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MERCREDI 7 AOÛT 2019 international| 3
Pékin accentue ses menaces sur Hongkong
« Ceux qui jouent avec le feu périront par le feu », a averti un représentant du gouvernement chinois
hongkong envoyé spécial
L
e message est brutal et
menaçant : le bureau des
affaires de Hongkong et
Macao, l’agence gouver
nementale chinoise en charge, à
Pékin, de ces deux régions admi
nistratives spéciales, n’a pas
mâché ses mots lors de la seconde
de conférence de presse de son
histoire. La première avait eu lieu
il y a deux semaines. « Nous ne
pouvons pas laisser Hongkong
dans le chaos plus longtemps », a
déclaré mardi 6 août le portepa
role du bureau, Yang Guang, avant
de réaffirmer le soutien ferme de
Pékin à la chef de l’exécutif hon
gkongais Carrie Lam et à la police
de Hongkong. « Tous les Hongkon
gais doivent se poser la question
calmement : si le chaos continue, à
la fin, qui sera gagnant, qui sera
perdant? La Chine ne sera pas fai
ble avec ceux qui enfreignent la loi.
Ne sousestimez jamais la ferme
détermination et la puissance im
mense du gouvernement central. »
Avant de prononcer cette mise
en garde : « Cela doit être très clair
pour le tout petit groupe de crimi
nels violents et sans scrupules et les
forces répugnantes qui se cachent
derrière eux : ceux qui jouent avec
le feu périront par le feu, a martelé
M. Yang. En fin de compte, ils seront
châtiés. » La Chine s’est pour l’ins
tant gardée de recourir à l’armée
chinoise stationnée à Hongkong,
se contentant de rappeler que la
loi le permet, si le gouvernement
de Hongkong en fait la demande.
Grève historique
Depuis deux mois, Hongkong
avait deux visages. Tous les week
ends, elle était une ville révoltée :
une partie de sa population mani
festait, pacifiquement d’abord, et
à mesure que les semaines pas
saient, de plus en plus violem
ment, contre une loi d’extradition
vers la Chine. Mais chaque lundi
matin, Hongkong reprenait son
rythme effréné de place financière
mondiale. A peine remarquaiton
quelques barrières le long des trot
toirs... elles étaient devenues
barricades le temps d’un week
end. Mais lundi 5 août, le calme
n’est pas revenu à Hongkong. Pour
la première fois depuis 1967, la cité
industrieuse a fait grève et connu
une journée d’agitation.
Environ 300 000 personnes
auraient participé à huit rassem
blements différents, selon les or
ganisateurs. Comme à chaque fois,
les événements sont d’abord paci
fiques, jusqu’à ce que le gros du
cortège se disperse, laissant la
main à des jeunes équipés pour en
découdre. Lundi, l’objectif était
clairement de bloquer la ville pour
ajouter à l’impact d’une grève
moyennement suivie, mais histo
rique. Dans la journée, sept lignes
de métro ont été partiellement
suspendues, et plusieurs axes rou
tiers majeurs bloqués, dont le tun
nel reliant l’île de Hongkong au
continent, empêchant beaucoup
de Hongkongais de se rendre sur
leur lieu de travail. Des centaines
de vols ont été annulés, les compa
gnies aériennes ayant largement
répondu à l’appel à la grève.
Dans la soirée de lundi, des
échauffourées ont eu lieu à proxi
mité de commissariats, de bâti
ments officiels, de centre com
merciaux, de parcs et même dans
des résidences. Des cocktails
molotov ont été lancés sur le par
king d’un commissariat. Un défi
pour les 34 000 agents de police
de la ville, qui ont largement fait
usage de gaz lacrymogènes pour
disperser les manifestants, et ar
rêté 148 personnes dans la jour
née. La multiplication des activi
tés de désobéissance civile a aussi
conduit à de nombreux inci
dents : un van et un taxi ont forcé
des barricades, fonçant sur les
manifestants, dont un a été
blessé. Des automobilistes en co
lère ont vu leur véhicule vanda
lisé, après avoir menacé la foule.
Guerre de communication
Dans le district de North Point,
une dizaine d’hommes se présen
tant comme des habitants du
quartier ont attaqué les manifes
tants avec des bâtons, rappelant
les scènes de violences de la sta
tion Yuen Long, lorsque des cen
taines de membres de la mafia
s’en étaient pris à des manifes
tants et de simples usagers du mé
tro le 21 juillet, faisant 45 blessés.
L’attaque avait profondément
choqué les Hongkongais, posant
la question de la passivité de la po
lice. Cette foisci, les manifestants,
plus nombreux et bien équipés,
ont échangé des coups avec ces
hommes avant de les faire fuir.
Dans la matinée lundi, la chef de
l’exécutif Carrie Lam avait dé
noncé un mouvement qui a « sé
rieusement sapé la loi et l’ordre à
Hongkong et pousse la ville au
bord d’une situation très dange
reuse ». La dirigeante s’en était
aussi prise au slogan le plus popu
laire du mouvement : « Libérez
Hongkong, le temps de la révolu
tion. » Le terme « guangfu » (« libé
rez ») qui peut aussi se traduire par
« reprendre un territoire », in
quiète le gouvernement. « Ils ap
pellent à une révolution pour libé
rer Hongkong. Ces actions remet
tent en cause la souveraineté natio
nale, et laissent présager un “pays
deux systèmes” », a mis en garde
Mme Lam. Pour autant, les slogans
appelant plus clairement à l’indé
pendance de Hongkong n’ont ja
mais pris dans le mouvement.
Lundi, la police a aussi tenu une
conférence de presse, qui sera dé
sormais quotidienne. Elle a donné
quelques chiffres : depuis le 9 juin
dernier, 1 000 cartouches de gaz
lacrymogène, 160 balles en caout
chouc et 150 balles « en mousse »
(qui malgré leur nom, sont capa
bles de briser des os) ont été tirées,
et 420 personnes arrêtées. Un
décompte obsolète le soir même,
car la police a fait à nouveau large
ment usage de lacrymogènes et
autres projectiles pour disperser
les manifestants.
Face à cet effort de communica
tion du gouvernement et de la po
lice, les manifestants ont décidé
de contreattaquer. Mardi matin,
des membres du forum en ligne
hongkongais LIHKG, utilisé pour
organiser le mouvement, ont
tenu leur propre conférence de
presse. Les trois jeunes qui se sont
exprimés, le visage masqué et
portant un casque jaune, devenu
symbole d’un mouvement rompu
à la violence, ont répondu aux
attaques des dirigeants de Hon
gkong et rappelé les principales
revendications du mouvement :
retrait officiel du projet de loi d’ex
tradition qui n’a été que « sus
pendu », élection de l’exécutif au
suffrage universel et une commis
sion d’enquête indépendante sur
les violences policières.
simon leplâtre
Aux EtatsUnis, trop peu de moyens contre le « terrorisme intérieur »
La violence d’extrême droite tue autant que le terrorisme international dans le pays mais il n’y a pas d’agence spécifique pour la combattre
new york correspondant
A
vec un air de déjàvu, le
New York Times s’est
demandé, dimanche
4 août, ce qu’il serait advenu si
l’auteur du massacre d’El Paso
(Texas), un suprémaciste blanc
qui a tué vingtdeux personnes,
samedi, pour lutter contre l’« in
vasion hispanique », avait été un
terroriste islamiste : ses compli
ces seraient traqués, ses finan
ciers poursuivis, ses adeptes
désembrigadés, et l’on ne se
contenterait pas d’appels à la
prière. Toute la puissance répres
sive de l’Etat serait mise en
œuvre, et les alliés des EtatsUnis
seraient mobilisés.
Après avoir été victimes d’un
nouvel attentat relevant du « ter
rorisme intérieur », selon la police
fédérale (FBI), les EtatsUnis
réagissent sans vraiment
agir. Donald Trump a fait une
allocution martiale à la Maison
Blanche : « D’une seule voie, notre
nation doit condamner le racisme,
l’intolérance et le suprémacisme
blanc. Ces idéologies sinistres
doivent être défaites », a assuré le
président. Mais il a été vivement
critiqué pour ne pas avoir
prononcé le mot « terrorisme »,
avoir mis en cause les jeux vidéo
ou encore s’être trompé dans le
nom de la ville victime de la tue
rie dans l’Ohio, Dayton.
Surtout, il a immédiatement
oublié la piste ouverte sur Twitter
plus tôt dans la matinée, le
contrôle des armes. « Républi
cains et démocrates doivent s’unir
et réaliser des contrôles de person
nalité, peutêtre en mariant cette
législation avec la réforme de l’im
migration dont nous avons déses
pérément besoin. Nous devons
faire quelque chose de bien, voire
de grand, de ces événements tragi
ques. » L’initiative aurait surpris
les conseillers de la Maison Blan
che.
Opposition des républicains
La réforme de l’immigration n’a
pas avancé depuis deux ans, car
Donald Trump la lie à l’achève
ment du mur à la frontière avec le
Mexique. Quant à une vraie
réforme des armes, elle avait déjà
été évoquée après la tuerie du
lycée de Parkland en Floride, en
février 2018, mais avait sombré
ensuite, notamment en raison de
l’opposition des républicains.
Les démocrates ont, pour leur
part, déploré l’absence de propo
sitions du locataire de la Maison
Blanche, alors qu’ils ont voté à la
Chambre des représentants une
loi généralisant les contrôles de
personnalité, y compris lors des
foires aux armes et sur Internet,
ainsi que l’instauration d’un délai
entre l’achat d’une arme et sa
prise de possession. Mais le texte
est bloqué au Sénat, à majorité ré
publicaine. En fait, c’est sur la
scène du terrorisme intérieur que
les choses pourraient bouger, en
raison de la mobilisation des
agences américaines de sécurité.
La violence d’extrême droite
existe depuis la guerre de Séces
sion, et les agences fédérales
consacraient encore à ce fléau
une part importante de leurs res
sources dans les années 1990
(l’attentat d’Oklahoma City,
en 1995, avait fait 168 morts). Elles
se sont recentrées sur l’islamisme
après les attentats du 11 septem
bre 2001, mais l’extrémisme de
droite a connu un regain avec
l’élection de Barack Obama, pre
mier président noir des Etats
Unis, et la crise financière. Un rap
port du département de la sécu
rité intérieure a alerté sur le sujet,
mais a été enterré en raison des
protestations de certains républi
cains, écrit le New York Times.
« Dark Web »
Depuis les attentats du 11Sep
tembre, le terrorisme intérieur
tue autant que le terrorisme
international, mais il n’y a pas
d’agence spécifique pour le
combattre. Les extrémistes intéri
eurs prospèrent grâce à la Consti
tution américaine, qui protège le
port d’arme et la liberté d’expres
sion, plus florissante que jamais
sur les réseaux sociaux et ce que
l’on appelle le « dark Web ». Ainsi,
le terroriste d’El Paso avait posté
son texte sur la plateforme, gérée
depuis les Philippines, 8chan.
Ce lieu de « libre expression »
est devenu le refuge des extré
mistes, plusieurs d’entre eux y
ayant annoncé par avance leur
crime, en particulier l’auteur du
massacre dans deux mosquées à
Christchurch en Nouvelle
Zélande cet hiver. La plateforme
8chan est désormais déconnec
tée, la société de San Francisco
Cloudflare, qui la protégeait des
cyberattaques, ayant décidé
dimanche de cesser de la proté
ger. Mais aucune autorité étati
que ne l’a fermée.
Ces échanges attestent que ces
« loups solitaires » ne le sont
qu’en partie, échangeant grâce
à Internet. Une enquête du New
York Times montre qu’un tiers
des tueurs depuis 2011 s’est ins
piré d’un de ses prédécesseurs.
arnaud leparmentier
« La Chine ne
sera pas faible
avec ceux qui
enfreignent la loi »
YANG GUANG
porte-parole du bureau
des affaires de Hongkong
Tamar
Park
Star Ferry
Pier
Macpherson
Playground
TSIM SHA TSUI
Zone touristique
NORTH POINT
Canton Road
Nathan Road
Argyle Street
Harcourt Road
Siège du gouvernement
de Hongkong qui abrite
le LegCo (Parlement)
autour duquel se concentrent
régulièrement les manifestations.
Il a été pris d’assaut le 1er juillet.
HONGKONG
Baie
de Hongkong
Baie
de Kowloon
Quartier de l’exécutif
KOWLOON
ÎLE DE HONGKONG
CENTRAL
ADMIRALTY
SAI WAN
Quartier général
de la police de l’île
de Hongkong, barricadé
par les manifestants le 21 juin
Banque
de Chine
HSBC
Bourse
de Hongkong
Départ des marches
les 9 et 16 juin
Parc
Victoria
500 m
CAUSEWAY BAY
Quartier commercial
très fréquenté
par les Chinois
du continent
H
MONG KOK
Quartier populaire
et commercant
(densément peuplé)
Gare de West Kowloon
SAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WANSAI WAN
5 km
Vers
Canton
LGV
>
HONGKONG
CHINE
SHENZHEN
ÎLE DE HONGKONG
Sha Tin
Tai Po
Tsuen Wan
Sham Shui Po
Tuen Mun
Tin Shui Wai
Commissariat
de Mong Kok
Wong Tai Sin
Commissariat
de Tsim Sha Tsui
Wan Chai
Wan Chai
ÎLE DE
LANTAU
5 km
Vers
CantonCanton
LGVLGV
>
HONGKONGHONGKONGHONGKONGHONGKONGHONGKONGHONGKONG
CHINECHINE
SHENZHEN
ÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONGÎLE DE HONGKONG
Sha TinSha TinSha TinSha TinSha TinSha TinSha TinSha TinSha TinSha TinSha TinSha TinSha Tin
Tai PoTai PoTai PoTai Po
Tsuen WanTsuen WanTsuen WanTsuen WanTsuen WanTsuen WanTsuen Wan
Sham Shui PoSham Shui PoSham Shui PoSham Shui PoSham Shui PoSham Shui PoSham Shui PoSham Shui PoSham Shui PoSham Shui PoSham Shui Po
Tuen MunTuen MunTuen MunTuen Mun
Tin Shui WaiTin Shui WaiTin Shui WaiTin Shui WaiTin Shui WaiTin Shui Wai
Wong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai SinWong Tai Sin
Wan ChaiWan ChaiWan ChaiWan ChaiWan ChaiWan Chai
ÎLE DE
LANTAULANTAU
Aéroport de Hongkong
Station de Yuen-Long
Pont Hongkong -
Zhuhai - Macao
Eté 2019 : manifestations contre le projet
de loi sur l’extradition de ressortissants
de Hongkong vers la Chine
Point de ralliement
de la grève générale du 5 août
Arontement entre les manifestants
et la police devant les commissariats
Arontement entre manifestants
et des hommes en chemise blanche
Lieu emblématique des protestations
depuis juin
Station de métro où des gangs mafieux
chinois ont attaqué des personnes
habillées de noir, code vestimentaire
des manifestants le 21 juillet
Précédents mouvements
Lieu de manifestation
du « mouvement des parapluies » (2014)
Parti localiste issu de ce mouvement
Emprise sur la politique hongkongaise
Quartier général de l’Armée
populaire de libération
Autre caserne
Bureau de liaison de Pékin
Intérêts économiques et financiers
Place financière
Zone économique spéciale, créée par Pékin
Ligne à grande vitesse
Pékin - Canton - Shenzhen - Hongkong
la plus longue au monde, inaugurée en 2018
Pont Hongkong - Zhuhai - Macao,
inauguré en 2018
MANIFESTATIONS PRODÉMOCRATIE
CONTRE PÉKIN
SYMBOLES DE LA PRÉSENCE DE PÉKIN
XX
SOURCES : SOUTH CHINA MORNING POST
INFOGRAPHIE LE MONDE, FLAVIE HOLZINGER ET FLORIANE PICARD