Le Monde - 03.08.2019

(ff) #1

10 |économie & entreprise SAMEDI 3 AOÛT 2019


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En Algérie, la filière automobile est fragilisée


Les arrestations d’hommes d’affaires et d’anciens ministres soulèvent des questions sur l’avenir du secteur


alger - correspondance

I


l ne nous reste plus que
deux modèles. » Le vendeur
hausse les épaules face aux
clients déçus. Dans le
showroom Hyundai, à Alger, l’acti-
vité tourne au ralenti. Sur une voi-
ture noire, un autocollant « made
in bladi » (« fabriqué dans mon
pays ») rappelle la promesse d’une
filière automobile qui devait se dé-
velopper en Algérie. Ce salon d’ex-
position, le plus grand de la mar-
que en Afrique, équipé de douze
bureaux de commandes, de gui-
chets de banques pour obtenir un
prêt plus rapidement, et même
d’une aire de jeux pour enfants,
avait été inauguré en grande
pompe, en mars 2018, par Mahied-
dine Tahkout, patron du groupe
TMC, qui inclut, entre autres, la fi-
liale commerciale de vente des vé-
hicules Hyundai et une filiale d’as-
semblage de la même marque.
Aujourd’hui, l’aire de jeux est fer-
mée, les employés sont plus nom-
breux que les clients et Mahied-
dine Tahkout est en détention
provisoire dans le cadre d’une en-
quête pour corruption.
Trois autres grands patrons de
la filière automobile ont été in-
carcérés depuis le début de « l’opé-
ration mains propres », annon-
cée en avril par le chef d’état-ma-
jor Ahmed Gaïd Salah, alors
confronté à un mouvement de
contestation populaire sans pré-
cédent : Mourad Oulmi, PDG de
Sovac, Hassan Arbaoui, à la tête de
Global Group, et Ahmed Mazouz,
responsable de GM Trade.

« Une immense escroquerie »
Soupçonnant des malversations,
la justice algérienne a également
placé en détention provisoire les
deux anciens premiers ministres
Ahmed Ouyahia (2017-2019) et
Abdelmalek Sellal (2012-2014),
l’ancien ministre de l’industrie et
des mines (2017-2019), Youcef
Yousfi, et son prédécesseur Ma-
hdjoub Bedda (2017). Ce dernier
est accusé d’« octroi d’avantages
indus aux propriétaires de sociétés
de montage de véhicules ».
Au cours du quatrième mandat
d’Abdelaziz Bouteflika, l’automo-
bile était devenue le projet indus-

triel en vogue. Après l’ouverture
de l’usine Renault à Oran en no-
vembre 2014, plus d’une dizaine
de projets de chaînes de montage
ont été autorisés par le ministre
de l’industrie de l’époque, Abde-
slam Bouchouareb. Cinq usines
ont été créées pour les véhicules
de tourisme, cinq autres sont en
attente de la dernière autorisa-
tion officielle, et une dizaine
d’usines sont chargées de pro-
duire des véhicules industriels.
En 2017, 110 000 véhicules de tou-
risme sont sortis des lignes de
montage. « C’est une immense es-
croquerie, déplore pourtant l’éco-
nomiste Mourad Goumiri. Cer-
tains modèles étaient importés
sans les roues et on se contentait
de les fixer pour dire que les véhicu-
les étaient assemblés en Algérie. »
Selon une note du ministère de
l’industrie, la capacité de produc-
tion envisagée est de 530 000 vé-
hicules par an à horizon 2023.
Le système CKD (Complete
Knock Down)-SKD (Semi Knock
Down), mode de production
choisi par les autorités algérien-
nes, avait pour objectif de faire
baisser les coûts d’importation
des véhicules, au moment où les
prix du baril de pétrole chutaient
et les revenus de l’Etat avec. Basé
sur l’importation de kits prémon-
tés puis assemblés et boulonnés
dans les usines algériennes, le
CKD-SKD a eu l’effet inverse : la
facture est montée en flèche.
Au mois de mai 2019, les doua-
nes alertent : en quatre mois, l’Al-
gérie a importé 1,2 milliard de dol-
lars de kits CKD-SKD (1,08 mil-
liard d’euros). Le ministre des fi-
nances annonce des mesures
« pour réduire le déficit de la ba-
lance des paiements et préserver
les réserves de change ». Les quo-

tas d’importation attribués aux
constructeurs sont réévalués. Ré-
sultat, à Sétif, l’usine de montage
du groupe d’Ahmed Mazouz est à
l’arrêt faute de pièces. 1 200 con-
teneurs sont bloqués au port d’Al-
ger. Mi-juillet, les employés sont
licenciés, à peine plus d’un an
après l’ouverture de l’usine.
Dans d’autres entreprises, les vé-
hicules vendus n’arrivent pas.
« Cela fait sept mois que j’attends le
véhicule que j’ai payé, soupire Ka-
rima, 32 ans. Les vendeurs n’ont
aucune explication à me donner.
Chaque mois, ils me disent de reve-
nir le mois prochain. » L’associa-
tion de protection des consomma-
teurs s’est inquiétée d’une aug-
mentation du prix des véhicules.
L’impact est aussi important
sur les sous-traitants et sur la
dynamique générale au sein de la
filière. Comme la politique de dé-

veloppement des chaînes de
montage est celle de responsables
gouvernementaux désormais in-
carcérés et régulièrement quali-
fiés de « bande » par Ahmed Gaïd
Salah, dirigeant de fait du pays de-
puis la démission forcée d’Abdela-
ziz Bouteflika début avril, des pro-
fessionnels s’inquiètent de voir le
secteur servir de fusible.

« Des projets à la casse »
« On a besoin de s’appuyer sur l’en-
treprise privée algérienne, a pré-
venu l’économiste Mouloud He-
dir, lors d’une réunion, fin juillet,
du think tank Care sur les priori-
tés pour une feuille de route éco-
nomique. Ceux qui ont des problè-
mes de corruption doivent être
traités, et il faut que les autres puis-
sent respirer librement. » Mais
l’opinion publique pourrait peser
aussi. « Le modèle risque d’être re-

mis en cause car il est perçu
comme un modèle d’importation
déguisée. Les prix des véhicules ont
augmenté. Il y a des projets qui
vont aller à la casse », estime Ra-
chid Sekak, ancien fonctionnaire
de la Banque d’Algérie.
De l’avis de plusieurs profes-
sionnels, l’usine Renault et le
projet d’usine Peugeot ne de-
vraient pas être arrêtés. Renault
Algérie a d’ailleurs obtenu un
quota d’importation de kits
CKD-SKD pour 2019 de 660 mil-
lions de dollars (595 millions
d’euros), soit le plus important
attribué par les autorités cette
année. « Il est possible qu’on leur
demande un effort d’intégration
locale », souligne cependant un
ancien haut fonctionnaire.
La filière automobile peut ap-
porter un plus à une économie
algérienne très dépendante des

hydrocarbures. Mais les experts
pointent le discours et la mé-
thode des autorités de l’époque.
« Travailler avec 40 constructeurs,
c’était de la folie, s’emporte Mou-
rad Goumiri. Si on veut vraiment
développer un secteur automo-
bile, on prend attache avec un
grand constructeur qui a une
stratégie internationale. Pour dé-
velopper la sous-traitance, il faut
produire 200 000 à 300 000 uni-
tés par an, et le marché algérien
ne suffit pas. »
« L’Algérie est capable à terme de
produire de l’acier de qualité et
des matières plastiques si l’on dé-
veloppe l’aval du secteur pétrolier,
ajoute le banquier Rachid Sekak.
On a fait croire qu’on pouvait
construire une industrie automo-
bile en quelques années, or c’est
impossible. »p
zahra chenaoui

Aramisauto repense le business de la voiture d’occasion


A Donzère, dans la Drôme, cette filiale d’e-commerce du groupe PSA fait du « reconditionnement » de véhicules


REPORTAGE
donzère (drôme)

C’


est l’effervescence dans
ce coin venteux de la
Drôme, quelque part en-
tre Orange et Montélimar, où, en
bordure d’autoroute, Aramisauto
a installé son usine. Un lot de Peu-
geot 208 gris foncé vient d’arriver
d’Allemagne. Les véhicules, arbo-
rant encore leur plaque d’immatri-
culation germanique, ont colonisé
le lieu et font des allers-retours en-
tre ateliers. « Celles-ci, dans quatre
heures, seront disponibles sur notre
site Internet », se réjouit le direc-
teur général et cofondateur d’Ara-
misauto.com, Nicolas Chartier.
Nous voici à Donzère, six hecta-
res de parkings, de bureaux et de
hangars où sont « traités » les véhi-
cules de seconde main d’Arami-
sauto. Ici, le mousquetaire du
commerce automobile en ligne,
racheté par le groupe PSA en 2016,
réinvente depuis cinq ans le bon
vieux business de la voiture d’oc-
casion. Il le fait à la manière des si-
tes de reconditionnement d’élec-
tronique grand public, les Back
Market et autre Amazon Ware-
house. Un mouvement en plein
essor, qui permet d’allier l’envie
de recyclage, croissante chez les

consommateurs, avec une appro-
che professionnelle rassurante dès
lors qu’il s’agit d’investir dans un
appareil technologique coûteux.
Le recyclage automobile façon
Aramis, ce sont d’abord des pro-
cessus et des méthodes issues des
meilleurs standards de l’industrie.
Du tri initial (qui rejette 15 % des
véhicules acquis par Aramis, inap-
tes au reconditionnement et re-
vendus à des professionnels) à la
séance photo finale, juste avant la
mise en ligne du produit, la voi-
ture va suivre un cheminement
minuté sur les écrans omnipré-
sents de l’usine – mécanique, car-
rosserie, peinture, contrôle qua-
lité, nettoyage.

Un ballet de pièces
Le tout est accompagné d’un ballet
de pièces livrées en « juste à
temps », ce qui évite tout stockage
coûteux. Le résultat final, c’est un
véhicule dont la mécanique est ga-
rantie un an, mais qui peut présen-
ter quelques imperfections de car-
rosserie, totalement assumées car
permettant de fixer un prix de
vente le plus abordable possible.
On est encore un peu loin du
rythme d’une chaîne automobile,
mais les 120 salariés du site arri-
vent à préparer 350 véhicules par

semaine, 24 heures sur 24, du
lundi au samedi matin. En 2018,
12 000 véhicules sont passés par
Donzère, soit la grande majorité
des ventes d’occasion d’Aramis.
Leader des ventes de voitures en li-
gne, mais disposant, en parallèle,
d’un réseau de 30 agences en
France, l’entreprise a vendu
36 000 voitures l’an passé, dont
18 000 de seconde main et autant
de véhicules neufs.
S’il n’est pas l’inventeur du re-
conditionnement automobile à
grande échelle en France – le
groupe Gemy, gros concession-
naire de Peugeot Citroën DS, a
lancé le concept il y a plus de
quinze ans –, Aramisauto en est in-
contestablement la marque nu-
méro un. Mais son succès est aussi

le symptôme d’un autre phéno-
mène : la mutation du marché de
l’occasion, en marche vers une
professionnalisation croissante.
« C’est un mouvement général
dans les pays matures en matière
automobile comme la France, ex-
plique Marc Lechantre, directeur
de l’activité véhicules d’occasion
de PSA. L’achat d’occasion est de
moins en moins perçu comme rele-
vant d’une sous-catégorie. Il est au
contraire vu comme malin et res-
ponsable dans la période actuelle
de préoccupation écologique. Et
puis, 5 000, 10 000, 15 000 euros
cela reste une grosse dépense pour
le budget d’un ménage. L’approche
du client doit être, pour un cons-
tructeur, aussi qualitative que lors
d’un achat neuf. »
Pour le groupe PSA, cette prise de
conscience s’est transformée en
élément de la stratégie globale. De-
puis 2016, et le plan « Push to
Pass » édicté par Carlos Tavares, le
président du directoire, le véhicule
d’occasion fait partie des canaux
potentiels de croissance. La prise
de participation majoritaire dans
Aramisauto, réalisée en octo-
bre 2016, a d’ailleurs été le premier
jalon de cette démarche.
« On notera que le marché de l’oc-
casion a pris le virage du numéri-

que plus vite que celui du neuf »,
ajoute M. Lechantre. Ce sont les ac-
teurs comme Aramis qui profes-
sionnalisent les commerçants tra-
ditionnels, leur apportant des al-
gorithmes fixateurs du meilleur
prix d’achat et de revente ainsi que
des outils numériques innovants.
Et puis l’occasion apporte aussi
aux constructeurs du chiffre d’af-
faires et de la profitabilité complé-
mentaire, y compris hors de
France, dans une période d’incerti-
tude mondiale pour la conjonc-
ture automobile. PSA a ainsi lancé,
ce printemps, un label global mul-
timarques baptisé Spoticar, pour
les véhicules d’occasion commer-
cialisés dans le réseau de ses cinq
marques maison (Peugeot, Ci-
troën, DS, Opel, Vauxhall) et ce
dans onze pays européens.
Hors d’Europe, PSA a récemment
acquis deux sociétés spécialistes
de l’occasion à destination de la
clientèle professionnelle : Auto
Avaliar au Brésil et Feng Che en
Chine. Le français a pour objectif
de réaliser 1 million de ventes d’oc-
casion (y compris celles d’Arami-
sauto) en 2021 (elles sont déjà pas-
sées de 400 000 à 800 000 en trois
ans) et de quadrupler les profits
entre 2016 et 2021.p
éric béziat

En 2018,
1 2 000 véhicules
sont passés
par cette usine,
soit la grande
majorité des
ventes d’occasion
de la société

L’ancien premier ministre Abdelmalek Sellal, lors de l’inauguration d’une usine Renault à Oran, le 10 novembre 2014. XINHUA/REA

L’industrie
automobile peut
apporter un plus
à une économie
algérienne très
dépendante des
hydrocarbures

I M M O B I L I E R
Springer achète
Meilleursagents.com
Le groupe de presse allemand
Axel Springer a annoncé,
jeudi 1er août, avoir fait une
offre d’achat du site français
d’estimation et d’expertise
immobilière Meilleursa-
gents.com, pour 200 millions
d’euros hors dette et trésore-
rie. Grâce à sa filiale Aviv, le
groupe Springer détient déjà
des sites d’annonces immo-
bilières comme Seloger.com
ou Logic-immo.com.

Les taux d’emprunt
ont touché un point bas
historique en juillet
Selon une étude de l’observa-
toire Crédit Logement/CSA
publiée jeudi 1er août, le taux
d’intérêt moyen des crédits
immobiliers aux particuliers
en France est tombé à 1,20 %
en juillet (hors assurance des
prêts). C’est un niveau jamais
vu dans l’Hexagone. – (AFP.)

M É D I A S
Le CSA autorise Free
à ne pas diffuser
les chaînes d’Altice
Le CSA a décidé, jeudi 1er août,
que Free n’avait aucune obli-
gation de diffuser dans ses
box BFM-TV et les autres chaî-
nes du groupe Altice, mais
que ce dernier pouvait aussi
en refuser la diffusion si Free
n’acceptait pas ses conditions
financières.
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