Le Monde - 31.07.2019

(Dana P.) #1

14 |culture MERCREDI 31 JUILLET 2019


0123


Le Roi Lion 2 1 834 892 680 ↓ – 28 % 5 087 788
Toy Story 4 5 317 359 844 ↑ + 14 % 3 736 201
Spider-Man : Far from
Home
4 253 097 690 ↓ – 10 % 2 624 771

Crawl 1 176 391 402 176 391
Annabelle... 3 108 555 342 ↓ – 27 % 687 316

Anna 3 104 551 (^795) – 9 % 540 723
Le Coup du siècle 2 83 893 (^219) – 6 % 204 271
The Operative 1 75 211 276 75 211
Premier de la classe 3 68 355 372 + 14 % 284 079
Yesterday 4 68 296 516 – 1 % 507 811
Nombre
de semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées (*)
Nombre
d’écrans
Evolution
par rapport
à la semaine
précédente
Total
depuis
la sortie
AP : avant-première
Source : « Ecran total »



  • Estimation
    Période du 24 au 28 juillet inclus
    En franchissant la barre des cinq millions d’entrées, après dix jours
    d’exploitation en salle, Le Roi Lion, version live du dessin animé
    réalisé en 1994, accède au triomphe et écrase tout sur son passage.
    Il laisse ainsi derrière lui Toy Story 4 qui, en cinquième semaine,
    a vu sa fréquentation augmenter de 14 %, atteignant ainsi les
    3 736 201 spectateurs. Tandis que s’accroche encore Spider-Man :
    Far from Home
    avec 2 624 771 spectateurs pris dans ses fils.
    Dans les nouveautés, Crawl et sa horde d’alligators parviennent
    à éviter la noyade. Le film américain à sensations fortes réussit en
    effet ses débuts, en attirant 176 391 spectateurs en quête de sus-
    pense et de frayeurs. Il est suivi du film d’espionnage de Yuval
    Adler, The Operative, avec Diane Kruger (75 211 entrées sur 276 sal-
    les), de La Source , de Rodolphe Lauga, avec le rappeur Sneazzy
    (35 707 entrées sur 191 salles) et du long-métrage d’animation
    japonais de Keiichi Hara, Wonderland, le royaume sans pluie,
    qui a su séduire 33 896 amateurs (sur 163 écrans).
    LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
    L E S
    F I L M S
    D E
    L A
    S E M A I N E

    K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr
    p p p p C H E F - D ’ Œ U V R E
    Halte
    Film philippin de Lav Diaz (4 h 36).
    pp p v À N E PA S M A N Q U E R
    Les Faussaires de Manhattan
    Film américain de Marielle Heller (1 h 46).
    p p v v À V O I R
    Midsommar
    Film américain d’Ari Aster (2 h 20).
    Rêves de jeunesse
    Film français d’Alain Raoust (1 h 32).
    Promare
    Film d’animation japonais de Hiroyuki Imaishi (1 h 51).
    C’est l’un des objets les plus démentiels auxquels l’animation
    japonaise ait donné lieu. Premier long-métrage produit par le
    jeune Studio Trigger, Promare , qui a fait sensation au Festival
    d’Annecy, est un déferlement de formes convulsives et de cou-
    leurs acidulées, qui s’infiltrent comme une solution psycho-
    trope dans la rétine du spectateur. Fondé sur l’intégration du
    dessin traditionnel à un environnement animé en images de
    synthèse, le film offre une expérience plastique sous acide, sus-
    ceptible de provoquer la berlue et une migraine. p ma. mt.
    Comme des bêtes 2

    Film d’animation américain de Chris Renaud (1 h 26).
    On ne voit pas d’autre raison d’être à cette suite qu’un stock de
    gags non utilisés. C’est une excellente raison, puisque deux sé-
    quences au moins de Comme des bêtes 2 tiennent de l’antholo-
    gie du cinéma burlesque : l’apprentissage par un chien du
    comportement des chats, et un séjour dans la salle d’attente
    d’un vétérinaire. Le reste du film relève d’un comique plus
    cinétique, propulsant les protagonistes dans une course-pour-
    suite effrénée à travers New York et ses environs, dont l’objectif
    est de délivrer un tigre des griffes d’un méchant directeur
    de cirque. C’est mince, mais le rythme est si soutenu qu’on a
    à peine le temps de s’en apercevoir. p t.s.
    Mon frère

    Film français de Julien Abraham (1 h 36).
    Pour avoir tué son père qui déchaînait sa violence sur lui, sur
    sa mère et son petit frère, le jeune Teddy (Mohamed Sylla) est
    envoyé dans un centre éducatif fermé, dans l’attente de son
    procès. Issu d’un milieu plutôt aisé, le jeune garçon, bien élevé
    et bon élève, se retrouve confronté à la brutalité d’un monde
    qu’il ignore, tandis que lui-même, encadré d’une psy, doit
    apprendre à expulser sa rage. Julien Abraham colle à la peau
    de ces jeunes moins prisonniers des lieux que de leur histoire,
    pris dans les mouvements contradictoires du rejet et de la
    quête d’amour. Le film soutient une tension qui laisse sa place
    à l’émotion, et leur espace aux nuances. p v. ca.
    p v v v P O U R Q U O I PA S
    Ricordi?
    Film franco-italien de Valerio Mieli (1 h 47).
    Auteur d’un premier film – Dix hivers à Venise (2012) – marqué
    par un scénario trop chantourné pour ne pas le couler, Valerio
    Mieli rejoue sa mise avec Ricordi? Soit une belle idée prous-
    tienne – une relation amoureuse montrée à partir des seules
    réminiscences de ses protagonistes – qui ne tient pas la route
    à l’écran, où l’on ne peut montrer sans quelque ridicule des per-
    sonnages qui passent leur temps à se remémorer leur relation
    plutôt qu’à la vivre. Valerio Mieli semble cultiver au cinéma
    un rêve de littérature qu’il devrait peut-être assumer. p j. ma.
    v v v v O N P E U T É V I T E R
    Diego Maradona
    Documentaire britannique d’Asif Kapadia (2 h 10).
    Dans la fabrique de Salomé Richard
    La comédienne, scénariste et réalisatrice illumine « Rêves de jeunesse »
    RENCONTRE


L


a voix calme, les propos
affirmés, Salomé Richard
dégage d’emblée une
douceur empreinte de
détermination. Malgré le bruit en-
vironnant de la brasserie pari-
sienne dans laquelle nous nous
trouvons, elle ne se trouble pas,
prend le temps de la concentra-
tion, choisit ses mots. Elle a l’habi-
tude de ces endroits où elle aime
passer du temps pour écouter la
conversation des autres, observer
leurs gestes et leurs postures. « Ce
qui m’intéresse, c’est le lien qui se
tisse entre les gens, c’est ce que je
raconte dans mes films, le rapport
qu’on a aux autres et au monde »,
précise cette actrice belge, née
en 1987 à Bruxelles, où elle vit tou-
jours, qui est aussi scénariste et
réalisatrice. Parce qu’elle a besoin
à la fois, dit-elle, « d’interpréter
et de fabriquer ».
Elle fait le rapprochement avec
ses parents, qui se sont séparés,
alors qu’elle était petite. « D’un
côté, j’avais mon père, peintre
et écrivain, qui nous a traînés
dans toutes les églises et nous a
ouverts à la culture. Et, de l’autre,
ma mère, psychomotricienne, avec
qui j’avais une relation plus orga-
nique. Elle ne supportait pas que
l’on soit maladroit. Quand je me
cognais à une table, elle me disait :
“Tu n’es pas une carte à jouer, tu as
trois dimensions”. Ma pratique
d’actrice qui met en jeu le corps, et
celle de scénariste réalisatrice qui
correspond plus à un travail intel-
lectuel, est la résultante des deux. »

Personnage manuel
Il y a beaucoup d’elle dans le per-
sonnage de Salomé qu’elle incarne
dans le troisième long-métrage
d’Alain Raoust, Rêves de jeunesse.
Notamment sa faculté d’écoute et
sa façon de se mouvoir. « Je n’ai pas
une gestuelle très gracieuse, telle
qu’on pourrait l’attendre », dit-elle.
Dans Baden Baden (2016), de Ra-
chel Lang, comme dans celui
d’Alain Raoust, je tiens des rôles de
personnage très manuel. C’est cu-
rieux, mais ça me plaît. Pour mon
dernier anniversaire, j’ai demandé
une foreuse. J’aime faire des choses
avec mes mains, construire. »
C’est en la voyant dans Baden
Baden que le réalisateur de Rêves

de jeunesse a eu envie de travailler
avec elle. « J’ai eu vent du projet
très tôt. Au moment où Alain m’a
appelée, le film était très différent
de ce qu’il est devenu. Une fois que
nous nous sommes rencontrés,
nous avons parlé et beaucoup
échangé sur des films, des séries de
photographies que nous aimions.
Alain s’est inspiré de ce que je lui
apportais, il a écrit et réécrit mon
personnage en fonction de ce que
j’étais. Il a même fini par lui donner
mon propre prénom. » Salomé
Richard tient à ce lien qui s’éta-
blit avec les metteurs en scène :
« Si c’est pour faire le pantin, ça ne
m’amuse pas. Ce qui me plaît,
c’est le rapport d’intelligence qui
se crée avec un ou une cinéaste. »
Une fois, elle a refusé un rôle
qu’on lui proposait, « un rôle de
schtroumpfette, de fille, de jolie,
quoi » , s’agace-t-elle.
Car, sur la place et la représenta-
tion des femmes, elle ne lâche
pas. « En 2019, on ne joue plus la
fille, tout de même. Les femmes
que je connais sont des êtres en-

tiers, complexes, forts, fragiles, qui
pensent, travaillent, et ne mettent
pas de robes à fleurs. J’ai de plus
en plus de mal avec cette idée res-
trictive qu’on a d’elles. Je ne com-
prends pas qu’on fasse l’impasse
sur toute leur vie. La représenta-
tion est un outil extrêmement
puissant, et représenter les fem-
mes en arrière-plan, passives, ne
les aide pas à se sentir autorisées ».
Pour sa part, elle ne transige pas.
Seuls l’intéressent les personna-
ges qui, dit-elle, la « tirent vers le
haut » , et auxquels elle s’identifie.

Au départ, Salomé Richard a
hésité. Tentée après le bac par la
comédie et le design, elle s’est à
la fois inscrite au Conserva-
toire royal et à l’Académie royale
des beaux-arts à Bruxelles, en
espérant que le sort déciderait
pour elle. Il ne l’a pas fait. Admise
aux deux, elle a dû choisir. L’école
n’avait pas été son affaire – « je
n’en saisissais pas le sens, sauf en
littérature, parce qu’il y avait
matière à penser » – , le Conser-
vatoire, en revanche, l’a conquise.
Elle y a trouvé une source d’amu-
sement et un esprit de troupe
qui lui convenait. « J’avais l’im-
pression de me trouver en colo-
nie de vacances. C’est plus tard
que j’ai découvert le revers de la
médaille, cette difficulté à trouver
un équilibre entre les grandes
vagues de plaisir collectif que
sont les tournages et la solitude,
le vide qui y succèdent. » La réali-
sation, l’écriture, le bricolage...
Salomé Richard, elle, a trouvé
ses garde-fous.p
véronique cauhapé

Salomé Richard dans « Rêves de jeunesse ». SHELLAC

« Alain Raoust
s’est inspiré
de ce que je lui
apportais, il a
écrit et réécrit
mon personnage
en fonction
de ce que j’étais »

Parenthèse estivale dans une décharge


Le quatrième film d’Alain Raoust est un précipité désenchanté de la France contemporaine


RÊVES DE JEUNESSE
ppvv

V


oilà bientôt douze ans
que l’on n’avait plus eu de
nouvelles d’Alain Raoust,
réalisateur parcimonieux né à
Nice en 1966 et venu pas à pas à la
fiction après des débuts dans la
nébuleuse du cinéma expéri-
mental des années 1980-1990.
Rêves de jeunesse, son quatrième
long-métrage seulement en
vingt-sept ans, présenté en
ouverture de la sélection de l’As-
sociation du cinéma indépen-
dant pour sa diffusion (ACID) lors
du Festival de Cannes 2019,
combine le portrait d’une jeune
femme en devenir (à l’instar de La
Vie sauve en 1998 ou de La Cage
en 2002) et un précipité désen-
chanté de la France contempo-
raine, imaginant une hypothéti-
que rencontre des affects politi-
ques déçus de notre époque.
Salomé (l’excellente Salomé Ri-
chard), étudiante en ébénisterie,
revient le temps d’un été dans le
village des Alpes-de-Haute-Pro-
vence de son enfance, pour y tra-
vailler comme gardienne dans
une déchetterie. Sur place, elle se
retrouve livrée à elle-même au
milieu d’une grande esplanade

baignée de soleil et semée de trois
bennes, sans autre logement va-
lide qu’un van abandonné. Ce cul-
de-sac isolé devient l’escale impro-
visée de plusieurs personnages en
transit, tous aussi désorientés les
uns que les autres et inadaptés
aux temps qui courent. A com-
mencer par l’éruptive Jessica (Es-
telle Mayer), candidate hors piste
d’un jeu de télé-réalité intitulé « I
Will Survive », bientôt suivie par
Clément (Yoann Zimmer), jeune
homme ténébreux dont le frère
aîné a perdu la vie dans une ZAD,
puis par un cycliste suicidaire (Jac-
ques Bonnaffé) qui ne se par-
donne pas d’avoir un jour cédé au
vote d’extrême droite.

Terminus existentiel
Ainsi, le décor de la décharge
prend une signification plus large
pour devenir, en quelque sorte,
un terminus existentiel, voire ci-
vilisationnel, où échouent inopi-
nément les êtres au rebut. Alain
Raoust filme ce lieu sans qualité
dans son étendue, son ouverture
et son isolement, comme une
sorte de poste-frontière reculé.
Chacun des personnages porte en
lui la marque d’une pression exté-
rieure ou d’une injonction, de cel-
les qu’une société française de
plus en plus concurrentielle fait

peser sur les individus. Pression
qui se manifeste d’abord dans les
mots : ceux de la patronne de
Salomé, qui lui sert à son arrivée
un panégyrique entrepreneurial
béat et frelaté, sans pour autant
tenir ses propres engagements ;
ceux de Jessica, qui concourt pour
devenir « premier de cordée » (le
macronisme brocardé), avec à la
clé l’espoir de décrocher la forma-
tion de ses rêves. A travers eux se
profile le spectre d’une France
malade, dont les nouveaux mo-
dèles de réussite sont des leurres
ou ne font plus rêver.
Mais la décharge s’avère aussi le
lieu d’une mémoire laissée en
friche, contenant en creux la pré-
sence d’un disparu : le précédent
gardien, Mathis, qui a laissé sur
place toutes ses affaires, disques
et affiches de films, et dont la voix
enregistrée sur une radiocassette
réinvestit parfois les lieux. Cette
place laissée vacante renferme la
plus belle part du film, d’où sur-
gissent une mémoire et un deuil
partagés entre Salomé et Clé-
ment, desquels pourra naître leur
propre histoire d’amour. Place
vide, enfin, où vient aussi se loger
quelque chose du regard d’Alain
Raoust, qui observe ses jeunes
protagonistes depuis la perspec-
tive d’une époque révolue.

Rêves de jeunesse ne s’aban-
donne pas seulement à cette
pente mélancolique, mais vaut au
contraire pour sa capacité à bras-
ser les registres : excentricité co-
mique, tendresse romantique,
sensualité élégiaque... Puisqu’il
n’est question ici que de trouver
sa place, le film applique le prin-
cipe à la lettre et laisse ses person-
nages déployer librement leur
singularité, sans les enfermer
dans une dramaturgie trop direc-
tive. Au risque parfois de tenir à
pas grand-chose et d’accueillir
des passages beaucoup plus iné-
gaux (l’arrivée très histrionique
de Jessica, le personnage du cy-
cliste trop vite évacué). Ce côté un
peu bancal, décoiffé, est aussi ce
qui fait le charme de Rêves de jeu-
ness e. Après tout, ses personna-
ges ne sont pas réunis pour appli-
quer un programme, fût-il politi-
que, mais pour occuper au mieux
cette parenthèse estivale entre
hier et demain : se réconforter,
panser les plaies, éventuellement
s’aimer, en tout cas faire un petit
bout de chemin ensemble.p
mathieu macheret

Film français d’Alain Raoust.
Avec Salomé Richard, Yoann
Zimmer, Estelle Meyer, Jacques
Bonnaffé, Christine Citti (1 h 32).
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