OuestFrance - 2019-07-27

(C. Jardin) #1

1 ere ligne de texte 4 col
1 ere ligne de texte 6 col


27-28 juillet 2019
Tour de France 2019^

Coup dur. Seulement 32 km et puis s’en va. Souffrant de la cuisse gauche, le
Français Thibaut Pinot doit abandonner. Un des favoris est à terre.

AFP

Voyage au bout de l’enfer


19 e étape. Une gigantesque averse de grêle a eu raison d’une étape surréaliste et finalement stoppée.


Récit d’une journée dantesque, qui voit Julian Alaphilippe céder le maillot jaune. Entre autres.


Si la tragédie et l’imprévu sont consti-
tutifs de la petite reine et du Tour,
alors la légende a une nouvelle fois
imprimé sa patte. Hier, la grêle (le mot
est faible), nourricière d’une énorme
coulée de boue de «  20 mètres de
long sur 50 mètres de large  » dixit
Christian Prudhomme, le directeur
du Tour, s’est abattue à la hauteur
du Villaret du Nial. Un hameau ano-
din, paumé au cœur de la descente
de l’Iseran. Le paquet de chalets ac-
cueille d’ordinaire des grappes de
skieurs qui veulent échapper à la co-
hue de Val d’Isère.

« Contre la nature, on ne
peut rien faire »

En d’autres temps, les coureurs au-
raient dégluti le lieu-dit à la vitesse
de l’éclair, sans doute à l’image d’un
Julian Alaphilippe alors en alerte
rouge. L’heure n’était déjà plus à
sauver ce qui pouvait être sauvé.
Le maillot jaune du Français, Egan
Bernal s’était évertué à le détricoter
dans l’Iseran. Le Montluçonnais ve-
nait de lâcher deux minutes sur le
génie colombien au sommet du toit
du Tour, au-delà du matelas (1’30’’)
qui le tenait encore en vie au départ
de Saint-Jean-de-Maurienne, hier
matin. 16  h  30 venait de sonner, la
foule massée dans la montée vers
Tignes goûtait. Sereine, mais double-
ment triste. Thibaut Pinot, en pleurs,
avait bâché. Et Julian Alaphilippe, en
sueur, avait lâché.
Le récit est alors devenu légende.
Non pas que les exemples d’étapes
auxquelles on a soudain dit «  stop  »
ne soient pas monnaie courante au
cœur du mois de juillet (voir par ail-
leurs). Sauf que d’une façon inédite,
celle-ci fut tout bonnement stoppée
en raison d’un motif d’ordre météo-
rologique. « Contre la nature, on ne
peut rien faire  », certifie Christian
Prudhomme, dont la réaction pri-

maire fut de songer « à l’intégrité des
coureurs ». Donc à renoncer à l’idée
de célébrer un vainqueur d’étape.
Les temps pour le général seront pris
au sommet de l’Iseran. Point barre!
Dans l’immédiat, il fallait agir vite,
proportionnellement à la vitesse
avec laquelle Egan Bernal et Simon
Yates (dernier rescapé de la première
échappée du jour) fonçaient à bride
abattue vers Val d’Isère. « L’oreillette
ne fait pas de miracle. On a lancé
une moto-info pour dire stop à Ber-
nal et Simon Yates. On savait qu’ils
ne pourraient pas aller plus loin.
Il faut deux, trois heures pour dé-
blayer une coulée de boue  », pour-
suit le patron du Tour. Qui a l’air de
résumer la situation sous le ton du
« soyons raisonnables ! ».

Pour calmer certaines ardeurs des
acteurs majeurs du Tour? Chacun
avait en effet des intérêts à pour-
suivre l’impensable. Quand il a ap-
pris la nouvelle, Geraint Thomas, le
tenant du titre, a essayé de faire valoir
un éventuel nouveau départ. Après
l’encre et le déluge, un peu plus loin.
Le Gallois y voyait un double intérêt.
Collectif d’abord, puisque son jeune
coéquipier aurait très certainement
creusé le débours sur Julian Alaphi-
lippe dans la montée vers Tignes. In-
dividuel ensuite, puisqu’il pouvait lui-
même enfoncer le Français.
Même ce dernier a pesté. Même
si son tempérament laisse à pen-
ser qu’il en fait un enjeu mineur en
comparaison de ce qu’il a vécu de-
puis 14  jours, les affres du ciel font

ses affaires. Ce matin, la nouvelle
coqueluche nationale campe à la
2 e place, à 48’’ d’Egan Bernal, alors
que foncer vers Tignes aurait donc,
sans doute, creuser le fossé naissant.
En disant aussi adieu au podium?
« Le maillot jaune est-il encore pos-
sible? Non, je ne pense pas, réfute
le héros de cette édition 2019, lu-
cide. J’ai poursuivi le rêve bien plus
longtemps que je ne le pensais.
Je n’ai pas de regrets.  » Et qui sait
ce qu’il adviendra aujourd’hui vers
Val Thorens, où les Ineos devront
défendre une tunique. La formation
anglaise est la maîtresse de la ges-
tion. Mais puisque ce Tour est fou...
Puisqu’il faut s’attendre à tout...

Jérémy PROUX.

Après l’orage dans la descente de l’Iseran, les routes étaient impraticables pour le peloton.

EPA

Un nouveau torrent de larmes pour Thibaut Pinot


Et les larmes de Thibaut Pinot se sont
mises à couler sur le Tour... Comme
jamais. Des émotions, le Franc-Com-
tois en a pourtant déjà tant vécues
sur la Grande Boucle. Sa victoire à
Porrentruy dès sa première participa-
tion. Son podium en 2014, troisième
derrière Nibali et Peraud. Son succès
dans le stade de l’Alpe-d’Huez. Ou
encore son tour de force au Tourma-
let il n’y a qu’une semaine.
Mais il est écrit que l’histoire de Thi-
baut Pinot sur le Tour de France ne
sera jamais un parcours de santé. Et
hier, le grimpeur de Groupama-FDJ a
écrit une nouvelle page tourmentée,
après ses abandons de 2013, 2016
et 2017, à chaque fois malade.
Hier, c’est une lésion musculaire à
la cuisse gauche qui a eu raison des
ambitions de celui qui était au matin
encore 5e du Tour de France. «  J’ai
eu un petit coup à l’arrivée à Nîmes
mais je ne suis pas sûr que ce soit
ça. J’ai vraiment eu mal dans une
descente hier (jeudi), après une re-
lance, explique Thibaut Pinot. Une
petite déchirure, ça ne pardonne
pas. »

Pinot : « La plus grande
déception de ma carrière »

Après s’être rendu à la voiture mé-
dicale à plusieurs reprises, Thibaut
Pinot a fini par décrocher. Irrémé-
diablement. Relégué à plus de cinq
minutes des favoris, le vainqueur
du Tour de Lombardie a mis pied à
terre, après une accolade émouvante

avec son équipier, William Bonnet.
C’était le kilomètre 36 d’une étape
dont il avait rêvée qu’elle le porterait
vers le maillot jaune. «  Je me suis
toujours battu. J’y croyais en espé-
rant que ça passe. Mais ça n’est

pas passé. C’est la plus grande
déception de ma carrière. Je sen-
tais depuis dimanche que j’étais
capable de le faire (gagner le Tour).
J’en étais convaincu. Mais on ne le
saura jamais. Là, j’en ai marre.  Ça

va prendre du temps pour digérer...
C’est le Tour. »
Un Tour qui aura été un condensé
d’une carrière faite de très hauts
et de très bas comme peu de cou-
reurs en auront connus. Après avoir
subi une bordure à Albi, Thibaut Pi-
not, à force de caractère et avec des
jambes comme il en a rarement eues
au mois de juillet, avait récupéré son
débours à travers une mémorable
traversée des Pyrénées. A l’image
de son offensive vers Prat-d’Albis, où
aucun autre leader n’avait pu prendre
sa roue. Une dynamique une nou-
velle fois brisée par cette douleur à
la cuisse.
Une nouvelle période de recons-
truction s’ouvre pour Thibaut Pinot,
qui avait déjà souffert de son aban-
don l’an dernier du Tour d’Italie, qu’il
allait terminer sur le podium. Marc
Madiot, le manager de Groupama-
FDJ, sera là pour l’accompagner. « Il
n’y a pas de recette particulière.
Il faut donner de l’affection à son
coureur, avance le Mayennais. J’ai
une énorme confiance en Thibaut.
C’est ce type de coureurs là qu’on
aime.  Il a gagné beaucoup auprès
du public, qui a vu un homme
qui donne tout. Le résultat, c’est
quelque chose, mais parfois on
s’inscrit dans le temps avec des at-
titudes fortes. Et Pinot a ça en lui. »
Et peut-être qu’un jour, il réunira les
deux sur le Tour. La victoire n’en se-
rait que plus belle.
Christophe RICHARD.

En larmes, Thibaut Pinot a dû se résoudre à abandonner, souffrant trop de la
cuisse.

AFP

Coup de force. Dans la montée de l’Iseran, à 6 km du sommet, le Colombien de
22 ans a survolé la concurrence, collant 45 secondes d’avance à Alaphilippe.

AFP
Coup de poker. Julian Alaphilippe comptait bien refaire son retard sur Bernal
dans la descente de l’Iseran. Seulement, la grêle a coupé court à son pari.

AFP

L’Iseran a eu raison du rêve jaune d’Alaphilippe


L’épopée de Julian Alaphilippe a pris
fin hier, dans les pentes de l’Iseran.
Le Montluçonnais a cédé face aux
attaques de Geraint Thomas et Egan
Bernal, après avoir porté le maillot
jaune pendant quatorze jours. Une
première pour un Français depuis
Bernard Hinault. Retour sur les trois
semaines du n°1 mondial.

La prise du maillot à Épernay
Julian Alaphilippe était attendu dès
cette troisième étape, dessinée pour
les puncheurs. Il a plus que répondu
aux attentes, en anticipant son at-
taque à 16  km de l’arrivée. Pour
s’imposer et décrocher son premier
jaune.

Rebelote à Saint-Étienne
Dépossédé de sa tunique pour six
secondes au sommet de La Planche
des Belles-Filles (6e étape), Julian
Alaphilippe n’a pas tardé à reprendre
son bien, grâce à une attaque menée
en duo avec Thibaut Pinot lors de la
8 e étape vers Saint-Étienne.

Un chrono en jaune
Déjà auteur de bons contre-la-montre
depuis le début de sa carrière profes-
sionnelle, Julian Alaphilippe n’en finit
plus de surprendre en remportant le
seul chrono individuel de ce Tour de
2019, à Pau (13e étape), devant un
Geraint Thomas, vainqueur sortant,
pourtant spécialiste de l’effort...

A la hauteur dans les Pyrénées
C’est avec 1’26’’ d’avance sur Tho-
mas, 2e, que Julian Alaphilippe
aborde les Pyrénées. Il en repart
avec 1’35’’, après avoir notamment

terminé 2e au sommet du Tourmalet,
où il a même donné l’impression de
pouvoir gagner. Il montrera ses pre-
miers signes de faiblesse le lende-
main, à Prat-d’Albis.

Les Alpes étaient en trop
Pas habitué à jouer avec les meil-
leurs en haute montagne, Julian Ala-
philippe a fini par afficher ses limites.
Après avoir limité la casse dans le
Galibier, c’est hier dans le col de
l’Iseran que le n°1 mondial a perdu
son maillot. « J’ai été battu par plus
fort que moi, c’est comme ça. Dès
le moment où j’ai enfilé le maillot
jaune, je me suis mis à rêver mais
je n’ai jamais pensé que je pouvais
gagner le Tour. »
Ch. R.

Julian Alaphilippe était en jaune
depuis le 13 juillet.

AFP

Étapes bouleversées, quels antécédants ?
Cette 19e étape du Tour de France,
entre Saint-Jean-de-Maurienne et
Tignes, est bien un cas unique dans
l’histoire de la Grande Boucle. Ja-
mais, en effet, une étape n’avait été
tout bonnement et simplement arrê-
tée pour une raison d’ordre naturelle
et météorologique. Mais quelques
antécédants existent sur la Grande
Boucle.

1978
A Valence d’Agen, les coureurs n’en
pouvaient plus. Le matin, ils devaient
se lever aux aurores pour disputer
leur étape, ils remettaient ça l’après-
midi pour une deuxième étape. Le
tout avec des transferts importants
le soir... Dès lors, une grève est or-
ganisée le 12  juillet, lors de l’étape
Tarbes – Valence d’Agen. Bernard
Hinault, qui dispute son premier Tour
de France, est en première ligne
pour négocier. Le peloton ralentit à
l’arrivée dans Valence d’Agen, pose
même pied à terre. Il est finalement
décidé que l’étape est carrément an-
nulée. Aucun coureur n’est déclaré
vainqueur. L’étape de l’après-midi,
elle, se déroule normalement. Et Ber-
nard Hinault gagnera le Tour.

1996
C’était déjà l’Iseran qui avait posé
problème aux organisateurs du Tour
de France. En haut du col, justement,
il faisait -5°C et surtout, le vent ren-
dait les conditions encore plus déli-
cates. Le Galibier était tout aussi im-
praticable. Il a été donc décidé, avant
le départ, d’amputer l’étape, l’une
des deux grandes de montagne de
ce Tour 1996. Au final, celle-ci a été
réduite à 46  km. Le Danois Bjarne
Riis marquait les esprits en rempor-
tant l’étape, juste devant Leblanc et

Virenque, et prenant par la même oc-
casion la tête de la course.

2013
Pour la 100e édition du Tour de
France, les coureurs s’élancent de
Corse. Sur le final de Bastia, un bus
de l’équipe Orica GreenEdge est blo-
qué au niveau de la ligne d’arrivée,
touchant le portique. Les organisa-
teurs envisagent un temps de dépla-
cer la ligne d’arrivée aux 3 km. La si-
tuation s’étant décantée, ASO décide
de revenir à la ligne originelle. Cet
imbroglio destabilise le peloton. Une
lourde chute a lieu à six kilomètres
de Bastia. Tous les coureurs seront
au final classés dans le même temps.

2016
Au sommet du Mont Ventoux, les
fortes rafales de Mistal inquiètent les
organisateurs, qui décident d’ampu-
ter l’ascension de 6  km, au chalet
Reynard, à la sortie de la forêt. Le final
avait été étonnant, avec un Froome
terminant l’étape à pied (photo), vélo
cassé après avoir percuté une moto.
Thomas De Gendt (Lotto-Soudal)
s’était imposé devant Pauwels (Di-
mension Data) et Navarro (Cofidis).

En 2016, Froome avait terminé à pied
l’étape tronquée du Mont Ventoux.

EPA
Free download pdf