Le Monde - 31.07.2019

(Dana P.) #1

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ÉCONOMIE & ENTREPRISE


MERCREDI 31 JUILLET 2019

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En France, plus de confiance, peu de croissance


Le PIB a plafonné à 0,2 % au deuxième trimestre. Les ménages, bien que plus optimistes, consomment peu


E


st-ce les beaux jours, la
trêve estivale du mouve-
ment des « gilets jau-
nes », la baisse du chô-
mage ou un effet des mesures en
faveur du pouvoir d’achat? En
juillet, pour le septième mois con-
sécutif, la confiance des ménages
s’est améliorée. L’indicateur, tel
que le mesure l’Institut national
de la statistique et des études éco-
nomiques (Insee), avait sombré
en 2018. Malgré une croissance au
deuxième trimestre qui plafonne
à 0,2 %, il dépasse aujourd’hui sa
moyenne de longue période (
au lieu de 100).
Que dit cet agrégat statistique
(qui n’est qu’un agrégat statisti-
que)? Que les quelque 2 000 Fran-
çais interrogés chaque mois par
les comptables nationaux sont
plus optimistes sur leur situation
financière passée et future. Et da-
vantage enclins à « faire des achats
importants ». Une tendance qui
recoupe la perception de l’évolu-
tion des prix et du chômage : infla-
tion maîtrisée d’un côté, bonne
dynamique de l’emploi de l’autre.
Après les sommets de défiance
atteints au plus fort de la crise so-
ciale, la nouvelle ne manquera
pas de conforter le gouverne-
ment dans ses orientations. Mais
cette sérénité statistique retrou-
vée a-t-elle eu des effets sur l’acti-
vité? Peu pour le moment.
Au deuxième trimestre, l’écono-
mie française n’a pas fait d’étin-
celles, selon la dernière estima-
tion de l’Insee, publiée mardi
30 juillet. Plombée par le niveau
de consommation des ménages,
elle progresse à un train de séna-
teur, inférieure d’un dixième aux
prévisions et au 0,3 % enregistré
par le produit intérieur brut (PIB)
pendant les trois premiers mois
de l’année. En d’autres termes, ce
n’est pas parce que les Français se
sentent mieux qu’ils dépensent.
Une retenue qui laisse perplexes
nombre d’économistes.
Car la hausse du pouvoir d’achat
est bien là. Les comptes natio-
naux sont formels : l’indicateur
connaît une poussée inédite de-
puis dix ans, de l’ordre de 2,3 % sur
l’année. Un rebond dopé par les
mesures d’urgence annoncées en
décembre 2018 par le président
Emmanuel Macron, comme la re-
valorisation de la prime d’activité
et la prime exceptionnelle versée

par certaines entreprises à leurs
salariés.
Le problème (pour la crois-
sance), c’est que ces gains ont été
largement mis de côté. « Le taux
d’épargne [qui dépasse les 15 %]
atteint des niveaux qu’on observe
plutôt en période de crise ou
quand les Bourses dégringolent » ,
fait remarquer Mathieu Plane,
économiste auprès de l’Observa-
toire français des conjonctures
économiques (OFCE).

Résultat de cette prudence : la
consommation ralentit. Elle n’a
crû que de 0,2 % au deuxième tri-
mestre, alors que la plupart des
observateurs s’attendaient à un
décollage. Finira-t-elle, au
deuxième semestre, par soutenir
l’activité? Il vaudrait mieux : les
dépenses des ménages représen-
tent 55 % du PIB français. Leur ato-
nie inquiète.
Mais ce manque de ressort n’est
pas l’apanage de l’Hexagone. Dans
un environnement international
marqué par les tensions commer-
ciales, le ralentissement des éco-
nomies dans les émergents et le
blues qui gagne le Vieux Conti-
nent, l’inertie française est même
toute relative. Stéphane Colliac,
économiste pour l’assureur crédit
Euler Hermes, résume en citant
Talleyrand : « Quand je me regarde,
je me désole. Quand je me com-
pare, je me console. »
La France pourrait, en effet, affi-
cher en 2019 une croissance an-

nuelle légèrement supérieure à
celle de la zone euro. L’Insee,
comme la Banque de France, pré-
voit un PIB en hausse de 1,3 %,
contre 0,1 % attendu en Italie et
0,5 % en Allemagne, selon les es-
timations de la Commission
européenne.

L’argent ne manque pas
« On est dans un moment de bas-
cule, voire d’inversion , pense
M. Colliac. Contrairement à ce
qu’on observait l’an passé et au
premier trimestre, la confiance des
ménages repart alors que le climat
des affaires, lui, glisse vers le bas. »
Le phénomène est particulière-
ment visible, à partir de mai, dans
l’industrie manufacturière. L’in-
dicateur qui mesure le climat des
affaires pour les entreprises du
secteur est en baisse après avoir
atteint un pic en janvier 2018.
« Cela se traduit par un rétrécisse-
ment des carnets de commandes
dans des domaines qui produisent

pour l’automobile comme les équi-
pementiers, la métallurgie, l’élec-
tronique et le plastique » , souligne
M. Colliac.
Mais l’inquiétude n’a pas gagné
tous les pans de l’économie, loin
de là. Au deuxième trimestre, l’in-
vestissement des entreprises est
resté dynamique (1,2 %). Dans les
services, dans le bâtiment et
même dans le commerce de dé-
tail, les enquêtes sont bien orien-
tées. « Il y a des vents à nouveau
porteurs dans la construction , es-
time M. Colliac. L’investissement
des ménages dans l’immobilier
s’était contracté à cause des haus-
ses de prix, mais le point bas sem-
ble passé. » Si les mises en chan-
tier ont reculé de 7,9 % entre avril
et juin, selon le ministère des ter-
ritoires lundi 29 juillet, les permis
de construire, eux, se sont redres-
sés au deuxième trimestre.
Le mouvement des « gilets jau-
nes » a-t-il pesé sur le moral des
patrons? Manifestement moins

Les vins français de nouveau sous la menace de Donald Trump


La Fédération des exportateurs de vins et spiritueux redoute que l’accès au marché américain ne soit restreint


L


e vin français a une nou-
velle fois cristallisé l’ire du
président des Etats-Unis.
Dans une salve de Tweet – un for-
mat de communication qu’il af-
fectionne particulièrement –, Do-
nald Trump a réitéré ses menaces,
ripostant au projet du gouverne-
ment d’Edouard Philippe de taxer
les géants du numérique.
« La France vient d’imposer une
taxe du numérique [dite taxe
GAFA] à nos grandes entreprises
technologiques américaines. Si
quelqu’un devait les taxer, cela de-
vrait être le pays d’origine : les
Etats-Unis » , a lancé le locataire de
la Maison Blanche, vendredi
26 juillet, avant de poursuivre :
« Nous annoncerons bientôt une
action réciproque substantielle
après la stupidité de Macron. J’ai
toujours dit que le vin américain
était meilleur que le vin français. »
La Fédération des exportateurs
de vins et spiritueux de France
(FEVS) a aussitôt réagi. Dans un
communiqué publié samedi, elle
s’est dite « naturellement très vigi-
lante aux déclarations du prési-
dent des Etats-Unis, qui sont sus-

ceptibles d’avoir un impact sur le
développement de notre secteur et
les intérêts des opérateurs fran-
çais sur ce marché, mais égale-
ment leurs clients et consomma-
teurs américains. »
En effet, en 2018, les exporta-
teurs de vins français ont réalisé
sur le marché américain un chif-
fre d’affaires supérieur à 1,6 mil-
liard d’euros, soit près de 20 % de
leurs exportations mondiales. En
incluant les spiritueux, essentiel-
lement le cognac, il a atteint
3,2 milliards d’euros, soit une
hausse de 4,6 % par rapport à 2017.
Ce qui fait des Etats-Unis le pre-
mier pays de destination des vins

et des spiritueux français. Un en-
gouement qui, pour l’instant, ne
faiblit pas. D’après la FEVS, le
rythme des exportations de vins
outre-Atlantique continue de
croître en volume comme en va-
leur depuis le début de l’année


  1. Cette performance tient en
    particulier au succès du champa-
    gne, des bourgogne, des côtes-du-
    rhône ou des rosés de Provence.
    M. Trump avait déjà brandi la
    menace d’une taxation des vins
    français en novembre 2018. Il dé-
    nonçait alors les taxes qui pe-
    saient, selon lui, sur les vins amé-
    ricains à leur entrée en France,
    plus importantes que celles frap-


pant les bouteilles françaises. Un
sujet qu’il a, une nouvelle fois,
mis sur la table en juin, de retour
aux Etats-Unis après un déplace-
ment en Normandie.

« Poursuivre le dialogue »
En fait, les droits de douane en vi-
gueur sont fixés au niveau euro-
péen. Une bouteille de vin améri-
cain est taxée à près de 10 centi-
mes d’euro à son entrée sur le
Vieux Continent. Son équivalent
européen, lui, subit une taxe de
5 cents de dollar (4,5 centimes
d’euro) pour franchir la frontière
américaine. En France, les vins
américains restent un marché de
niche. Mais les Etats-Unis comme
la France jouent la carte de la forte
valorisation de leurs appellations
viticoles. Ainsi, selon l’institut pu-
blic FranceAgriMer, les vins amé-
ricains n’ont représenté que 1 %
des volumes importés en France
en 2017, mais 10 % en valeur, soit
80 millions d’euros.
La FEVS appelle « les autorités
françaises et américaines à pour-
suivre leur dialogue en matière de
taxation des services numériques,

au plan bilatéral comme dans les
enceintes internationales et espère
qu’elles sauront ainsi rapidement
trouver la voie à suivre pour éviter
que ces menaces se matérialisent et
viennent restreindre l’accès des vins
français au marché américain. »
Le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire a exhorté, samedi,
le président des Etats-Unis à ne
pas mélanger taxe numérique et
tarifs douaniers, et a insisté sur la
nécessité de « trouver un consen-
sus sur la taxation des activités di-
gitales » , idéalement au moment
du G7, qui se déroulera du 24 au
26 août à Biarritz. Il s’est dit prêt à
retirer la taxe nationale fixée à 3 %

des revenus des géants du numé-
rique contre une taxation décidée
au niveau international.
En attendant, les viticulteurs
français ont un autre sujet de pré-
occupation : le verdict des ven-
danges 2019. Le 20 juillet, le mi-
nistère de l’agriculture s’est prêté,
comme chaque année, à l’exercice
délicat de la prévision. Il estime
que la collecte devrait être en
baisse par rapport au niveau satis-
faisant de 2018. Mais il donne une
fourchette large, avec un repli
compris entre 6 % et 13 % pour un
volume oscillant entre 42,8 et
46,4 millions d’hectolitres.
Les précipitations et le froid lors
de la floraison de la vigne, au prin-
temps, ont rogné le potentiel
dans plusieurs régions. La cani-
cule de juin, quant à elle, a brûlé
des grappes dans le sud de l’Hexa-
gone. Des prévisions critiquées
par le milieu viticole, car jugées
trop précoces. Même si l’Alsace a
également dévoilé, le 29 juillet, un
pronostic de vendanges en baisse,
en dessous du seuil du million
d’hectolitres.p
laurence girard

1,

VARIATION TRIMESTRIELLE, EN %

Le pouvoir d’achat
ÉVOLUTION DES DÉPENSES DE CONSOMMATION DES MÉNAGES, EN %

La consommation des ménages

VARIATION TRIMESTRIELLE DE L’INVESTISSEMENT
DES ENTREPRISES NON FINANCIÈRES, EN %

L’investissement des entreprises

Acquis
2019

T1 2018

0,

T

0,

T

0,

T

0,

T

0,

T

0,

T

0,

1

1,

T

0,

T

0,

2017 2018

VARIATION TRIMESTRIELLE DU PIB, EN %

La croissance

2019

2017 2018 2019 2017 2018 2019

2017 2018 2019

0,

T

0,

T

0,

T


  • 0,


T

0,

T

0,

T

0,

T

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Acquis
2019

0,

Acquis
2019

2018

0,

T

0,

T


  • 0,
    T


0,

T

0,

T

1,

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0,

T

1,

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1,

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T

1,

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1,

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0,

T

1,

T

3,

2,

3,

2018

Acquis
2019

2018

SOURCE : INSEE

La hausse du
pouvoir d’achat
est là. L’indicateur
connaît une
poussée inédite
depuis dix ans,
de l’ordre de 2,3 %
sur l’année

que la conjoncture mondiale. S’ils
ont pu affecter certaines activités
localement, les manifestations et
blocages du début d’année ont
conduit l’exécutif à accroître les
dépenses publiques, mais ils
n’ont pas bouleversé la trajectoire
macroéconomique du pays.
Le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire, l’avait d’ailleurs
reconnu lui-même le 17 mai, en
marge d’une visite au salon des
start-up Vivatech : « Ça a moins
d’incidence que ce que j’aurais cru
d’ailleurs moi-même. »
Reste que, du côté des ménages
comme des entreprises, « il y a
des réserves de croissance » , as-
sure Mathieu Plane. L’argent ne
manque pas sur les comptes
épargne des uns et dans la tréso-
rerie des autres, doublement du
Crédit impôt compétitivité em-
ploi oblige. Toute la question est
de savoir quand ces liquidités se-
ront dépensées.p
élise barthet

1,6 MILLIARD

C’est, en euros, le chiffre d’affaires que les exportateurs français
de vins ont réalisé en 2018 sur le marché américain. Si l’on y ajoute
les spiritueux, et notamment le cognac, il atteint 3,2 milliards
d’euros, soit une progression de 4,6 % par rapport à 2017. Cela fait
des Etats-Unis le premier pays de destination des vins mais aussi
des spiritueux hexagonaux.

Les viticulteurs
de l’Hexagone
ont un autre
sujet de
préoccupation :
le verdict des
vendanges 2019
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