Temps - 2019-08-06

(Jacob Rumans) #1
MARDI 6 AOÛT 2019 LE TEMPS

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jeu [...]. Ça donne toujours lieu à des débats.
C’est sûr que ce n’est pas la norme par rap-
port à ce qui est véhiculé aujourd’hui à
travers les médias, la mode ou les films, la
sexualité est omniprésente. Si tu es une
minorité là au milieu, tu intrigues. Toutes
ces conversations m’ont amené à me
remettre en question. Il m’est arrivé de me
demander si ça valait vraiment la peine, si
ça changeait quelque chose... J’ai toujours
fini par retomber sur cette conclusion:
«Oui, j’ai envie de le vivre.»


N: Il est vrai aussi qu’il y a des gens très
croyants qui ne sont pas favorables à la
chasteté. Et clairement, dans la Bible, il n’y
a pas de verset qui dise «pas de sexe avant
le mariage». Ce sont en fait plusieurs pas-
sages qui tendent vers ce message...


J: Comme souvent, cela se joue entre ce
qui est écrit et l’interprétation qu’en ont
les gens. Dans chaque communauté, tu


établis un standard. Dans notre Eglise,
on prône plutôt de ne pas avoir de rap-
ports sexuels avant le mariage, mais c’est
une valeur qu’on transmet, pas une
condition.

N: Absolument, on n’imaginerait pas, au
sein de notre communauté religieuse,
rejeter qui que ce soit à cause de sa sexua-
lité. La chasteté doit être vraiment plus
difficile à vivre si ce n’est pas ton propre
choix, si tu le fais pour l’Eglise ou pour
faire plaisir à quelqu’un. On n’a pas à por-
ter de jugement sur les choix ou les par-
cours des autres.

J: J’ai entendu des histoires de toutes
sortes, dont celles de gens qui ont bien
essayé, mais n’ont pas réussi à rester
chastes jusqu’au bout. Ça ne change rien
au fait qu’aujourd’hui ils sont mariés et
heureux. Tu as des valeurs, tu as ton envie,
tu n’as peut-être pas réussi, mais tu gardes

cette vision-là. Il y a tellement de para-
mètres. Tellement de questions à se poser
pour bien le vivre. Comment tu te sens,
est-ce que ce sont tes propres convictions
qui te poussent, ou bien des convictions
qu’on t’a transmises, voire imposées, mais
que tu ne t’es pas appropriées?

N: Il faut savoir pourquoi on le fait. Moi,
je ne regrette pas une seconde. Je trouve
qu’attendre le mariage pour avoir un rap-
port sexuel change complètement la
donne. On a été deux ans et demi
ensemble avant de se marier, et c’est dif-
férent d’évoluer en essayant d’apprendre
à connaître l’autre sans attente sexuelle...

J: Ce qu’à titre personnel, je trouve cool,
c’est surtout de découvrir comment la
sexualité se passe avec la personne avec
laquelle tu as choisi de rester quoi qu’il
arrive. Tu peux le voir dans des films, etc.,
mais de le vivre, vraiment, c’est beau. Il y

en a qui diront qu’ils ont envie d’essayer
avec plein de gens... A l’heure où tout le
monde est sur Tinder ou d’autres applica-
tions de rencontres, l’idée me plaît de ne
pas chercher à comparer, de ne pas courir
après la meilleure personne ou le meilleur
contexte pour une «première fois».

N: Par contre, il faut briser le mythe selon
lequel «parce que tu attends, ce sera
incroyable»: c’est une image, un cliché que
certains chrétiens véhiculent. C’est faux.

J: Quand on s’est réveillés le matin après
notre première fois, on était heureux
ensemble, tout simplement. Pour ma
part, j’étais fier d’avoir tenu jusque-là.

N: On se sentait juste bien dans les bras
l’un de l’autre. Au-delà de la tendresse, ce
moment a confirmé que faire l’amour, c’est
cool, mais que ce n’est pas central dans
notre couple.

J: Oui, c’est une facette de notre relation
mais elle ne fait pas tout.  Finalement, je
dirais que l’enjeu n’est peut-être pas l’acte
sexuel, mais comment tu considères
l’autre. Je m’en suis rendu compte, aussi,
en entamant les procédures pour le
mariage. S’impliquer, aller devant des
officiels, changer de nom. C’est une
échéance impressionnante. Si je suis prêt
à faire tout ça pour m’engager pour l’autre
personne, ce n’est pas juste que je veux
partager du sexe avec elle. C’est tout le
reste aussi. Un autre aspect important
pour nous, d’ailleurs, c’était d’avoir ce
cadre du mariage à partir du moment où
avoir un enfant entrait dans le champ des
possibles. Dès le moment où tu as des
relations sexuelles, il existe des moyens
contraceptifs mais le risque d’une gros-
sesse est toujours présent. Attendre de
se marier pour avoir une vie sexuelle,
c’est aussi éviter des situations compli-
quées de ce point de vue là. On était très
conscients du fait qu’on pouvait avoir un
bébé dès lors qu’on consommait notre
union, et qu’on ne le refuserait pas s’il
arrivait.

N: Attention, je ne suis pas contre l’avor-
tement. Je pense que, dans certaines cir-
constances, il peut se justifier. Mais on
avait envie d’avoir des enfants en étant
mariés , parce qu’on pensait que c’était
mieux pour eux. On vit dans une société
qui favorise les naissances dans le cadre
familial, au niveau du nom, des assu-
rances, des droits, etc. Finalement, d’un
point de vue pragmatique, ne pas avoir de
relation sexuelle avant le mariage garantit
aussi cette sécurité. Mais au final, pour
nous, la chasteté c’était surtout: apprendre
à se connaître différemment et inclure
Dieu dans chaque recoin. C’était notre
choix, il n’engage que nous. ■

Demain: Comment vivre un amour...
depuis la prison

UNE AFFAIRE DE VERTU

L’église ICF (International Christian
Fellowship – qui, sans y être attachée,
prône une doctrine semblable à celle
de l’Eglise évangélique), dont Noémie
et Julien font partie, prône la chaste-
té en tant «qu’art de gérer ses désirs
sexuels», et s’abstenir de tout acte
sexuel avant le mariage en constitue
une dimension. Cette conception
permet de rappeler que la chasteté,
souvent pensée comme règle morale,
a plus à voir avec une forme de vertu
qui pourrait s’appliquer en dehors
du cadre religieux. Une vertu exprimée
en ces termes par Xavier Thévenoz,
grande figure de la théologie morale:
«Une disposition intérieure qui conduit
une personne à réguler sa sexualité
de façon libérante pour soi et pour
les autres.» Le moine Bénédictin
Enzo Bianchi, sollicité par le site
d’actualités spirituelles Aleteia,
conclut à ce sujet que la chasteté
consisterait à «ne jamais traiter l’autre
comme un objet». ■

(KIM ROSELIER POUR LE TEMPS)
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