indique le
contraire (pour une question de sé-
curité, par exemple). L’Ifab entend
ainsi mettre un terme aux rempla-
cements qui s’éternisent, surtout
de la part d’équipes menant au
score et qui souhaitent gagner un
peu de temps.
Coups de pied arrêtés :
des nouveautés
Plusieurs modifications ont été ap-
portées concernant les coups de
pied arrêtés. Ainsi, un gardien ou
un défenseur qui tire un « six-mè-
tres » peut passer la balle à un par-
tenaire qui se trouve à l’intérieur de
sa propre surface. Les adversaires
doivent se trouver en dehors.
Quand un arbitre s’apprête à déli-
vrer un carton à un joueur, l’équipe
en face peut tirer le coup franc ra-
pidement (sauf si l’équipe fautive
est en discussion avec l’arbitre).
L’avertissement sera distribué lors
du prochain arrêt de jeu.
Autre changement : la pratique
des « balles à terre », jusqu’à pré-
sent utilisée après l’arrêt du jeu par
un arbitre, va disparaître au profit
de coups de pied arrêtés. Le ballon
reviendra désormais au gardien si le
ballon se trouve dans sa surface au
moment du coup de sifflet ou, s’il
se trouve en dehors, à l’équipe qui
en avait alors la possession.
Quelles sont les nouvelles règles?
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