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MERCREDI 7 AOÛT 2019 planète | 5
Résistance en Suède contre les mines de vanadium
Une compagnie britannique a obtenu un permis d’exploration pour ce métal rare
comté d’österlen (suède)
envoyée spéciale
E
n cotte de travail, Mads
Persson, agriculteur dans
le comté d’Österlen, dans
le sudest de la Suède,
montre ses terres. Cent hectares,
où il cultive du fourrage pour ses
vaches. La ferme est dans sa
famille depuis trois générations.
Or voilà qu’en plus de la séche
resse de l’année 2018, des
contraintes financières et bu
reaucratiques qui s’accumulent, il
doit maintenant gérer la perspec
tive de forages dans ses champs.
« Ça commence à faire beaucoup »,
lâche le solide gaillard, d’une voix
légèrement tremblante.
Comme 4 000 autres foyers
dans la région, Mads Persson a
reçu un courrier, en juin 2018, qui
l’informait qu’une société bri
tannique avait déposé un dossier
pour obtenir un permis d’explo
ration du vanadium dans la ré
gion. L’agriculteur avoue ne pas y
avoir prêté attention, avant de re
cevoir un coup de téléphone à
l’automne. La compagnie venait
d’obtenir le feu vert des autorités
suédoises et souhaitait percer des
trous dans ses champs.
Produit à 55 % par la Chine, le
vanadium est un métal rare,
principalement employé dans
les alliages pour la fabrication
d’acier à haute résistance, des
tiné au secteur de la construc
tion. Depuis quelques années, il
est aussi utilisé dans la concep
tion d’une nouvelle génération
de batteries hyperpuissantes à la
longévité exceptionnelle. C’est ce
secteur que vise la société Scandi
Vanadium, créée au Royaume
Uni en mars 2018.
« Gisement unique »
Un de ses cofondateurs, le géolo
gue britannique David Minchin, a
compilé des dizaines d’études
géologiques réalisées dans le
comté d’Österlen depuis les an
nées 1940. Et il est convaincu
d’avoir découvert « un gisement
unique à l’échelle mondiale, qui
pourrait potentiellement résoudre
la question du stockage de l’éner
gie et la transition écologique ».
En quelques mois, la compagnie
a décroché onze permis d’explora
tion, couvrant au total 22 000 hec
tares, dans le sudest de la Suède.
Les terres d’une dizaine d’agricul
teurs sont concernées. David
Minchin assure que l’impact des
forages sera minimal. Chaque pro
priétaire obtiendra une compen
sation à hauteur de 6 000 couron
nes (557 euros) par trou, et les
dommages éventuels seront
couverts au triple de leur coût.
« C’est plus généreux que ce que
prévoit la loi sans pouvoir être
apparenté à un potdevin », com
mente David Minchin.
Pour tenter de convaincre les
récalcitrants, le géologue met en
avant son « engagement pour l’en
vironnement ». Il affirme que la
mine, placée à l’endroit le plus
intéressant pour extraire le métal,
sera d’une « propreté exemplaire ».
Et assène l’argument censé ba
layer les dernières hésitations :
« Le GIEC dit que, si nous voulons
atteindre l’objectif des deux degrés,
85 % de l’énergie devra être pro
duite à partir de sources renouve
lables d’ici 2050. Nous aurons be
soin de la stocker, et le vanadium
est la meilleure technique. »
Mais dans l’Österlen, une des
principales régions agricoles et
touristiques de la Suède, au pay
sage de carte postale, l’argument
ne prend pas. En quelques semai
nes, à l’automne 2018, la résis
tance s’est organisée. Les habi
tants en ont vu d’autres. Dans les
années 1970, le suédois Boliden
avait lancé la charge, à la recher
che d’uranium. Puis, il y a eu le
zinc, l’aluminium et finalement
le gaz – un projet lancé il y a
dix ans par le groupe Shell
qui, comme tous les précédents,
a fini par capoter.
Constitué à l’époque, le réseau
VetoNu s’est immédiatement
recomposé, sous la présidence
d’Anita Ullmann, comptable
dans la commune de Tomelilla,
en plein dans la zone d’explora
tion. Pour l’épauler, deux figures
locales : le comte Carl Piper et
l’abbesse Christa Claesson, mère
supérieure du couvent de
Mariavall, lui aussi dans la zone
d’exploration. « Nous avons donc
la noblesse et le clergé contre
nous », raille David Minchin, qui
confie son étonnement face à
une telle mobilisation.
L’abbesse, pour sa part, ne cache
pas son irritation face à la familia
rité du Britannique, qui s’évertue
à l’appeler par son prénom et
semble « sousestimer les capaci
tés intellectuelles des autochto
nes », en présentant des argu
ments « simplistes ». Le principe
d’une mine écologique, par
exemple : « Ça n’existe pas », mar
tèle la religieuse qui, avant d’en
trer dans les ordres, a décroché un
diplôme d’ingénieur, spécialisé
en génie physique. L’idée que le
vanadium puisse contribuer à
résoudre la crise climatique ne la
convainc pas plus : « Il faut
changer de logique et arrêter
d’exploiter nos sols, car c’est exac
tement ce qui nous a menés dans
la situation actuelle. »
« Enormément d’incertitudes »
Le réseau VetoNu a reçu le sou
tien de la géologue et paléoclima
tologue Barbara Wohlfarth, en
poste à l’université de Stockholm.
Membre de l’Académie royale
suédoise des sciences, elle met en
garde contre l’exploitation du
schiste argileux, dans lequel se
trouve le matériau recherché :
« Une fois qu’il s’effrite, les métaux
lourds qu’il contient, en particulier
l’uranium, sont rejetés dans les
eaux souterraines et les sols envi
ronnants. » Pour les agriculteurs,
ce serait une catastrophe, « déjà
que nous manquons d’eau »,
souligne Mads Persson.
Audelà du projet d’extraction
du vanadium, le réseau VetoNu
se bat pour une révision de la loi
minérale suédoise, jugée bien
trop libérale. « En gros, vous rece
vez une lettre dans votre boîte aux
lettres qui vous informe qu’une
société a obtenu un permis d’ex
ploration sur vos terres et vous ne
pouvez rien faire », résume Anita
Ullmann. Les habitants de la ré
gion ont déposé 350 recours
contre le projet de ScandiVana
dium devant l’inspection mi
nière (Bergsstaten). Tous ont été
rejetés début mars.
Initialement de trois ans, le
permis peut être prolongé
jusqu’à quinze ans. « Cela génère
énormément d’incertitudes pour
ceux qui souhaitent s’installer
dans la région », observe Johan
Gran. Ce professeur d’université
a rejoint VetoNu il y a dix ans,
quand la maison de sa mère s’est
retrouvée dans la zone d’explora
tion de Shell. Il rappelle qu’en cas
de découverte, les propriétaires
des terrains n’ont droit qu’à 0,15 %
des gains et l’Etat suédois à
0,05 %. Le reste ira dans la poche
de la compagnie. Sur son site
Internet, ScandiVanadium en fait
d’ailleurs un argument de vente
auprès des investisseurs.
Otto Milbourn, propriétaire
d’une petite ferme à Lundby et
patron d’une société d’installa
tion de pompes à chaleur, est un
des seuls agriculteurs à soutenir
les forages. Il explique : « Si nous
voulons continuer à développer
des nouvelles technologies qui dé
pendent de nouveaux matériaux,
nous ne pouvons pas accepter
qu’ils soient uniquement produits
par des enfants dans des pays
non démocratiques. Nous devons
prendre nos responsabilités. »
L’argument irrite les oppo
sants. « Rien ne dit que le vana
dium sera utilisé pour produire
des batteries, et pas exporté en
Chine pour construire des gratte
ciel », s’insurge Sandra Linds
tröm, mariée à un des agricul
teurs dont les terres sont concer
nées par les forages. Depuis un
an, la chercheuse en agronomie
passe son temps libre à se docu
menter et à rédiger des recours.
Fin avril, la commune d’Hörby,
dirigée par l’extrême droite, a
donné son accord pour les fora
ges. Depuis, la tension est encore
montée d’un cran. Début juin,
ScandiVanadium, qui avait em
bauché un médiateur pour facili
ter le dialogue, a renoncé à la
concertation et demandé à l’ins
pection minière qu’elle approuve
son plan de travail.
annefrançoise hivert
NotreDame : la Mairie annonce de nouvelles mesures de dépollution
L’inquiétude reste vive au sujet de la contamination au plomb aux alentours de la cathédrale. Les travaux doivent reprendre le 12 août
L
es flammes qui ont ravagé
NotreDame de Paris, le
15 avril, n’ont pas fait de vic
times directes, mais les quelque
400 tonnes de plomb empri
sonné dans son toit et sa flèche
qu’a libérées l’incendie inquiè
tent les associations environne
mentales et ménagent un été ac
tif aux autorités.
Après le dépôt d’une plainte
contre X, le 26 juillet, par l’asso
ciation Robin des bois pour « ca
rences fautives, mise en danger
d’autrui et nonassistance à per
sonne en danger », un collectif
composé de syndicats CGT et
d’associations a demandé, lundi
5 août, le « confinement du site
dans sa globalité » pour assurer la
protection des riverains et des
travailleurs du chantier de re
construction. De nouveaux rele
vés mesurant la contamination
autour de la cathédrale devaient
être publiés mardi.
Suspendus le 25 juillet par arrêté
préfectoral, le temps d’une « mise
à plat » des mesures de protection
et de sécurité des intervenants,
les travaux doivent redémarrer
« progressivement » à partir du
12 août. Ils seront désormais enca
drés par des procédures de circu
lation du matériel et des person
nes, et des méthodes et moyens
de décontamination renforcés
qui ont reçu la bénédiction de
l’inspection du travail.
« Cette réouverture ne nous va
pas », a protesté Benoît Martin,
secrétaire général de l’Union dé
partementale CGT de Paris. « Si le
calendrier de reconstruction voulu
par certains doit prendre quelques
mois de retard, pour nous, ce n’est
pas un problème. Priorité à la
santé », a poursuivi le syndica
liste. Pour M. Martin, d’autres
catégories professionnelles ont
pu être exposées au plomb de
puis la miavril : « Pompiers,
agents de nettoyage, policiers, per
sonnels de l’HôtelDieu, mais aussi
bouquinistes, salariés des bars et
restaurants avoisinants... »
Annie ThébaudMony, sociolo
gue spécialisée dans la recherche
sur les maladies professionnelles
et la santé publique et portepa
role de l’association HenriPéze
rat, a, de son côté, dénoncé un
« scandale sanitaire ». Elle a rap
pelé le caractère « cancérogène,
neurotoxique et reprotoxique » du
plomb, « ses effets, pour la plupart,
silencieux », les « troubles cardio
vasculaires, cognitifs et rénaux »
et les cancers aux délais de la
tence de plusieurs décennies
dont ce métal est responsable.
Selon le collectif syndical et as
sociatif, il convient de confiner le
chantier de NotreDame « dans sa
globalité » pour « enrayer la conta
mination », d’obtenir « une carto
graphie précise et rigoureuse (...)
pour suivre l’évolution de la pollu
tion » et de créer « à l’HôtelDieu »
un centre de suivi clinique,
psychologique et social spécialisé
rassemblant « en un seul lieu »
toutes les données concernant la
pollution au plomb, « car tous les
médecins n’ont pas forcément l’ex
périence nécessaire ».
Outil indépendant
« Les seuils dits “réglementaires”
[dans le sang] sont des seuils de
gestion du risque, des seuils d’in
tervention, [présenter une plom
bémie audessous] ne signifie pas
qu’il n’y a pas de danger, a insisté
Mme ThébaudMony, lundi. Même
à faible dose, le risque est présent. »
Pour Anne Souyris, adjointe (Eu
rope EcologieLes Verts) à la santé
à la Mairie de Paris, « très attachée
à l’application du principe de pré
caution », la notion de seuil
moyen n’est pas suffisante. « Il ne
faut laisser subsister aucune zone
polluée, si réduite soitelle, audelà
des seuils préconisés par l’Agence
régionale de santé [ARS], soit
70 microgrammes par mètre
carré à l’intérieur des écoles,
1 000 μg/m^2 dans les cours et
5 000 μg/m^2 dans les rues », a dé
claré l’élue au Monde, lundi, avant
d’annoncer une intensification de
la dépollution aux abords immé
diats de NotreDame, où les taux
de pollution restent très élevés.
« La fermeture et la dépollution
du parvis et des rues encadrant No
treDame (rue de la Cité, place Jean
PaulII et promenade MauriceCa
rême) commenceront dès cette se
maine, sous la responsabilité de
l’Etat, et devraient durer jusqu’à
miaoût, a fait savoir Mme Souyris.
Si de nouvelles mesures – et il y en a
en permanence – établissent que
d’autres rues avoisinantes sont
concernées, nous veillerons à ce
qu’elles soient également traitées. »
Au sujet des établissements
accueillant des enfants « dans un
périmètre allant jusqu’à 800 mè
tres autour de NotreDame »,
Mme Souyris a précisé : « Nos rele
vés montrent que les normes sont
respectées à 99 %. Pour le 1 % res
tant, nous prenons les mesures de
dépollution nécessaires afin que
les enfants puissent aller partout
en toute sécurité. »
Selon l’élue, les résultats de tou
tes les mesures seront « immédia
tement » transmis à l’ARS et mis en
ligne sur le site de la Ville de Paris.
Anne Souyris souhaite, enfin, la
création d’un « outil indépendant
de mesures » pour le plomb
« comme Airparif pour l’air », qui
réalise et donne accès « en temps
réel » à une « cartographie de la
pollution et de son évolution ». Et
elle encourage les Parisiens vi
vant ou travaillant à proximité
de NotreDame à envisager une
plombémie, « un acte médical
simple qui peut être prescrit par un
médecin traitant et permet à la fois
de se rassurer et de localiser des
problèmes anciens ou nouveaux ».
Outre un cas de saturnisme
avéré, l’ARS avait indiqué, le
18 juillet, que, sur 82 enfants dé
pistés après l’incendie, vivant
tous à proximité de NotreDame,
10 présentaient des taux de
plomb supérieurs au seuil de vi
gilance de 25 microgrammes
par litre. Parmi eux, selon le site
d’information Mediapart, figure
un enfant de 18 mois, qui affi
chait un taux de 48,8 μg/l, juste
sous le seuil d’intervention éta
bli à 50 μg/l.
patricia jolly
« Il ne faut laisser
subsister aucune
zone polluée,
si réduite
soit-elle »
ANNE SOUYRIS
adjointe (EELV) à la santé
à la Mairie de Paris
En quelques
mois,
onze permis
d’exploration
ont été accordés,
couvrant au total
22 000 hectares
« Il faut changer
de logique
et arrêter
d’exploiter
nos sols »
CHRISTA CLAESSON
abbesse