Temps - 2019-08-06

(Jacob Rumans) #1
LE TEMPS MARDI 6 AOÛT 2019

16

N


oémie, 24  ans, et Julien,
27 ans, nous expliquent leur
vœu de chasteté: une pra-
tique encouragée par leur
entourage chrétien, mais sou-
vent incomprise des autres à
l’heure de Tinder. Mariés
depuis deux ans, lotis entre
quelques reliefs gruériens et
désormais parents d’un petit
garçon, ils évoquent avec
recul les enjeux de cette décision et ce
qu’elle leur a apporté.

Julien: Noémie et moi, on s’est rencontrés
il y a cinq ans. J’avais 22 ans, elle 19. Pour
comprendre notre histoire d’amour, il
faut savoir que celle-ci est née à travers
la religion; on est tous les deux chrétiens
et engagés dans une église. Cette foi, elle
a toujours occupé une place centrale dans
ma vie. Mes parents sont chrétiens, j’ai
grandi dans ce cadre, on allait à l’église
ensemble, en famille. Le gros déclic pour
moi s’est fait dans le cadre des scouts des
Flambeaux de l’Evangile, des scouts
confessionnels. En 2014, on a organisé le
camp des 50 ans des Flambeaux. Noémie
faisait partie d’une des sections: on s’est
rencontrés et... on ne s’est plus jamais
quittés.

Noémie: En ce qui me concerne, je n’ai pas
du tout grandi dans une famille chré-
tienne. On n’a jamais été à l’église en
famille, même à Noël. En revanche, j’ai
commencé les Flambeaux à 8 ans. Il y
avait toujours une petite partie de l’après-
midi, pendant les rencontres, où les chefs
parlaient de Dieu. Quand j’ai eu 13 ans,
un déclic s’est produit au niveau de ma
foi personnelle et j’ai commencé à me
rendre régulièrement au groupe de
jeunes d’une Eglise évangélique. J’avais
déjà eu plusieurs petites histoires de
cœur, puis vécu une relation doulou-
reuse, pas vraiment en accord avec mes

valeurs. Je me suis beaucoup remise en
question. C’est à ce moment-là que j’ai
décidé de vivre en accord avec le plan que
Dieu avait pour moi.

J: A l’époque, je n’avais jamais eu de
copine, mais je pense que c’était surtout
à cause de ma timidité. Je suis de nature
très réservée: plus jeune, dès que je
devais exprimer ce que je ressentais,
j’étais bloqué. Les valeurs chrétiennes,
et notamment la chasteté, qui vous
encourage à ne pas avoir de relations
sexuelles avant le mariage, me parlaient.
J’avais envie de les vivre. C’était impor-
tant pour moi de trouver quelqu’un qui
veuille partager cela...

N: Au tout début de notre relation, Julien
m’a demandé directement quelles
étaient mes attentes. On a échangé
autour de ce que l’on avait vécu, chacun
de notre côté, pour ne pas avoir de
secrets. Comme j’avais eu d’autres his-
toires, j’avais peur qu’il me rejette. Cer-
tains chrétiens exigent que tu sois
«pure» pour ton mari. Mais pas du tout,
heureusement. Toi, tu m’as dit que
c’était du passé.

J: Clairement: l’important, c’est la façon
dont tu te positionnes par rapport à ce
que tu as vécu, et si tu es prête à aller sur
le même chemin que moi. Ce qui compte,
c’est ce qui est devant.

N: Voilà. C’est là qu’on a compris qu’on
partageait la même vision de la religion,
qu’on avait envie d’intégrer Dieu à tous
les étages de nos vies. Il nous a semblé
très vite évident que sa parole, la Bible,
aurait donc un impact sur notre sexua-
lité. Or, notre compréhension et notre
interprétation du texte, c’est de vivre la
sexualité dans le cadre du mariage uni-
quement. Alors... on ne va pas se mentir:
on est des êtres humains, on éprouve du

désir et, bien sûr, il y a eu des moments,
quand on était tous les deux, qui n’étaient
pas faciles.

J: Mais on s’était fixé cette limite. A partir
du moment où on s’était «choisis», on
savait qu’elle serait temporaire. C’est un
peu comme... préparer un beau gâteau,
savoir qu’on ne peut pas le goûter tout de
suite et, en même temps, avoir envie de
le manger. C’est un choix, mais il n’enlève
rien au désir ni aux sentiments.

N: Exactement, ce n’est pas parce que tu
attends de manger le gâteau qu’il va deve-
nir sec. Au contraire!

J: A partir du moment où on a commencé
à en parler autour de nous, la réaction de
nos entourages respectifs a été très inté-
ressante: si on n’a pas eu à se justifier
auprès de nos familles, d’autres cercles
ont exigé des réponses. C’est drôle de voir

que ce qui paraît «normal» au sein des
scouts de l’Eglise, à savoir la chasteté,
dont on parle ouvertement, peut vrai-
ment être stigmatisé ailleurs.

N: On a eu tous les cas de figure...

J: Par exemple, dans ma classe, des garçons
qui ne partageaient pas les mêmes idées
que moi se sont posé beaucoup de ques-
tions. Ils voulaient vraiment comprendre.
D’autres se moquaient, me traitaient de
chrétien coincé, disaient que j’étais vieux

Noémie et Julien ont décidé d’attendre

le mariage pour avoir des rapports

sexuels. Deux ans après, ils racontent

comment ils ont vécu ce choix

PROPOS RECUEILLIS PAR MARION POLICE t @marion_

«La chasteté,

oui, j’avais

envie

de la vivre»

«Il faut briser le mythe selon

lequel «parce que tu attends,

ce sera incroyable»: c’est

une image, un cliché que certains

chrétiens véhiculent. C’est faux.»

L’AMOUR EN SUISSE (2/5)
Free download pdf