Le Monde - 31.07.2019

(Dana P.) #1
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MERCREDI 31 JUILLET 2019 | 17

L’espace tient son université d’été à Strasbourg


L’International Space University (ISU) attire vingt-six nationalités différentes grâce à son offre de formation interdisciplinaire


strasbourg - correspondance

E


n France, le mot « spatial » est
naturellement associé aux pô-
les de Toulouse et de Paris. Ce
que l’on sait moins, c’est que
l’Hexagone abrite aussi une originale
université internationale de l’espace,
l’International Space University (ISU).
Loin des centres aéronautiques, elle est
située à Strasbourg, qui, pour l’ac-
cueillir, a su faire valoir son ouverture
européenne et internationale.
Ambiance de conférence de haut niveau
sur le campus d’Illkirch-Graffenstaden, au
sud de Strasbourg. A la cafétéria, de petits
groupes de personnes discutent autour
de graphiques et de schémas, pendant
que les écrans retransmettent une confé-
rence donnée dans un des amphithéâtres
du bâtiment. Les couloirs résonnent d’un
anglais aux accents multiples.
Bienvenue à l’université d’été de l’es-
pace qui, pendant deux mois, rassemble
126 élèves et près de 190 experts du
monde entier. Les Français y sont lar-
gement minoritaires, devancés par les
Chinois, les Indiens, les Britanniques ou
encore les Américains. Au total, 26 natio-
nalités s’y côtoient, avec des participants
âgés de 21 à 57 ans.

Sept disciplines enseignées
La session d’été est aussi l’occasion
d’ouvrir l’institution au grand public,
avec des conférences et des animations.
En cette année où l’on fête le demi-siècle
du premier pas de l’homme sur la Lune,
les Strasbourgeois ont ainsi pu profiter
d’une rencontre avec Buzz Aldrin,
deuxième Américain à avoir foulé le sol
lunaire, et d’autres astronautes.
A l’ISU, sept disciplines différentes sont
enseignées à parts égales : ingénierie
spatiale, sciences, applications liées aux
techniques spatiales (communications,
observation de la Terre, systèmes de na-
vigation), performance humaine dans
l’espace, économie, droit et philosophie
(en particulier l’« effet de surplomb » res-
senti par les astronautes). Une interdisci-
plinarité qui distingue cette formation
des autres cursus spatiaux existant à
travers le monde, davantage liés aux
sciences de l’ingénieur.
A Strasbourg, la formation combine
cours magistraux, ateliers et projets de
recherche, qui vont de la faisabilité d’un
système de propulsion reproduisant une
gravité artificielle dans le vaisseau au dé-
veloppement d’applications d’aide à
l’aménagement urbain, en passant par la
conception d’essaims de nanosatellites.
Ils sont animés par des professionnels
issus des différentes agences spatiales,
d’entreprises privées ou de centres de re-
cherches. « Cela fait de l’ISU une porte
d’accès incroyable à la filière » , estime Léo
Band, élève de la session 2019.

Ce benjamin de l’université d’été est un
étudiant-entrepreneur en deuxième an-
née de biologie. Au milieu d’une promo-
tion composée aux trois quarts d’ingé-
nieurs, il fait un peu figure d’exception.
Repéré en 2018 par le Centre national
d’études spatiales (CNES) et l’Agence spa-
tiale européenne (ESA) lors du hackathon
ActInSpace, il veut développer un sys-
tème de gestion des odeurs applicable au
domaine spatial. Sa participation à l’uni-
versité d’été de l’ISU a donné une nou-
velle orientation à son projet, et il a désor-
mais bon espoir de travailler d’ici à 2021
avec Thomas Pesquet.
C’est en 1987, au cours d’une confé-
rence internationale organisée au Mas-
sachusetts Institute of Technology (MIT),
à Boston, que trois étudiants américains,
Peter Diamandis, Todd Hawley et Robert
Richards, ont eu l’idée de créer une for-
mation spatiale qui dépasserait l’esprit
de compétition entre Etats prévalant jus-
que-là. Le programme d’études a d’abord
pris la forme d’une université d’été itiné-
rante, avant qu’un concours interna-
tional ne soit lancé pour son accueil.

L’ayant hébergée en 1989, Strasbourg a
remporté la mise grâce à l’implication de
son Eurométropole, qui offrait à l’ISU un
bâtiment sur mesure. L’université de
l’espace est installée depuis 1994 au parc
d’innovation d’Illkirch-Graffenstaden.
L’ISU propose un master en études spa-
tiales et une formation accélérée d’une se-
maine, consacrée aux professionnels. Elle
accueille également une chaire du CNES.
A la rentrée prochaine, elle sera tenue par
l’astrophysicien Bertrand Goldman, qui
poursuit des recherches sur les naines

brunes, ces énormes boules de gaz dont
la masse n’est pas suffisante pour
qu’elles puissent déclencher le feu ther-
monucléaire qui ferait d’elles des étoiles.
Hors les murs, l’ISU propose par ailleurs
des cursus aux Etats-Unis ainsi qu’en
Australie. L’université d’été, qui dure neuf
semaines, a quant à elle gardé son côté
itinérant, tout en revenant régulièrement
à Strasbourg.

Réseau d’anciens
Au fur et à mesure des années, un impor-
tant réseau d’anciens s’est constitué, re-
présentant une part non négligeable de la
filière spatiale. Parmi eux, Yi So-yeon,
première astronaute coréenne, l’Améri-
caine Jessica Meir, qui devrait intégrer la
Station spatiale internationale à la fin
de l’année, ou encore l’Italo-Colombien
Diego Urbina, responsable de projets
d’exploration de milieux extrêmes pour
l’ESA et membre de la mission Mars500.
Quatre-vingts pour cent des diplômés de
l’ISU travaillent en effet dans le secteur
spatial pris dans sa globalité : agences et
industries spatiales, mais aussi entrepri-

ses de télécommunication, du numéri-
que, de l’électronique, de la gestion de
données, de la robotique, car nombreux
sont les domaines liés à l’activité spatiale.
Des liens étroits associent d’ailleurs
l’ISU aux acteurs du secteur. Ils per-
mettent de financer les frais de scolarité
du master plutôt élevés (de 18 500 à
25 000 euros). Pour le président de l’uni-
versité, Juan de Dalmau – un ingénieur
retraité de l’ESA –, l’enjeu est désormais
de faire entrer le master de l’ISU dans le
processus de Bologne. Il n’est, pour l’ins-
tant, reconnu que grâce à des accords bi-
latéraux passés avec certaines universi-
tés (en France, l’université de Strasbourg
et Paris-Sud). Autre combat, faire en sorte
que les jeunes pousses qui ont démarré
à Strasbourg restent dans la région – les
sociétés Planet Labs, UrtheCast, Open
Cosmos, Spire, fondées par d’anciens de
l’ISU, sont toutes implantées à l’étranger.
Pour cela, un incubateur verra le jour à la
rentrée, en complément du programme
d’accompagnement lancé en 2018 avec
les pôles de compétitivité du Grand Est.p
nathalie stey

CETTE FORMATION


SE DISTINGUE


DES AUTRES CURSUS


SPATIAUX EXISTANT


À TRAVERS LE MONDE,


DAVANTAGE LIÉS AUX


SCIENCES DE L’INGÉNIEUR


L’ÉTÉ DES SCIENCES


Les hépatites B et C éliminées d’ici à 2030?


Pour atteindre cet objectif, un budget annuel de 6 milliards de dollars doit être investi


L


es hépatites virales B et C,
qui affectent 325 millions de
personnes dans le monde,
et en tuent chaque année plus de
1,3 million, pourraient être élimi-
nées d’ici à 2030 par un investisse-
ment de 6 milliards de dollars par
an dans des programmes de dé-
pistage et de traitements. C’est ce
qu’estime une étude de l’Organisa-
tion mondiale de la santé (OMS),
publiée dans la revue Lancet Glo-
bal Health le 25 juillet, en amont
de la Journée mondiale de lutte
contre les hépatites, le 28 juillet.
Des cinq types d’atteintes vira-
les du foie connues (A, B, C, D, E),
les plus redoutables sont les B et
C. Elles sont responsables de 95 %
des décès, principalement par cir-
rhose ou cancer du foie survenant
sur une hépatite chronique.
En 2016, l’assemblée générale
de l’OMS a adopté une résolution

pour réduire de 90 % l’incidence
et de 65 % la mortalité des hépa-
tites B et C d’ici à 2030, par plu-
sieurs interventions : vaccination
contre l’hépatite B, programmes
de prévention et réduction des
risques, dépistage et traitement
de ces deux hépatites.
C’est le coût de ce dernier volet
qui a été modélisé par David
Tordrup (université d’Utrecht,
Pays-Bas) et ses collègues de l’OMS.
Ils ont pris en compte 67 pays à re-
venu faible ou intermédiaire, où
vivent la grande majorité des pa-
tients atteints d’hépatite B et C
(90 % et 73 % respectivement). Ils
ont testé trois scénarios : le pre-
mier a consisté à rester sur les ap-
proches actuelles, le deuxième a
appliqué les recommandations de
l’OMS en matière de dépistage et
de traitement par antiviraux, et le
troisième (dit ambitieux) s’est

placé dans les conditions d’une éli-
mination d’ici à 2030. Pour attein-
dre cet objectif idéal, un budget de
58,7 milliards de dollars supplé-
mentaires sur cette période, soit
6 milliards de dollars annuels, est
nécessaire, estiment les cher-
cheurs. Cet effort pourrait éviter
4,5 millions de décès prématurés
dans les dix prochaines années.

Couverture de santé universelle
« Aujourd’hui, 80 % des personnes
vivant avec une hépatite n’ont pas
accès aux services nécessaires
pour prévenir, dépister et traiter
ces maladies », souligne dans un
communiqué Tedros Adhanom
Ghebreyesus, directeur général
de l’OMS, en appelant les pays à
se mobiliser sur le sujet.
Certains le sont déjà, tels l’Inde
qui a annoncé la gratuité du
dépistage et du traitement des

hépatites B et C dans le cadre d’un
système de couverture santé uni-
verselle. Cette mesure a été facili-
tée par la baisse du prix des médi-
caments antiviraux. En Inde, un
an de traitement contre l’hépa-
tite B revient à moins de 30 dol-
lars, et une cure pour traiter l’hé-
patite C à moins de 40 dollars. Par
comparaison, en France, le prix
d’une cure de douze semaines va
de 25 000 à 37 000 euros.
« Les programmes de dépistage
et de traitement des hépatites sont
efficaces et réalisables. Ils ont un
coût raisonnable, et un impact
élevé. Ils remplissent donc toutes
les conditions pour être inclus dans
les systèmes de couverture de santé
universelle », résume le docteur
Yvan Hutin (programme hépatite
de l’OMS), deuxième auteur de
l’article du Lancet Global Health .p
sandrine cabut

L’astronaute Buzz Aldrin
(troisième en partant
de la gauche), lors de sa
conférence devant les étudiants
de l’ISU de Strasbourg, le 30 juin.
MARC DOSSMAN/PHOTO EXPRESSION

CARNET DE SANTÉ

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Illustration : Agathe Dahyot / Le Monde
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