Temps - 2019-08-06

(Jacob Rumans) #1
LE TEMPS MARDI 6 AOÛT 2019

12 Culture


ANTOINE DUPLAN
t @duplantoine

Dans l’arène géante de la place
du Marché de Vevey, la magnifi-
cence chamarrée de la Fête des
Vignerons s’impose comme une
évidence, une germination spon-
tanée de talents, catalysée par un
metteur en scène visionnaire. La
magie du spectacle est toutefois
issue de longues années d’un tra-
vail assidu au cours desquelles,
pour concilier le poids de la tra-
dition et les ailes de l’innovation,
il a fallu remettre mille fois l’ou-
vrage sur le métier.
«Combien d’heures de travail
dans le vide? Combien de poèmes
et de partitions abandonnés?»
s’interroge le librettiste. Blaise
Hofmannn n’est pas un auteur de
fiction. Il a les pieds bien sur terre,
que ce soit la plèbe vaudoise ou le
sable des déserts. Récit de voyage
( Marquises ) ou enquête sur un
souvenir ( Capucine ), ses livres
s’ancrent dans le réel. Les poèmes
qu’il a composés pour la Fête des
Vignerons 2019 ne procèdent pas
d’intuitions sublimes, mais s’en-
racinent dans l’humus des ren-
contres et du savoir-faire viticole.
Nommé en 2015 comme co-libret-
tiste de la grande célébration des
travaux de la vigne, l’écrivain de
Reverolle a consigné les jours et
les peines qu’ont nécessités les
réjouissances veveysannes. La
Fête est à la fois un journal de
bord, un récit picaresque, un
roman d’initiation, une chronique
du pays de Vaud, un traité histo-
rique...

Grillade et chasselas
Avec une précision d’actuaire et
une rigueur de documentaliste,
l’auteur recense les événements
survenus entre un e-mail de la
Confrérie des Vignerons en date
du 14 mai 2014 et le grandiose son
et lumière de l’été 2019. Il remonte
le temps, évoque, chiffres à l’ap-
pui, les Fêtes de jadis, retrace les
annales du  Ranz des vaches ou
rapporte les propos désobligeants
de Dostoïevski sur les Suisses. Fils
de vigneron, et vigneron lui-
même depuis l’année passée,
Blaise Hofmann mêle ses souve-
nirs personnels à ceux des
anciens. Portraitiste au regard
pointu, c’est avec tendresse et
parfois une touche d’ironie qu’il
évoque une parade de person-
nages colorés, l’Abbé-Président,

les Confrères, le directeur exécu-
tif, des vignerons, des armaillis,
des artisans, des copains...
Doté d’un vif sens de la convivia-
lité, Blaise Hofmann réunit chez
lui autour d’une grillade les créa-
teurs de la Fête de 1999 (le metteur
en scène François Rochaix, le
librettiste François Debluë, le
compositeur Michel Hostettler)
et ceux d’aujourd’hui (le libret-
tiste Stéphane Blok, les composi-
teurs Jérôme Berney et Valentin
Villard), histoire de jeter des pas-
serelles entre les générations en
buvant un verre de chasselas.
La Fête de 2019 ne s’est pas tou-
jours élaborée dans l’amour et la
joie. Avec franchise, Blaise Hof-
mann détaille les tensions qui se
sont fait sentir parmi les auteurs.
C’est un problème à trois corps
qu’ont dû résoudre le commandi-
taire (la Confrérie des Vignerons),

le maître d’œuvre (Daniele Finzi
Pasca) et le clan des auteurs et
compositeurs. Les rêveries les
plus folles achoppent sur des
questions budgétaires. Il s’avère
difficile de travailler avec un feu
follet comme Daniele, qui monte
un spectacle en Uruguay pendant
que poètes et musiciens creusent
leur sillon sur la Riviera léma-
nique...
Les quatre Vaudois, Hofmann,
Blok, Berney et Villard, se sentent
parfois bien seuls face au metteur
en scène tessinois et à ses collabo-
rateurs de longue date, dont la
compositrice principale, Maria
Bonzanigo. Une crise éclate en


  1. Blaise Hofmann a envie de
    tout laisser tomber, de recouvrer
    son indépendance. «Mais la Fête
    est trop importante pour moi. Inti-
    mement, elle réconcilie mon ori-
    gine terrienne et mon métier
    d’écrivain, [...] elle réalise ce vieux
    rêve de rassembler deux cultures
    antagonistes: l’art et le folklore.» Il
    met de l’eau dans son vin. Il accepte
    son statut de tâcheron et l’humble
    grandeur que cela implique. Sous
    le ciel de Vevey, le mot de la fin lui
    appartient: «Dans notre cœur, le
    chant de la terre.» ■


La Fête. De Blaise Hofmann. Zoé, 272 p.

La Fête des Vignerons

racontée de l’intérieur

LIVRE Blaise Hofmann, librettiste
de la célébration veveysanne,
raconte à la première personne
quatre années de recherches, de
rencontres, d’écritures et de réé-
critures, de moments de joie et de
découragement dans «La Fête».
Une chronique passionnante

SYLVIE BONIER
t @SylvieBonier


Sa discrétion et sa courtoisie n’ont
d’égales que son obstination et sa néces-
sité de servir. Serge Schmidt peut
s’enorgueillir d’avoir initié il y a une
décennie les Variations musicales de
Tannay, aujourd’hui considérées
comme un des rendez-vous classiques
reconnus de Suisse romande.
L’homme ne fait que s’en réjouir, plu-
tôt que de s’en féliciter. Car le directeur
artistique ne saurait reprendre à son
compte le succès du festival aoûtien.
C’est «une affaire d’équipe, de ren-
contres et d’amitiés tissées au fil du
temps», déclare le septuagénaire à la
fine silhouette et aux cheveux blancs.


Un sillage vertueux
On le croit.Il cite constamment sa col-
laboratrice Françoise de Courten et les
bénévoles «sans qui rien ne se ferait».
Aucun nom n’apparaît d’ailleurs sur le
programme. Voilà qui signale l’esprit
du responsable. Mais on sait que sans
lui, sa persévérance et son amour de la
musique, son talent de communicateur


et son plaisir d’être utile à la commu-
nauté, la réussite aurait été moins écla-
tante.
D’où lui vient cette sérénité à l’heure
des célébrations? D’abord, d’une
volonté profonde: donner du bonheur
aux autres et les entraîner dans un sil-
lage vertueux. Voilà qui est fait. Et bien

fait. Tenir les rênes de la commune de
Tannay depuis dix ans, après en avoir
été membre du Conseil municipal de
nombreuses années, s’inscrit déjà dans
ce besoin d’utilité.
Si l’attention aux autres est son karma,
c’est aussi grâce à sa formation dans la
théologie et à son ancien métier de jour-
naliste radio et télé. Les questions exis-
tentielles qu’il se pose adolescent, et
dont il espère une réponse du côté de la

foi, ne trouvent pas d’issue satisfaisante.
C’est en interrogeant les êtres humains
qu’il reçoit le plus de retours. La
musique, elle, fait le lien.

L’odeur du pain
On peut même dire que, pour Serge
Schmidt, elle agit comme une sorte de
levure de l’âme. Dans la commune d’Es-
tavayer, où il adore aller aux concerts de
Noël de la Collégiale et à ceux des Jeu-
nesses musicales, le petit Serge travaille
sur le piano du boulanger, dont la bou-
tique se trouve sous l’appartement.
«Comme nous n’avions pas de piano à
la maison, j’allais répéter chez lui. L’odeur
du pain est intimement liée à l’instru-
ment, pour moi. C’est un lien intime et
heureux, une sorte de madeleine de
Proust.» On comprend qu’il n’ait jamais
vraiment arrêté. Comment se passer d’un
tel parfum?
Le journalisme le titille tôt: «Vers 8 ans,
j’écrivais des petits journaux à la main,
que je vendais 20  centimes à mes
copains.» Il fait donc ses études avant
d’arriver à la Feuille d’avis de Neuchâtel.
Là, c’est l’odeur d’encre de la typogra-
phie... Puis la radio le happe. Là encore,
une histoire proustienne.
«Radio Sottens était une véritable com-
pagnie à l’époque. Je suis très reconnais-
sant aux ondes romandes de m’avoir
ouvert à la musique et au théâtre, notam-
ment. C’était alors un formidable outil
d’éducation et de culture. Quand j’y suis
entré, au Service international, j’étais très
ému.» Dix ans plus tard, l’écran l’appelle.
Il y explore différents services avant
Temps présent avec Claude Torracinta.
Quand l’heure de la retraite sonne, la
liberté s’annonce. Pour l’habiter, retour
aux sources: civisme et musique seront
ses compagnons de jeu. Intimement lié
au château de Tannay, où il loue un
appartement depuis plus de 25 ans,
Serge Schmidt veut l’animer de notes.
Tout commence par trois petits jours
sur un week-end, avec Alexandre Tha-
raud en locomotive. Aujourd’hui, les
Variations ont triplé de volume avec une
programmation diversifiée à découvrir
avec gourmandise. Une belle histoire. ■

Serge Schmidt, l’homme


des Variations musicales


FESTIVAL L’ancien journaliste a créé
les Variations musicales de Tannay il y
a dix ans. Il revient sur une aventure qui
a gagné ses galons grâce à la conviction,
à l’amour des notes et à celui des autres


A Tannay, le festival initié par Serge Schmidt est «une affaire d’équipe, de rencontres et d’amitiés tissées au fil du temps». (OLIVIER VOGELSANG POUR LE TEMPS)


Variations
musicales
de Tannay
Du 16 au 29 août.
Renseignements:
http://www.musicales-
tannay.ch

À DÉCOUVRIR

C’est avec

tendresse et

parfois une touche

d’ironie que Blaise

Hofmann évoque

une parade

de personnages

colorés

Pionnier du «cinéma-vérité»
américain, D. A. Pennebaker est mort

Don Allan Pennebaker avait réalisé plusieurs films documen-
taires sur des musiciens mythiques des années 1960 et 1970. Il
est décédé le 1er août dernier dans sa maison de Long Island,
à l’âge de 94 ans. En 1967, il sort Don’t Look Back, souvent cité
parmi les meilleurs documentaires de tous les temps, qui suit
les coulisses de la tournée britannique de Bob Dylan en 1965.
Concernant son style et le «cinéma-vérité», il expliquait dans
une interview au New York Times en 2007 que les meilleurs
documentaires étaient selon lui ceux où la présence du
réalisateur se sent le moins. Fidèle à ce principe, il tourne en
1968 Monterey Pop, consacré au festival du même nom qui
annonce la vague «Flower Power» aux Etats-Unis et montre
des prestations scéniques restées dans les annales, notam-
ment de Janis Joplin et Jimi Hendrix. Suivront des films sur
David Bowie ( Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, en
1973), et Depeche Mode ( Depeche Mode 101 , en 1989). En 1993,
The War Room suit l’équipe de campagne de Bill Clinton
pendant la présidentielle américaine. LT

EN BREF

«Je suis très

reconnaissant

aux ondes romandes

de m’avoir ouvert

à la musique

et au théâtre»
SERGE SCHMIDT

En neuf jours, douze rendez-vous occupent l’affiche, entre noms fidèles
et nouveaux. Parmi ces derniers, la marimbiste Adélaïde Ferrière ouvrira
les feux baguettes aux mains, dans un programme surprenant. Les pianistes
Kit Armstrong et Alexei Volodine apparaîtront eux aussi pour la première
fois avec la toute jeune pousse Laetitia Exertier, âgée de seulement 12 ans.
Au rang de la transversalité, la Noche Cubana de l’ensemble Siga Volandon
déviera vers la salsa alors que les grands classiques passeront par les retours
de Renaud et Gautier Capuçon, Edgar et Jérémie Moreau ou Khatia et
Gvantsa Buniatishvili. Ces artistes frères ou sœurs composent une famille
musicale soudée et variée sur laquelle le flûtiste Emmanuel Pahud régnera
en «fils unique», avec l’OCL pour l’accompagner. ■ S. BO.


L’affiche des 10 ans


PROGRAMME

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