Le Monde - 31.07.2019

(Dana P.) #1

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FRANCE


MERCREDI 31 JUILLET 2019

0123


nantes et rennes - envoyée spéciale

I


ls sont quatre, un peu
comme les mousquetaires.
Unis dans leur volonté de
garder ou de gagner leur
ville ou leur collectivité locale en
donnant à leur politique une
orientation résolument écolo-
giste. Déterminés aussi à rénover
sur le terrain la doctrine du PS.
Johanna Rolland et Nathalie Ap-
péré, maires de Nantes et de Ren-
nes, Carole Delga, présidente de la
région Occitanie, Mathieu Klein,
président du conseil départe-
mental de Meurthe-et-Moselle et
probable candidat à la mairie de
Nancy, forment depuis deux ans
un réseau informel soucieux de
porter un projet social-démocrate
imprégné de l’urgence environ-
nementale. Loin de Paris et de
l’appareil, ils veulent convaincre,
à l’approche des municipales,
que leurs pratiques locales sont la
solution à gauche.
Tous gèrent leur collectivité
avec les écologistes dans un cli-
mat d’entente mêlée à une mé-
fiance historique. Car ces derniers
ont longtemps eu le sentiment
qu’ils devaient imposer leurs pro-
positions à des socialistes encore
obnubilés par le développement
économique de leur ville. Le dérè-
glement climatique et ses consé-
quences politiques, notamment
la mobilisation d’une partie de la
jeunesse, semblent cependant
avoir agi comme un accélérateur.
Aiguillonnés par Europe Ecolo-
gie-Les Verts (EELV) mais aussi par
des habitants préoccupés, les qua-
tre quadras ont compris qu’il leur
fallait inventer un nouveau mo-
dèle de gestion des territoires, in-
cluant participation citoyenne et
projets concrets parfois inspirés
du programme des Verts. Avec
l’impératif de garder leur spécifi-
cité. Pas facile, au moment où
EELV se sent pousser des ailes
après son score aux élections
européennes.

« Métropole sobre »
« Il y a une transition écologique de
gauche et populaire si on la met au
service de la lutte contre les inégali-
tés » , assure Johanna Rolland,
maire de Nantes. L’élue PS qui di-
rige la ville depuis 2014 assume
avoir été d’abord imprégnée par
un logiciel socialiste classique :
« Ma prise de conscience écolo date
de 2015. Avant, mon ressort, c’était
la lutte contre les inégalités » , re-
connaît l’ancienne adjointe de
Jean-Marc Ayrault. Comme beau-
coup d’élus et responsables de
gauche, elle a été formée par un
corpus idéologique marqué par le
productivisme et le progrès tech-
nique. Aujourd’hui, la quadragé-
naire assure que toutes les politi-
ques publiques de Nantes sont
passées au crible écologiste.

L’élue est convaincue que les
métropoles ont un rôle majeur à
jouer dans la lutte contre les émis-
sions de gaz à effet de serre. Mais
elle veut le faire en prenant soin
des populations les plus modes-
tes, dit-elle. Plan soleil avec créa-
tion de fermes photovoltaïques,
végétalisation de l’espace avec
installations d’îlots de fraîcheur
et coefficient d’espaces verts
inclus dans le plan local d’urba-
nisme (PLU)... la socialiste veut
« inventer un nouveau modèle de
métropole sobre » sans oublier les
catégories populaires. La totalité
des logements sociaux seront
ainsi chauffés en réseau de cha-
leur d’ici à 2020. La ville a mis en
place un système de bonus finan-
cier pour les conducteurs qui font
du covoiturage et envisage la gra-
tuité des transports le week-end.
Faire de l’écologie sociale, c’est
également le souci de Nathalie
Appéré. La maire de Rennes ad-
met elle aussi avoir pris cons-
cience tardivement de l’urgence
climatique. Un an après son élec-
tion, alors que la municipalité
met en place un budget citoyen,
elle se rend compte que la plupart
des propositions poussées par
les habitants touchent à l’envi-

ronnement. « J’ai pris une claque
en m’apercevant que les citoyens
avaient une longueur d’avance sur
nous. On a compris qu’il ne s’agis-
sait plus de verdir la ville mais de
l’adapter à la transition écologi-
que » , explique l’ancienne dépu-
tée d’Ille-et-Vilaine.
Là aussi, les panneaux photovol-
taïques ont poussé sur les toits des
bâtiments publics. Le PLU a été ré-
visé pour recréer des terres agrico-
les et des jardins partagés en ville,
et la municipalité a aménagé la
conversion d’une friche en im-
mense parc naturel urbain. « On
n’est pas dans le greenwashing
cherchant à capter la frange électo-
rale écolo mais dans une politique
de gauche qui fait aussi attention à
garder les plus modestes » , souli-
gne-t-elle en mettant en avant sa
politique de l’habitat, qui conti-
nue à construire du logement
social avec un loyer unique sur
toute l’agglomération ou met en
place la gratuité des dix premiers
mètres cubes d’eau pour les abon-
nés de la société publique.
Leur proximité générationnelle
a rapproché ces élus de terrain.
S’ils soutiennent la ligne d’ouver-
ture d’Olivier Faure, notamment
son regard critique sur le mandat

de François Hollande, ils veulent
faire valoir leur approche du re-
nouvellement du logiciel socia-
liste. « Nous ne sommes pas des
dinosaures du vieux monde. On a
un rôle à jouer dans l’irrigation du
PS en donnant de la chair à des
orientations politiques en mon-
trant concrètement ce qu’on fait » ,
souligne Nathalie Appéré. Une
ambition d’autant plus revendi-
quée que le parti est affaibli au ni-
veau national mais encore bien
implanté localement. Les munici-
pales vont leur donner l’occasion
de monter en première ligne.

« Appétence nouvelle »
« C’est utile au moment où beau-
coup chroniquent la fin de la social-
démocratie. Nous voulons prouver
qu’il y a encore un espace politique
pour une transition écolo de gau-
che et populaire » , renchérit Ma-
thieu Klein, qui prendra la déci-
sion de se présenter ou non à la
mairie de Nancy en septembre.
Lui aussi entend mettre en avant
les réalisations du conseil dépar-
temental qu’il dirige pour faire la
preuve d’une efficacité politique
dont les électeurs ont douté de-
puis 2017. Reconquête des ceintu-
res maraîchères autour des villes,

promotion des circuits courts,
abandon des grands projets... Une
trame que met aussi en avant Ca-
role Delga dans sa région : « Nous
pouvons mettre en valeur des pro-
jets de développement alliant jus-
tice sociale et urgence climatique
pour réalimenter le projet de gau-
che à l’échelle nationale » , argu-
mente la présidente de la région
Occitanie.
Les écologistes observent ces
conversions avec des regards nar-
quois. « Il a fallu se battre pour que
les projets mis en avant aujourd’hui
puissent exister. Il y a une appé-
tence nouvelle chez Johanna Ro-
land, mais pour elle, l’écologie n’est
pas au centre de la politique, c’est
quelque chose en plus », critique

Johanna
Rolland,
maire PS
de Nantes,
le 28 avril.
SEBASTIEN
SALOM-GOMIS/AFP

« Sur le fond,
les choses
bougent, mais
les vieux réflexes
reviennent vite »
MATTHIEU THEURIER
coprésident du groupe
écologiste au conseil
municipal de Rennes

Julie Laernoes, vice-présidente
EELV de la métropole nantaise.
Même écho à Rennes : « Sur le fond,
les choses bougent, mais, quand il y
a besoin de prendre la mesure des
actions qu’il faut mener pour être à
la hauteur du défi climatique, les
vieux réflexes reviennent vite », as-
sure de son côté Matthieu Theu-
rier, coprésident du groupe écolo-
giste au conseil municipal. Malgré
la main tendue par les deux mai-
res, les écologistes nantais et ren-
nais constitueront une liste indé-
pendante aux municipales.
Il n’empêche : le virage opéré
permet à ces quadras convertis de
garder une image positive. Deux
récents sondages IFOP pour le PS,
réalisés mi-juin, donnent ainsi
Johanna Rolland en tête des in-
tentions de vote pour les munici-
pales avec 33 % (contre 23 % pour
les écologistes) et Mathieu Klein,
s’il se décide à partir à la bataille à
Nancy, à 24-25 % devant les écolo-
gistes et gagnant au second tour
face au maire sortant Laurent
Hénart (Parti radical). De quoi at-
tendre – presque – sereinement
mars 2020. « Après, il faudra qu’on
construise un grand pôle écolo de
gauche » , conclut Mme Rolland.p
sylvia zappi

Loin de Paris, les socialistes se mettent au vert

A la tête de leurs collectivités locales, les quadras du PS rénovent le logiciel du parti en misant sur l’écologie


Pour son retour à La Rochelle, le PS veut s’ouvrir aux alliés potentiels


Après trois ans d’absence, les socialistes organiseront à nouveau leur rendez-vous de la fin de l’été dans la ville de Charente-Maritime


F


ini « les concours d’élo-
quence et le bal des ego »!
Olivier Faure, le premier se-
crétaire du Parti socialiste (PS), a
décidé de faire de l’université d’été,
qui se déroulera du 23 au 25 août à
La Rochelle (Charente-Maritime),
un lieu d’échanges et de forma-
tion. Et signer ainsi le retour des
militants. Voilà trois ans que la
messe socialiste avait déserté le
port charentais, laissant le champ
libre à une mise en scène des ba-
tailles internes des courants et des
écuries. Le format classique du
rendez-vous de La Rochelle avec
ses « in » et ses « off » laissera cette
année la place au « Campus 19 »
dans un format renouvelé. Dans le
calendrier du premier secrétaire,

l’événement estival doit être le
premier temps de la réflexion pro-
grammatique qu’il veut lancer.
La direction sait qu’elle doit don-
ner du contenu à la nouvelle ligne
politique mise en musique avec
Raphaël Glucksmann lors des élec-
tions européennes. « Nous devons
désormais expliquer ce que nous
voulons dire avec la social-écologie,
comment articuler les revendica-
tions sociales et les exigences de
l’urgence climatique, comment re-
voir nos schémas productivistes...
Nous manquons encore de
contenu » , explique M. Faure, dé-
puté de Seine-et-Marne. Laurent
Baumel, ex-député frondeur,
abonde : « Nous avons fait une mu-
tation conceptuelle avec l’écologie

comme chapeau structurant du
changement, mais on est en retard
sur la déclinaison programmati-
que. » Trois grands forums sont
prévus pour y remédier avant les
municipales de mars 2020, autour
des thèmes du social, de l’écologie
et de la démocratie.
L’université d’été devrait aussi
être l’occasion d’afficher la straté-

gie d’ouverture entamée avec les
européennes. « Il faut accepter
qu’à gauche, personne n’est domi-
nant et qu’on peut apprendre les
uns des autres » , argumente Oli-
vier Faure. Les forces politiques
qui se sont retrouvées derrière la
liste Envie d’Europe – Place publi-
que, Nouvelle Donne et le Parti
radical de gauche – ont été asso-
ciées avec chacune un atelier thé-
matique à animer et une pré-
sence aux débats pléniers.

Initiatives en ordre dispersé
Même chose pour le Parti com-
muniste (PCF), le Mouvement
des citoyens (MDC) et l’Union
des démocrates et des écologis-
tes (UDE) : les socialistes cher-

chent à séduire à gauche en
changeant leur image. Invité
aussi, Génération.s devrait y en-
voyer quelques représentants.
L’organisation se veut égale-
ment moins formelle. Plus de
grands auditoriums avec des dis-
cours qui s’enchaînent, mais des
débats par atelier et un grand
« procès de la Ve République » , tri-
bunal arbitral présidé par Najat
Vallaud-Belkacem, assistée d’un
procureur, d’avocats et de té-
moins. Des personnalités comme
la journaliste Audrey Pulvar ou
Frédéric Sève de la CFDT seront
présentes. Le parvis de l’espace
Encan sera transformé en agora
ouverte aux curieux qui voudront
participer aux débats.

En assumant la fin de son hégé-
monie, le PS se donne du mal
pour donner des gages aux autres
formations de gauche. En ligne de
mire, les municipales et les allian-
ces que les socialistes rêvent de
nouer. D’ici là, une « charte » qui
liera les candidats PS et ceux qu’il
soutiendra sera soumise à l’ap-
probation des militants socialis-
tes et à ses partenaires.
Olivier Faure n’en a cependant
pas fini avec les initiatives en ordre
dispersé : deux jours avant le dé-
but du campus, le maire de Dijon,
François Rebsamen, doit réunir les
élus socialistes pour des « journées
de travail » à La Rochelle et partici-
per au « réarmement du PS » .p
s. z.

Le parti se donne
du mal pour
donner des gages
aux autres
formations
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