Temps - 2019-08-06

(Jacob Rumans) #1
MARDI 6 AOÛT 2019 LE TEMPS

Culture 13

VALÉRIE DE GRAFFENRIED, NEW YORK
t @VdeGraffenried

Un centre culturel futuriste au
cœur d’un tout nouveau quartier
de Manhattan. Niché au sein de
Hudson Yards, un projet immobi-
lier ambitieux qui a coûté près de
25 milliards de dollars, The Shed
(le hangar) détonne. Le bâtiment
n’est pas un musée ni une salle de
spectacles comme les autres. Ce
qui fait sa particularité, c’est que
la structure, mouvante, a la faculté
de s’adapter aux ambitions artis-
tiques, grâce à un système de
coque coulissante. The Shed, c’est
finalement une sorte de centre
caméléon, qui vient s’ajouter à l’in-
croyable offre culturelle de la
Grande Pomme.

Une coque de 3600 tonnes
Situé dans le Bloomberg Building
de Hudson Yards, The Shed a été
dessiné par le bureau d’architecte
s Diller Scofidio + Renfro – à l’ori-
gine notamment de la Highline,
balade très prisée des touristes –,
avec la collaboration du Rockwell
Group. Il a été inauguré en avril
2019 et, depuis, sa fréquentation
ne faiblit pas. Sa construction, qui
a duré quatre ans, a coûté près de
500 millions de dollars. Le milliar-
daire Michael Bloomberg, ancien
maire de New York, y a contribué
à hauteur d’environ 80 millions.
The Shed s’étend sur huit étages,
dont deux sont consacrés aux
expositions et un au Griffin Thea-
ter (500 places). Danse classique,
hip-hop, théâtre, littérature,
médias digitaux, ou encore expo-
sitions de sculptures et peintures:
l’offre sera grande et originale. Des
œuvres d’art de toutes les disci-
plines pour tous les publics, résu-
ment ses promoteurs. Une sorte
de «couteau suisse culturel». La
chanteuse Björk a été l’une des
premières artistes à y donner un
concert. Sa superficie? 18 500 m2.
Une espèce de coque extérieure
en verre et acier qui pèse 3600
tonnes peut glisser latéralement
le long de rails pour créer une nou-
velle salle couverte, le McCourt

(1250 places assises et 2000
debout; 1600 m2), et doubler, en
cinq minutes seulement, l’espace
disponible. A côté du bâtiment
audacieux qui ressemble à une
immense boîte d’allumettes mate-
lassée se trouve un autre ovni du
nouveau quartier: le Vessel. Une
immense structure couleur rouille
clinquante composée de plusieurs
escaliers (2500 marches sur 15
étages) que peuvent gravir les
curieux.

«Tout en muscles»
Le New York Times ne tarit pas
d’éloges à l’égard du nouveau
centre culturel, «l’une des plus
importantes contributions au pay-

sage culturel de New York depuis
des décennies», qui va obliger les
autres institutions culturelles à se
réinventer. Contactée, l’architecte
Elizabeth Diller a sa propre défi-
nition de son bâtiment interdisci-
plinaire et adaptable. «Je le vois
comme une infrastructure archi-
tecturale tout en muscles et sans
graisse, qui répond aux besoins des
artistes en perpétuelle évolution.»
Elle ajoute: «Nous voulions faire
un bâtiment flexible avec un carac-
tère architectural fort. Un bâti-
ment si souple et polyvalent qu’il
puisse s’adapter à un avenir encore
inimaginable. Si flexible que
même sa superficie peut être
modifiée. Comme l’art existe dans

toutes les tailles, pourquoi
devrions-nous nous engager à
construire un bâtiment de taille
fixe? New York n’avait pas d’entité
culturelle à la fois grande et petite,
intérieure et extérieure.»
Derrière The Shed, il y a aussi un
Suisse: Hans-Ulrich Obrist, histo-
rien d’art, commissaire d’exposi-
tions et surtout directeur artis-
tique des Serpentine Galleries à
Londres. Il est le principal conseil-
ler du directeur artistique de The
Shed, Alex Poots, avec lequel il
collabore depuis des années. Le
duo fait des étincelles dans le
monde de l’art.
«Alex Poots est à l’origine du Fes-
tival interdisciplinaire de

Manchester, avec des projets qui
ne pouvaient pas se produire dans
un simple musée ou dans un
opéra», rappelle Hans-Ulrich
Obrist. «C’était au début des
années 2000, quand les perfor-
mances live, comme les sculptures
vivantes, ont commencé à prendre
de l’importance dans le milieu de
l’art. Il fallait donc réfléchir à un
autre  format pour des projets
interdisciplinaires, avec des
artistes qui travaillaient aussi sur
le temps et pas uniquement par
rapport à l’espace. C’est ce qu’a fait
Alex, dès 2006, avec son festival,
qui se déroulait tous les deux ans.
Avec le projet de The Shed, j’ai tout
de suite été d’accord de poursuivre
l’aventure avec lui et de travailler
dans ce même esprit.»

La structure veut rester
accessible à tous
Hans-Ulrich cite en exemple Il
Tempo del Postino (2007), une com-
mande un peu dingue du Festival
de Manchester à laquelle il a par-
ticipé. Un spectacle ni vraiment
opéra, ni théâtre, ni cabaret. Mais
un peu de tout à la fois, où sopranos,
zombies, violonistes et marion-
nettes pouvaient se côtoyer. «La
création a notamment été produite
dans le cadre de Art Basel. On peut
dire que ce spectacle, qui regrou-
pait 300 personnes, est un peu
l’esquisse du concept que nous
développons au Shed. Car il a
démontré la nécessité d’avoir une
nouvelle institution capable d’ac-
cueillir ce genre de projets.»
Le Shed propose certes un grand
éventail d’offres, mais peut-il vrai-
ment viser un public large alors
qu’il est situé dans un quartier
élitiste avec des appartements
plutôt luxueux? C’est bien le but,
insiste Hans-Ulrich Obrist. Non
seulement les artistes locaux
émergents, qui ont besoin de sou-
tien, auront accès au Shed, mais
le centre devrait aussi rester
accessible à des classes sociales
défavorisées. «Certains pro-
grammes resteront gratuits»,
relève le Suisse. La révolution The
Shed a de multiples facettes. ■

The Shed, inauguré en avril dernier, a coûté près de 500 millions de dollars. Sa structure mobile permet de créer un nouvel espace en 5 minutes. (IWAN BAAN)

Un temple culturel futuriste pour New York


ARTS Centre pluridisciplinaire, The Shed est capable de doubler sa capacité grâce à une coque en verre coulissante. L’historien d’art


et commissaire d’exposition suisse Hans-Ulrich Obrist y est associé


ALEXANDRE DEMIDOFF
t @alexandredmdff


Il avait la nostalgie de l’avenir. C’était son
expression. Sa devise. Sa façon de ne
jamais se retourner sur ses pas. Roland
Deville s’est éteint un 1er août, à 83 ans.
Jusqu’au bout, il a rêvé de la scène comme
d’un terrain de jeu, raconte son fils Blaise
Deville. Il était l’homme-décor du théâtre
romand, au service de ses amis metteurs
en scène, André Steiger, Hervé Loichemol,
Jean-Louis Hourdin, Simone Audemars
ces dernières années.
Roland Deville était le grand architecte de
nos nuits de fiction. Son art? Une ingéniosité
qui lui permettait de suggérer un palais sur
une scène aux allures de chapelle. Une
inventivité qui le faisait exceller, comme
costumier ou décorateur, dans tous les
genres, à l’opéra comme au cinéma – pour
le cinéaste et romancier José Giovanni.


La poigne d’un aventurier
Combien d’écrins imaginés par ses soins
en un demi-siècle d’illuminations gra-
phiques, en Alsace d’abord dans les années
1960, en Suisse romande à partir des


années 1970? Quatre cents peut-être.
Roland Deville ne comptait pas. Il ne gar-
dait aucune trace de ses œuvres, confie
son fils. Il aimait user ses mines chez lui,
dans une pièce atelier, parce qu’il ne pou-
vait pas travailler sans sa famille à proxi-
mité. Son épouse était son premier juge
d’ailleurs: c’est elle qui avait la primeur de
ses inventions, comme il l’a raconté à
Patrick Ferla dans un film de la série Plans
Fixes.
Roland Deville promenait ces dernières
années une bonhomie de chanoine. C’était
un trompe-l’œil qui dissimulait des bles-
sures anciennes. Une enfance pauvre
pendant la guerre, dans les faubourgs de
Paris. L’envie de tracer sa voie à tout prix
qui le conduit à s’associer à des bandes
d’aventuriers. Deux séjours brefs en pri-
son suivent, confie-t-il à Patrick Ferla. A
20 ans, il est envoyé en Algérie, dans l’ar-
mée française. Des camarades sont fau-
chés sous ses yeux.

Le théâtre est une planche de salut
comme une autre. De retour en métropole,
il se retrouve à Strasbourg, où rayonne la
Comédie de l’Est. Il a peu lu, ne dessine
pas, ne connaît rien à la scène. Il va se
prendre de passion pour les machineries,
les trappes, les étoffes qui font de Molière
un frère d’échauffourées vespérales.

Le ballet des formes
On l’imagine bourru, obstiné, anar char-
meur à la façon de Léo Ferré, avide de
pensées détonantes. Il trouve un maître
et un ami en la personne d’André Steiger.
C’est ce dernier qui l’ancre à Genève.
Désormais, sa signature honorera toutes
les enseignes romandes, Vidy, la Comédie,
le Théâtre de Carouge, etc. Son moteur?
L’impatience d’un nouveau mirage, d’une
fable qui emporte, d’un ballet de formes
qui libère une émotion.
Dans son atelier, la télévision était tou-
jours allumée, se souvient Blaise Deville.
Il aimait l’énergie du poste, les chevau-
chées des paladins de la petite reine pen-
dant le Tour de France, les mêlées du
rugby, les romances de trois sous.
Quand Patrick Ferla lui demande quelles
étaient ses aspirations à la sortie d’une
jeunesse chamboulée, il répondait: «Etre
moi.» Il l’a été avec l’humilité des insa-
tiables, porté par la nostalgie de l’avenir.
Vite, encore une cavalcade. ■

HOMMAGE L’artiste franco-suisse a
marqué des générations à travers
quelque 400 décors, en Suisse romande
principalement


Roland Deville, maître du mirage théâtral,

s’est éteint à l’âge de 83 ans

«Nous voulions

faire un bâtiment

si souple

et polyvalent qu’il

puisse s’adapter

à un avenir encore

inimaginable»
ELIZABETH DILLER, ARCHITECTE

ROLAND DEVILLE
DÉCORATEUR ET COSTUMIER

GRÉGOIRE BAUR
t @GregBaur

Sion vibrera au rythme de la musique
irlandaise cette semaine. Le Guinness Irish
Festival prend ses quartiers, de mercredi à
samedi, au Domaine des Iles, pour célébrer
son quart de siècle. Depuis sa naissance en
1994 dans la station de Veysonnaz, la mani-
festation consacrée à la musique celtique a
mué, au point de devenir l’une des plus
importantes en Europe.
François Praz, son président, se souvient
de la première édition: «c’était plus une fête
entre amis, à la bonne franquette». Quelque
350 personnes y avaient pris part sur deux
jours. Un souvenir qui est à des années-lu-
mière de ce qu’est devenu le festival. Gravis-
sant les échelons petit à petit, la manifesta-
tion déménage à deux reprises pour
finalement poser ses valises, il y a 15 ans, au
Domaine des Iles à Sion. Un cadre enchan-
teur, au bord de l’eau, qui lui permet d’ac-
cueillir près de 20 000 festivaliers.
Cette année, l’édition anniversaire retra-
cera ces 25 ans d’histoire à travers une pro-
grammation spéciale. «L’idée était d’inviter,
à nouveau, des groupes qui ont marqué

notre festival, tout en faisant la part belle
aux groupes en devenir», explique François
Praz. Séparés depuis dix ans, les Valaisans
de Glen of Guinness ont reformé le groupe
pour un concert unique, en ouverture du
festival. Les Français de Manau ou l’Espa-
gnol Carlos Núñez seront aussi de la partie.

The Chieftains, cerise sur le gâteau
Mais s’il fallait ne retenir qu’un coup de
cœur, François Praz choisirait les Irlandais
de The Chieains, qui célèbrent leurs 57 ans
de carrière. «C’est la cerise sur le gâteau,
souligne-t-il. Ce sont les ambassadeurs de
la musique celtique, ils l’ont relancée à tra-
vers le monde.» La surprise est d’autant plus
belle que c’est le groupe lui-même qui a
contacté le festival. «C’est un honneur et une
chance de les avoir», glisse François Praz.
L’amour du président du festival pour la
musique celtique est né lors d’un voyage en
Irlande avec des amis dans les années 1990.
Ils y rencontrent un groupe nommé Sin’é,
qu’ils invitent en Suisse pour se produire,
notamment dans des pubs, durant les
hivers 1992-1993 et 1993-1994. C’est là que
naît l’idée d’un open air dédié à la musique
celtique. Vingt-cinq ans plus tard, pour le
plus grand bonheur de François Praz, «l’his-
toire dure et perdure». ■

Guinness Irish Festival , Domaine des Iles, Sion, 7
au 10 août 2019.

SION Le Guinness Irish Festival souffle
ses 25 bougies. Au fil des ans, la mani-
festation de musique celtique est deve-
nue l’une des plus importantes d’Europe

Le Valais, terre d’accueil

pour la musique celtique
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