Le Monde - 31.07.2019

(Dana P.) #1

4 |international MERCREDI 31 JUILLET 2019


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Rapprochement entre anciens présidents ivoiriens


Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié se sont rencontrés à Bruxelles, en vue de la présidentielle 2020


A


ucune photo n’est
venue immortaliser la
rencontre, qui s’est
tenue lundi 29 juillet à
Bruxelles, et les entourages
respectifs ont insisté avant tout
sur le caractère « fraternel » de ces
retrouvailles. « Dans la logique
africaine, c’est au petit frère de
rendre visite à son aîné. Cette
tradition ne pouvant être respec-
tée du fait des obligations judiciai-
res du président Gbagbo, Henri Ko-
nan Bédié a donc émis le souhait
de venir le voir » , relate Me Habiba
Touré, l’une des avocates de Lau-
rent Gbagbo, tout en expliquant
que son client « n’avait aucune ré-
ticence à retrouver son grand frère
car, depuis sa remise en liberté
conditionnelle [par la Cour pénale
internationale (CPI), le 1er février] ,
il reçoit beaucoup de monde dans
une logique de réconciliation. »
Le ton est tout aussi courtois
dans la délégation de M. Konan
Bédié (1993-1999), partie la veille
de Paris, où l’on signale, pour
renforcer l’idée de cette nouvelle
proximité, que les deux ex-chefs
de l’Etat de Côte d’Ivoire étaient
accompagnés de leurs épouses
respectives. La rencontre a duré

environ deux heures, le tête-à-
tête à huis clos une trentaine de
minutes. « Quand ils en sont
sortis, on a retrouvé deux frères »,
se félicite Pierre Narcisse N’Dri
Kouadio, le directeur de cabinet
de M. Konan Bédié.
Si un rapprochement est engagé
depuis plusieurs mois entre le
Front populaire ivoirien (FPI)
fondé par Laurent Gbagbo et le
Parti démocratique de Côte
d’Ivoire (PDCI) de Henri Konan
Bédié, il y a aussi entre ces deux
figures centrales de la vie politi-
que locale des trente dernières
années de vieux contentieux à
régler. Il fut en effet un temps pas
si lointain où Laurent Gbagbo,

portées aux acquis démocrati-
ques et à l’Etat de droit » , appellent
à « la libération de tous les prison-
niers politiques » ou à « une ré-
forme profonde de la Commission
électorale indépendante » , dont la
nouvelle formule est contestée
par toutes les forces d’opposition.
FPI et PDCI sont encore loin
d’avoir scellé une union en vue de
la prochaine présidentielle. Les
deux partis sont soumis à des
divisions internes soutenues par
le pouvoir en place, et les patrons
respectifs des deux formations
n’ont pas encore fait connaître
leur intention pour 2020. Mais
une chose est sûre : leur nouvelle
entente se construit avant tout
contre Alassane Ouattara.
Laurent Gbagbo reste, selon son
avocate, « concentré sur sa procé-
dure et les futures échéances judi-
ciaires » – la procureure de la CPI
a jusqu’au 16 septembre pour faire
appel, à la suite de l’acquittement
de crimes contre l’humanité
prononcé en première instance
en janvier. Mais nul doute que la
tentative de coup d’Etat du 19 sep-
tembre 2002, derrière laquelle il
a régulièrement affirmé que se
cachait la main de M. Ouattara,

son transfert devant la justice in-
ternationale après huit mois de
détention en Côte d’Ivoire ou le
maintien en détention de certains
de ses proches demeurent pour lui
des motifs de récrimination
contre celui qui l’a chassé du palais
présidentiel en avril 2011.
Henri Konan Bédié, 85 ans
aujourd’hui, attendait pour sa
part qu’Alassane Ouattara lui
permette de retrouver la fonction
qu’il avait fuie dans la précipita-
tion un jour de réveillon de Noël
1999, lorsqu’un groupe de soldats
en colère avait pris les rues d’Abid-
jan et lui, un vol pour Paris. Après
s’être rangé en 2010 puis en 2015
derrière celui avec lequel il s’était
allié après des années de rivalité
féroce, « le Sphinx de Daoukro »
escomptait qu’en 2020, l’actuel

président le laisse concourir pour
le compte de leur alliance politi-
que ou, au moins, pour désigner
son candidat. En vain. Depuis, la
rupture est consommée entre les
deux hommes et Henri Konan
Bédié a entrepris un travail de sé-
duction auprès du FPI, bien cons-
cient que l’arithmétique politique
ivoirienne a jusqu’ici reposé sur
une équation simple : dans un jeu
où s’opposent trois grands partis,
on gagne à deux et l’on perd seul.
Du côté du pouvoir, on moque
cette nouvelle alliance « sans pro-
jet politique », « ces politiques qui
veulent artificiellement créer un
sentiment de crise pour justifier
une probable absence à une élec-
tion où ils se savent battus ». Plus
inquiet, un observateur s’inter-
roge sur les conséquences d’une
union PDCI-FPI qui, du fait de la
base régionale de chaque parti,
« reconfigurerait une séparation
Nord-Sud ». Celle-ci pourrait per-
mettre au pouvoir de remobiliser
ses bastions du nord face à la
crainte d’une défaite électorale,
mais elle rappellerait aussi que les
démons ivoiriens de la division
n’ont pas disparu.p
cyril bensimon

Crise politique au Guatemala autour


de la question des réfugiés


Un texte signé avec les Etats-Unis donne à ce pays pauvre et violent un statut de « pays tiers sûr »


mexico - correspondance

L


a polémique ne cessait d’en-
fler au Guatemala, lundi
29 juillet, quatre jours après
la signature, avec Washington,
d’un accord contesté sur le droit
d’asile. Le président de ce petit
pays pauvre et violent d’Amérique
centrale, Jimmy Morales, a accepté
d’accueillir sur son sol les deman-
deurs d’asile aux Etats-Unis. Ce
statut de « pays tiers sûr », à la léga-
lité et la faisabilité incertaines,
provoque une crise politique entre
les deux tours de l’élection prési-
dentielle. « Traître à la nation! »,
scandaient des centaines de mani-
festants réunis, samedi 27 juillet,
dans la capitale du Guatemala,
brandissant des pancartes accu-
sant le président Morales d’être
« la marionnette de Donald
Trump ». La veille à Washington, le
locataire de la Maison Blanche ap-
plaudissait cet accord bilatéral fai-
sant du Guatemala un « pays tiers
sûr », pour freiner le flux record de
clandestins vers les Etats-Unis.
Ce statut international, créé lors
de la Convention sur les réfugiés
de 1951 à Genève, prévoit que les
demandeurs d’asile traversant un
pays intermédiaire devront réali-
ser leurs démarches dans ce der-
nier et non plus dans le pays de
destination. Evitant d’employer le
terme de « pays tiers sûr », l’admi-
nistration Morales a précisé que
l’accord s’appliquerait aux Hondu-
riens et aux Salvadoriens qui com-
posent, avec les Guatémaltèques,

la plupart des migrants en route
vers les Etats-Unis.
« C’est irresponsable, alors que le
pays n’est déjà pas capable de ga-
rantir des conditions de vie dignes à
ses propres citoyens, obligés eux-
mêmes de migrer », s’est offusqué
dans les médias Mauro Verzeletti,
directeur du refuge pour migrants
la Casa del Migrante. La pauvreté
frappe 59,3 % des Guatémaltèques,
selon la Commission économique
pour l’Amérique latine et les
Caraïbes. Sans compter la violence
endémique (21 homicides pour
100 000 habitants). Au point que
les Guatémaltèques représentent
34 % des arrestations à la frontière
américaine, davantage que les
Honduriens (30 %) ou les Salvado-
riens (10 %). « Le Guatemala n’est
en aucune manière [un pays] sûr
pour les demandeurs d’asile », s’est
alarmé dans la presse Eric
Schwartz, président de l’organisa-

tion non gouvernementale Refu-
gees International, emboîtant le
pas à Amnesty International.
En pleine campagne présiden-
tielle, les candidats sont montés
au créneau : « Nous n’avons pas la
capacité et les financements pour
accueillir ces migrants », a réagi
Sandra Torres, du parti Union na-
tionale de l’espérance (social-dé-
mocrate), sortie victorieuse, avec
22 % des voix au premier tour de
l’élection, le 16 juin. L’ancienne
épouse du président Alvaro Colom
(2008-2012), opposante de M. Mo-
rales, s’inquiète de la vétusté et
de l’insuffisance des centres de
l’Institut guatémaltèque de la mi-
gration (IGM). L’IGM a accueilli,
en 2018, seulement 232 réfugiés.
L’accord pourrait multiplier ce
chiffre plus de 700 fois, puisque
167 417 migrants honduriens et
salvadoriens ont demandé l’asile
aux Etats-Unis l’an passé. Quant à
l’autre finaliste du second tour de
la présidentielle, prévue le 11 août,
Alejandro Giammattei, du parti
conservateur Vamos, il assure que
« c’est au prochain gouvernement
de mener cette négociation ».

« Sous la menace »
A la mi-juillet, face à l’opposition
de la Cour constitutionnelle du
Guatemala, le président Morales
avait renoncé à un déplacement à
Washington pour signer l’accord.
La plus haute instance judiciaire
du pays avait considéré qu’un tel
texte devait d’abord être débattu
au Congrès. De quoi provoquer

l’ire de Donald Trump, qui avait
menacé le Guatemala de taxer ses
produits et les envois de fonds de
ses émigrés aux Etats-Unis à leurs
familles restées au pays. M. Trump
avait aussi brandi une possible li-
mitation des entrées des Guaté-
maltèques sur le sol américain.
Depuis, M. Morales a cédé, invo-
quant la nécessité d’éviter des
« sanctions économiques drasti-
ques ». La moitié des exportations
guatémaltèques vont aux Etats-
Unis. « Un million d’emplois étaient
en jeu », a répété, lundi, son minis-
tre de l’intérieur, Enrique Degen-
hart, signataire de l’accord à
Washington, louant un « accord de
coopération (...) qui ouvre la porte à
l’octroi de visas temporaires [aux
Etats-Unis] pour les travailleurs
[guatémaltèques] du secteur agri-
cole ». Mais rien n’assure que cet
accord entrera en vigueur avant le
départ, mi-janvier 2020, de M. Mo-
rales. Une ratification par le Con-
grès, où son parti est minoritaire,
fait débat dans la presse. D’autant
que le procureur chargé des droits
de l’homme, Jordan Rodas, a pré-
senté, lundi, un recours devant la
Cour constitutionnelle contestant
la validité de l’accord signé, selon
lui, « sous la menace ». Indépen-
dant du pouvoir, M. Rodas a exigé
la démission de M. Degenhart, qui
n’aurait pas eu la légitimité pour
signer l’accord. A moins de deux
semaines du second tour de la pré-
sidentielle, la crise politique et ju-
ridique ne fait que commencer.p
frédéric saliba

l’opposant rompu à la prison et à
l’exil, ne cachait pas son peu d’es-
time pour celui qui n’avait eu qu’à
hériter du pouvoir légué par le
père de l’indépendance, Félix
Houphouët-Boigny. Pour sa part,
M. Konan Bédié ne manquait pas
de déclarer Laurent Gbagbo « indi-
gne » de sa fonction lorsque ce
dernier était aux commandes de
la Côte d’Ivoire, entre 2000 et 2011.

« Réconciliation nationale »
Comme il se doit en politique, la
sincérité de cette nouvelle amitié
est questionnable. Cependant, elle
s’appuie sur un socle qui pourrait
lui donner davantage de solidité.
Sous le couvert d’une recherche
de la « réconciliation nationale » ,
les deux hommes poursuivent, a
priori, le même objectif pour
l’élection prévue à l’automne
2020 : faire chuter Alassane Ouat-
tara ou celui qu’il désignera
comme son successeur sur le fau-
teuil présidentiel. Dans leur com-
muniqué commun, préparé à la
veille de leur rencontre, les deux
anciens présidents ne nomment
à aucun moment l’actuel chef de
l’Etat mais accablent sa politique.
Ils déplorent ainsi « les atteintes

Douze ans de prison


pour un dissident chinois


Huang Qi anime le site 64 Tianwang, qui
dénonce des violations des droits humains

L


e militant des droits de
l’homme chinois Huang Qi,
56 ans, a été condamné,
lundi 29 juillet, à douze ans de pri-
son pour « divulgation de secrets
d’Etat » et « divulgation de secrets
d’Etat à l’étranger » par la Cour
populaire intermédiaire de Mia-
nyang, dans le Sichuan. La sen-
tence, la plus lourde de ces derniè-
res années contre un militant, a
été prononcée un peu plus de six
mois après son procès, qui s’est
tenu à huis clos le 14 janvier.
Journaliste de formation, Huang
Qi est connu pour son site d’infor-
mation, 64 Tianwang, qu’il ani-
mait depuis Chengdu, la capitale
du Sichuan. Hébergé sur un ser-
veur à l’étranger et censuré en
Chine, 64 Tianwang publie des ar-
ticles sur toutes sortes de vio-
lations des droits souvent tues
dans la presse chinoise – des dé-
molitions forcées d’habitations à
la persécution des pétitionnaires
et des défenseurs des droits. Le
nom du site est une référence di-
recte au 4 juin 1989, jour du mas-
sacre de Tiananmen.

Gravement malade
Détenu depuis deux ans, Huang Qi
souffre d’une grave maladie des
reins, et figure en bonne place sur
la liste des prisonniers politiques
dont les délégations occidentales
en Chine demandent la libération.
La sentence prononcée lundi a été
vivement condamnée par les orga-
nisations des droits de l’homme.
Pour Christophe Deloire, le secré-

taire général de Reporters sans
frontières (RSF), qui avait attribué
en 2016 son prix de la liberté de la
presse au site 64 Tianwang, cette
dernière est « équivalente à la
peine de mort, considérant à quel
point la santé de Hang Qi s’est dété-
riorée ». M. Deloire a appelé le pré-
sident chinois, Xi Jinping, à « mon-
trer de la compassion » en pardon-
nant le militant pour le crime pour
lequel il est condamné.
Pour Sophie Richardson, respon-
sable en Chine de Human Rights
Watch, ce verdict prouve « la mani-
pulation grossière par la Chine et le
président Xi de son système légal,
et son hostilité à toute forme d’acti-
visme constructif et pacifique ».
Les ONG dénoncent également le
harcèlement des autorités contre
la mère de Huang Qi, une cardiolo-
gue à la retraite, âgée de 85 ans,
qui essaie d’alerter le monde sur
la santé de son fils.
Huang Qi a effectué un premier
séjour en prison de 2000 à 2005,
pour incitation à la subversion,
après avoir publié sur son site In-
ternet précédent, alors consacré
aux victimes d’enlèvement, des
opinions de dissidents sur les
questions ethniques et de reli-
gion. Il fut ensuite de nouveau
condamné en 2010 pour les nom-
breux témoignages et articles
de 64 Tianwang sur les défauts
de construction des écoles qui ont
conduit à des milliers de morts
parmi les écoliers lors du séisme
de 2008.p
brice pedroletti

Il y a entre
ces deux figures
centrales de la
vie politique des
trente dernières
années de vieux
contentieux
à régler

Les ex-présidents
accablent
la politique
de l’actuel chef
de l’Etat, Alassane
Ouattara

GUATEMALA

HONDURAS

SALVADOR

BELIZE

MEXIQUE

Guatemala

OCÉAN PACIFIQUE

Lac
Izabal

Flores

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Quezaltenango

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Barrios

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