Marie Claire N°805 – Septembre 2019

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« Mon père et
notre vie en
Russie sont vite
devenus une image
lointaine. Nous
n’avons pas tardé
à embrasser la
vie en Amérique. »


C’est un long voyage qu’elle vient de traverser. Un voyage au
cœur de son histoire. La sienne mêlée à celle de sa mère. Le
voyage le plus « douloureux », dit-elle, qu’elle n’ait jamais connu.
Diana Markosian est photographe. Elle a grandi en Russie,
époque post-soviétique, dans une famille arménienne luttant
contre la pauvreté. Jusqu’à ce jour d’octobre 1996 où sa mère a
décidé que la vie devait être différente. « Sans nous donner d’expli-
cations, elle nous a dit : “Nous partons.” » Dans son petit sac à dos,
Diana, 7 ans, glisse ses poupées Barbie. Après un long vol, Diana,
sa mère et son frère atterrissent aux États-Unis, en Californie.
Sur la table de la maison familiale abandonnée, le père trouvera
un bout de papier : « Ne cherche pas à nous trouver. »


Des acteurs revêtus d’habits personnels
L’Amérique, là où sa mère voulait vivre, dans ce décor fantasmé
qu’elle regardait si souvent à la télé. Comme dans Santa Barba-
ra, le soap opera. Les Capwells face aux Lockridges, deux riches
familles de Californie que tout opposait. À son arrivée à l’aéroport,
Diana aperçoit un vieux monsieur. Sa mère le présente comme un
ami de la famille. Il devient vite son beau-père. De son père, ce
monsieur qui confectionnait des vêtements pour les Barbie, elle
n’entendra plus parler. C’est ce voyage que Diana raconte au tra-
vers de ses images. Des scènes reconstituées à partir de filaments
de souvenirs, de récits extirpés. Images magnifiques et saisis-


santes. Douces et amères. Déchirantes. On y voit sa mère, beau-
coup. En Russie d’abord. Paysages soviétiques, rudes et froids.
Puis la joie sous le soleil californien. Des palmiers, des piscines,
des supermarchés. Une maison où, à Noël, le sapin est immense.
Puis apparaît ce regard mélancolique, comme rattrapé par le prix
des sacrifices. « Nous avons perdu notre famille », confie aujourd’hui
Diana Markosian. Tous les personnages sont incarnés par des
acteurs que la photographe a choisis, qu’elle a revêtus d’habits
personnels. Réinventer le réel. Plonger aux origines. Un trait com-
mun dans tout son travail. Sauf que cette fois, le vertige est abys-
sal. Diana Markosian n’a su que récemment pourquoi sa mère
avait décidé de partir, comment elle s’y était prise surtout. « C’est
en retrouvant mon père que j’ai fini par comprendre. » Ce père, qu’elle
croyait disparu, la cherchait en réalité depuis des années. Des re-
trouvailles qu’elle a imprimées dans une première série, Inventing
my father. Point de départ d’une vérité à venir. « Ma mère a fini par
me raconter : elle a contacté une agence à Moscou pour l’aider à trouver
un mari américain. » C’est cela que Diana raconte, ce pan de passé
qui lui a été si longtemps caché. Elle le reconstruit en images. Lui
redonne forme. Elle a créé « une machine à remonter le temps ». Elle
se souvient avoir discuté avec sa grand-mère avant d’entamer ce
projet : « Elle m’a posé une seule question : “C’était si douloureux, pour-
quoi veux-tu le revivre ?” » Diana n’a pas tout de suite su répondre.
Aujourd’hui, elle pense savoir. « J’ai appris à aimer ma mère. »
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